Bombardements américains en Syrie et droit international – 12 avril 2017

À lire pour la très bonne explication de pourquoi le bombardement américain de la semaine dernière en Syrie est illégal en vertu du droit international. Il aborde aussi les effets qu’a la doctrine de la responsabilité de protéger sur le droit international, ainsi que les conséquences à plus long terme de la position du Canada. À lire!

Lettre publiée le 12 avril 2017 dans le Devoir, signée par Rémi Bachand – Professeur de droit international, membre du Centre d’études sur le droit international et la mondialisation

Depuis au moins l’intervention en Afghanistan en 2001, il existe un débat parmi les différents intervenants du champ du droit international concernant l’usage de la force entre les États. Rappelons que la Charte des Nations unies prévoit que ses membres doivent s’abstenir, « dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, […] contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État […] ». Cet article, qui est probablement la pierre angulaire du droit international de la période contemporaine, ne souffre que de deux exceptions : celle d’un recours à la force autorisée par le Conseil de sécurité ; celle d’un État exerçant son « droit naturel de légitime défense » lorsqu’il est victime « d’une agression armée ».

Le débat mentionné concerne l’interprétation à donner aux termes utilisés dans la Charte sur ce sujet. D’un côté, certains des États les plus lourdement militarisés (les États-Unis, Israël et quelques autres) et les internationalistes qui leur sont favorables cherchent à élargir les possibilités d’une intervention militaire conforme au droit international. Ceux-ci plaident notamment pour une extension du droit à la légitime défense préventive (pouvant justifier l’agression contre l’Irak en 2003) ou contre des groupes se trouvant sur le territoire d’un État, mais sans avoir de lien organique avec celui-ci (pour légitimer la guerre contre l’Afghanistan en 2001). Ironiquement, se sont joints à eux des « humanitaristes » qui proposent, notamment par la doctrine de la « responsabilité de protéger », de permettre l’usage de la force lorsque sont commis certains crimes graves, argument qui n’a été formellement utilisé que lors de l’intervention en Libye en 2011.

Face à ce groupe se dressent des États (ayant souvent été victimes d’agressions impérialistes ou néocoloniales) et des juristes défendant une version « restrictive » du droit au recours à la force et qui estiment, par exemple, que le droit à la légitime défense ne peut s’exercer que lorsque l’agression a déjà commencé (contre la légitime défense préventive) et est le fait d’un État. Ils sont aussi sceptiques quant à la responsabilité de protéger.

Légalité des bombardements

Au regard du droit international, les bombardements effectués la semaine dernière ne peuvent se justifier d’aucune des deux façons susmentionnées. En effet, aucune résolution n’a été adoptée par le Conseil et les bombardements ne s’inscrivent pas dans les paramètres qui leur permettraient d’être justifiés par le droit à la légitime défense. En bref, ces bombardements sont incontestablement contraires au droit international, chose que très peu ont jusqu’à maintenant fait remarquer.

Pour plusieurs (et il semble que ce soit la position du gouvernement du Canada et de plusieurs États occidentaux), les allégations d’attaques au gaz sarin contre la population civile justifiaient les frappes, quoi qu’en dise le droit international. Or une telle position peut, à notre avis, avoir des effets malheureux à long terme sur le droit international.

Rappelons d’abord qu’un aspect important du droit international est ce que l’on appelle le droit coutumier, qui non seulement constitue le fondement de plusieurs de ses règles, mais qui permet aussi d’interpréter certaines de ses dispositions (par exemple, ce que l’on entend précisément par « droit à la légitime défense »). Ce droit coutumier se repère et évolue par la jonction de deux éléments, à savoir la pratique des États et leur opinio juris, c’est-à-dire la conscience d’adopter une pratique parce qu’on a l’obligation juridique de le faire. Les réactions qu’ont les États devant des situations telles que les bombardements de la semaine dernière sont grandement significatives de leur opinio juris et peuvent avoir un impact significatif dans l’évolution du droit international.

En affirmant qu’ils appuyaient les bombardements, le Canada et plusieurs États européens ont, d’une certaine façon, donné leur avis sur l’état du droit international et ont possiblement, du fait même, créé un précédent qui risque d’avoir un impact réel sur l’état de celui-ci. Leur position, inspirée de l’approche extensive elle-même défendue par les États faucons, va dans le sens d’une plus grande permissibilité des interventions armées dans le cas de certaines violations du droit humanitaire.

Le monde s’en trouvera-t-il plus sécuritaire ? Rien n’est moins sûr. On a vu à plusieurs reprises (notamment en Irak et en Libye) au cours des dernières années que des interventions ayant des motifs strictement politiques ou économiques ont régulièrement été légitimées par des justifications humanitaires. Dès lors que les interventions militaires fondées sur de telles justifications seront considérées comme étant conformes au droit international, il sera possible d’inventer des faits (l’Irak en 2003), de mentir sur ceux-ci (il sera impossible de savoir si tel n’est pas le cas des bombardements tant que toute la lumière ne sera pas faite sur l’origine du gaz sarin ayant tué les civils la semaine dernière), voire d’encourager des rébellions de manière à provoquer la répression lorsque l’on voudra se débarrasser d’un gouvernement que l’on désapprouve.

Pour conclure, si l’on analyse la question strictement à partir du 6 avril 2017 en Syrie, il est possible de dire que, bien qu’illégaux, les bombardements étaient légitimes. Toutefois, si l’on prend un peu de recul et que l’on cherche à comprendre les impacts de ceux-ci sur le monde dans sa globalité, et ce, pour les cinquante ou cent prochaines années, il est plus probable qu’on en arrive avec un constat différent.