Allocution du secrétaire d’État Antony Blinken sur la politique à l’égard de la Chine. Rien de nouveau sous le soleil (traduction)

Allocution du secrétaire d’État Antony Blinken sur la politique à l’égard de la Chine. Rien de nouveau sous le soleil

Les propos du secrétaire d’État sont une redite d’anciennes déclarations et des messages contradictoires habituels sur la concurrence des États-Unis avec Pékin.

par Daniel Larison, Responsible Statecraft, 26 mai 2022

[Traduction : Claire Lapointe; révision : Échec à la guerre]

Jeudi, le secrétaire d’État Antony Blinken prononçait un discours franchement décevant sur la politique de l’administration Biden à l’égard de la Chine.

Ce discours prononcé à l’université George Washington, prévu au début du mois, avait été reporté en raison du test positif à la COVID reçu par M. Blinken, la veille de son intervention. Dans la foulée de la visite de M. Biden en Asie et de ses propos controversés engageant les États-Unis à intervenir pour défendre Taïwan, le discours de M. Blinken n’a guère été plus qu’une répétition des déclarations précédentes de l’administration.

Dans les semaines précédant le discours, les responsables de l’administration avaient prévenu les journalistes que cette allocution ne contiendrait aucune nouvelle annonce, ce qui s’est avéré. Ce discours a servi essentiellement à donner une vue d’ensemble de la politique de M. Biden à l’égard de la Chine, sans fournir de détails utiles sur la manière dont il entend la mettre en œuvre.

La stratégie de Joe Biden à l’égard de la Chine s’inspire grandement de celle de l’administration Trump. C’est sans doute la politique qui présente la plus forte continuité entre M. Biden et son prédécesseur. Si la politique de Joe Biden est perçue comme une version « Trump allégée », c’est non seulement qu’elle diffère peu de l’approche de l’administration précédente, mais que son gouvernement ne parvient pas à souligner les différences qui existent.

Comme le soulignait Jeffrey Bader au début de l’année, « la poursuite d’une politique dite “bipartisane” à l’égard de la Chine s’est traduite, dans la pratique, par l’adoption de la politique de Trump au détriment de l’opinion exprimée par la base démocrate ».

Le secrétaire Blinken a évoqué le maintien de l’ordre international, tout en présentant la Chine comme la principale menace à cet égard. Comme il l’a déjà fait, il a nié tout attrait pour une nouvelle guerre froide. Il a cependant repris la même litanie de plaintes concernant l’agressivité chinoise, dépeignant ce pays comme une force déstabilisatrice devant être contenue. Il a répété à plusieurs reprises que les États-Unis « ne cherchent pas le conflit », mais toute stratégie fondée à ce point sur la rivalité ne peut que créer des tensions susceptibles de déboucher sur un conflit. Bien que M. Blinken ait évoqué des enjeux majeurs pour lesquels une coopération sino-étasunienne est nécessaire, notamment les changements climatiques et le contrôle des armements, la rivalité est restée au cœur de son discours.

Compte tenu de la panique des États-Unis et de l’Australie suscitée par le récent accord de sécurité entre la Chine et les Îles Salomon, entendre M. Blinken répéter la rhétorique habituelle concernant « les pays libres de prendre leurs propres décisions souveraines » semblait plutôt contradictoire. Le message de Washington, il y a seulement quelques semaines, indiquait clairement que le gouvernement estime que cette liberté ne s’étend pas à la coopération en matière de sécurité avec d’autres grandes puissances.

Une tension inévitable existe entre le respect des décisions souveraines des pays de la région et la poursuite d’une politique d’endiguement antichinoise qui ne dit pas son nom. Il ne faudra pas être surpris si d’autres États supposent que cette politique d’endiguement se fera tôt ou tard au détriment de leur souveraineté.

L’affirmation de M. Blinken selon laquelle « nous remettons la diplomatie au centre de la politique étrangère des États-Unis » est difficile à prendre au sérieux, alors que les efforts diplomatiques étasuniens dans la zone Asie-Pacifique restent si timides. Si l’activité diplomatique s’est intensifiée au cours des derniers mois, c’est que les États-Unis se sont employés à rattraper le temps perdu après un départ très lent. Le sommet de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-est (ANASE), mentionné dans son discours, est un signe encourageant que l’administration fait plus d’efforts pour collaborer avec les nations d’Asie du Sud-Est. Il n’en reste pas moins que le niveau de relations diplomatiques et économiques avec cette région est faible.

En outre, lors du sommet, les 150 millions de dollars promis par les États-Unis pour le développement de l’Asie du Sud-Est étaient dérisoires. Cela tend à démontrer que les ressources que l’administration consent à offrir sont plus que limitées.

L’une des parties les moins convaincantes du discours est celle où M. Blinken affirme qu’« il ne s’agit pas de forcer les pays à choisir, mais de leur donner un choix. » Sarang Shidore a relevé la contradiction entre la rhétorique et les actions des États-Unis relatives à l’Asie du Sud-Est : « Washington insiste régulièrement sur la “centralité de l’ANASE” et déclare qu’il ne cherche pas à forcer les États d’Asie du Sud-Est à choisir entre les États-Unis et la Chine. Cependant, les agissements de Washington sur le terrain racontent une histoire différente. »

L’une des raisons pour lesquelles les États-Unis ne parviennent pas à acquérir une plus grande influence auprès de nombreux États d’Asie du Sud-Est tient au fait que bon nombre d’entre eux se sentent poussés à prendre parti et qu’ils n’apprécient pas cette pression. De même, bon nombre de ces mêmes gouvernements pourraient mettre en doute les intentions des États-Unis. On peut comprendre qu’ils se méfient lorsque nos responsables se posent en défenseurs zélés de l’ordre international. Sur ce point, les responsables étasuniens protestent trop fort pour qu’on les croie.

Blinken n’a pas manqué de mentionner les autres initiatives et sommets organisés par l’administration au cours de l’année écoulée, notamment la récente réunion du « Quad » avec les dirigeants du Japon, de l’Inde et de l’Australie. Il a vanté le nouveau « Cadre économique pour l’Indo-Pacifique » (Indo-Pacific Economic Framework, IPEF), mais la portée limitée de cette initiative souligne à quel point la politique économique étasunienne en Asie est devenue inadéquate. Les détails de l’IPEF n’ont pas encore été précisés, mais comme il ne prévoit pas de réduction des droits de douane ou d’accès aux marchés, son attrait sera probablement limité.

Malgré tous les discours sur la concurrence avec la Chine, les États-Unis ne se montrent guère à la hauteur en matière de politique économique. Cela reflète le déséquilibre de la politique étasunienne dans la région, l’administration Biden poursuivant une approche « d’abord militaire ». Comme le souligne Edward Luce, « une superpuissance qui se réjouit de discuter d’aide militaire et d’armement, mais qui se montre réticente à parler de commerce et d’investissement, dit à ses partenaires et à ses ennemis qu’elle ne parle qu’une seule langue ».

Jeudi, l’éléphant dans la pièce fut la réponse de M. Biden sur la possibilité que les États-Unis « s’impliquent militairement » pour défendre Taïwan en cas d’attaque. Le sens de la question était clair, et Joe Biden a répondu oui. M. Blinken n’a pas tenu compte de la réponse de M. Biden. Il s’est contenté de réaffirmer la politique étasunienne traditionnelle, comme si le président n’avait pas prétendu le contraire quelques jours auparavant.

Il a sans doute pensé qu’en insistant sur le fait que la politique officielle n’avait pas changé, la question serait close. Ignorer la déclaration du président sur son engagement envers Taïwan ne convaincra pas grand monde. En signalant sa volonté de se battre pour Taïwan sans pour autant modifier officiellement sa politique, l’administration semble vouloir jouer sur deux tableaux. Mais cela peut aussi suggérer que le président et le reste de son administration ne sont pas sur la même longueur d’onde.

À un certain moment, M. Blinken a déclaré qu’« il n’y a aucune raison pour que nos grands pays ne puissent pas coexister pacifiquement ». Toutefois, si le président persiste à prendre des engagements improvisés envers Taïwan en matière de sécurité, le risque de conflit avec la Chine s’accroît beaucoup plus qu’il n’est nécessaire. Le fait que l’erreur de Joe Biden à Taïwan ait complètement éclipsé le reste de sa visite en Asie montre bien qu’il n’y avait guère autre chose à éclipser. Comme le notaient récemment les rédacteurs du Financial Times, « les coups de sabre du président américain à l’encontre de la Chine ont été beaucoup plus importants que sa volonté d’offrir un engagement économique significatif avec les partenaires étasuniens en Asie. »

Tant que les États-Unis ne seront pas prêts à offrir ce type d’engagement, ils seront sans doute frustrés dans leur quête d’une influence accrue.