Le colonialisme israélien et l’escalade de la violence : « Une situation intolérable » selon Rashid Khalidi et Orly Noy (traduction)

Le colonialisme israélien et l’escalade de la violence : « Une situation intolérable » selon Rashid Khalidi et Orly Noy

Entrevue par Amy Goodman, Democracy Now!, 30 janvier 2023

Texte original en anglais [Traduction : Claire Lapointe; révision : Échec à la guerre]

AMY GOODMAN : Le secrétaire d’État des États-Unis, Tony Blinken, est arrivé en Israël alors que la violence s’intensifie dans la région. M. Blinken doit y rencontrer le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et ensuite le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à Ramallah.

Depuis le début de l’année, Israël a tué au moins 35 Palestiniens [65, en date du 3 mars 2023]. Parmi ces victimes on compte 8 enfants [13, en date du 3 mars 2023]. L’incident le plus meurtrier s’est produit jeudi, lorsque les forces israéliennes ont fait irruption dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, tuant 10 personnes, dont deux enfants. Il s’agit du raid israélien le plus meurtrier en Cisjordanie depuis deux décennies.

Le lendemain, un tireur palestinien abattait 7 personnes dans une synagogue d’une colonie israélienne à Jérusalem-Est occupée. Les tirs visaient des fidèles qui observaient le sabbat. Selon le New York Times, il s’agit de l’attaque la plus meurtrière contre des civils à Jérusalem depuis 2008.

Après cette attaque, le nouveau ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, un politicien d’extrême droite, a promis de faciliter le port d’armes pour les Israéliens. Au cours de la fin de semaine, des Israéliens vivant dans des colonies illégales en Cisjordanie ont perpétré de nombreuses attaques contre des Palestiniens. Un responsable palestinien a décrié la violence des colons, déclarant qu’elle témoigne, « d’une augmentation sans précédent de la fréquence des attaques terroristes contre des citoyens palestiniens et leurs biens. »

Nous accueillons maintenant deux invités. Rashid Khalidi, est titulaire de la Chaire Edward Saïd en études arabes modernes à l’université de Columbia et auteur de plusieurs livres, dont le plus récent, The Hundred Years War on Palestine. Il nous parle de Boston. Et à Jérusalem, nous recevons Orly Noy, militante politique israélienne et rédactrice en chef du site d’information en langue hébraïque, Local Call. Elle est également présidente du conseil d’administration de B’Tselem, le groupe israélien de défense des droits de la personne.

Bienvenue à vous deux sur Democracy Now! Professeur Rashid Khalidi, commençons par vous. Parlez-nous de cette escalade de la violence. Revenons sur ce qui s’est passé à Jénine, jeudi. Bien sûr, je sais que vous pourriez remonter beaucoup plus loin. On y reviendra plus tard.

RASHID KHALIDI : Une vague d’attaques militaires israéliennes a frappé la Cisjordanie, principalement à Jénine, mais aussi à Naplouse et dans d’autres localités. L’an dernier, on a connu le plus grand nombre de morts en Cisjordanie depuis plus de 15 ans. Et ce record semble en passe d’être battu cette année. Nous comptons plus de 30 personnes tuées en Cisjordanie, dont environ la moitié sont des femmes, des enfants et d’autres civils, et certains sont des militants armés. Cela fait donc partie d’une escalade qui a commencé avant même l’entrée en fonction de ce nouveau gouvernement israélien extrémiste.

Et je pense que cela reflète l’intensité de la colonisation et du contrôle accru qu’Israël exerce sur la Cisjordanie et sur la ville arabe occupée de Jérusalem-Est. La violence à laquelle nous assistons, c’est la réaction des citoyens à l’égard d’une situation absolument intolérable. Le gouvernement israélien réplique par de nouvelles démolitions de maisons. Les colons ripostent par de nouvelles attaques contre les vies et les biens des Palestiniens. Nous assistons donc à une situation qui s’intensifie et dans laquelle le processus israélien d’appropriation, de vol de terres, de leur utilisation exclusive par les colons, pousse les Palestiniens au bord du gouffre.

Personne ne peut dire où tout cela va aboutir. La pression exercée [sur le peuple palestinien] et l’absence totale de réaction de la part de la communauté internationale et du monde arabe sont terrifiantes, car rien ne semble pouvoir enrayer la volonté d’Israël d’annexer la totalité des territoires occupés.

AMY GOODMAN : Après l’attaque de Jénine, rappelons que la célèbre journaliste palestino-étasunienne Shireen Abu Akleh, de réputation internationale, a été tuée juste à l’extérieur du camp de réfugiés de Jénine, alors que les forces israéliennes menaient des raids. Dites-nous ce qui s’est passé le jour suivant. Parlez-nous du tireur palestinien, de l’attaque de la synagogue, et de la différence entre — je veux dire, tout cela terrorise les communautés —, mais à quel moment les mots « terreur » et « terroristes » sont-ils utilisés, Professeur Khalidi?

RASHID KHALIDI : J’ai perdu le son pendant une minute.
Je présume que vous faites référence au fait que le nombre beaucoup plus important de victimes palestiniennes, pour la plupart des civils, n’est jamais reconnu comme étant le fait du terrorisme israélien, qu’il s’agisse de la violence des colons ou des opérations de l’armée israélienne, des gardes-frontières ou de la police. On parle d’un ratio de trois pour un, quatre pour un, cinq pour un de morts civils — beaucoup, beaucoup plus de Palestiniens tués. Seules les actions des Palestiniens sont qualifiées de « terroristes ». Ce que fait le gouvernement israélien serait pour assurer la « sécurité ». Une fois encore, ce terme de « sécurité » est utilisé par Israël pour justifier non seulement le meurtre de civils, non seulement les attaques contre des localités comme le camp de réfugiés de Jénine, la ville de Jénine ou la ville de Naplouse, mais aussi l’appropriation, l’expropriation et le vol continus de terres palestiniennes pour la construction de nouvelles colonies exclusivement israéliennes. Tout cela est justifié par des considérations de « sécurité ».

Il s’agit en fait de colonisation. Israël colonise systématiquement Jérusalem-Est, ville arabe occupée, et le reste de la Cisjordanie occupée. Ce faisant, elle recourt à la terreur, une terreur exercée par des colons israéliens, des voyous israéliens armés, et par l’armée israélienne qui protège systématiquement les colons. Par conséquent, ce terme « sécurité est utilisé comme matraque à l’encontre des Palestiniens pour soutenir le processus de colonisation, ce que les États-Unis réfutent constamment. Le président Biden a parlé de l’attaque contre les fidèles à l’extérieur de la synagogue comme d’une attaque contre la civilisation. C’est le vocabulaire utilisé par les colonisateurs à travers l’histoire, que ce soit en Irlande, au Kenya, en Inde ou en Égypte. Toute résistance de la part d’un peuple colonisé est qualifiée de terrorisme; alors que la violence exercée par l’État serait légitime. Et c’est ainsi que les choses sont toujours présentées par Israël et par ses partisans aux États-Unis, y compris par l’administration Biden.

AMY GOODMAN : Je me tourne vers vous, Orly Noy. Vous êtes à Jérusalem, pas très loin de l’endroit où l’attaque a eu lieu. Le tireur palestinien a tué sept personnes après le raid israélien de Jénine la veille. Parlez-nous de ce qui s’est passé là-bas et des manifestations de masse au cours de cette fin de semaine.

ORLY NOY: Bonjour, Amy. Je tiens à souligner que la fusillade survenue dans la colonie juive de Neve Yaakov à Jérusalem-Est n’a pas eu lieu dans une synagogue. Elle s’est produite dans une rue où se trouve une synagogue, comme c’est le cas dans plusieurs rues de cette ville. Et la prière du Shabbat était terminée depuis longtemps au moment de la fusillade.

En outre, concernant votre question sur le terrorisme, il importe de mentionner que le grand-père du tireur a été assassiné par un colon juif en 1999; ce dernier n’a jamais été traduit en justice. De plus, son petit-cousin, un garçon de 17 ans, a été abattu récemment dans le camp de réfugiés de Shuafat alors qu’il tenait un pistolet jouet. Par la suite, Itamar Ben-Gvir a attribué au tireur — le policier qui a abattu ce garçon de 17 ans – un certificat d’excellence.

Les manifestations ne sont pas directement liées à ce nouveau cycle de violence, mais elles sont, bien sûr, étroitement liées à l’ascension du gouvernement d’extrême droite le plus radical — comprenant des éléments fascistes évidents — que nous ayons actuellement en Israël. Je pense qu’il y a un sentiment généralisé au sein de la société juive israélienne à l’effet qu’une chose très grave s’est produite, mais je ne crois pas pour autant que ce virage radical engendre un examen de conscience. Du moins pour l’instant.

Au vu du discours qui prévaut en Israël, on pourrait avoir l’impression qu’un objet non identifié venu du ciel a soudainement frappé l’État soi-disant juif et démocratique et l’a fait dévier de sa trajectoire, aboutissant à la situation actuelle. Ce qui n’est pas le cas bien sûr. Je pense que ce que nous voyons aujourd’hui — la montée de la droite fasciste au sein du gouvernement — est un résultat très naturel de la nature fondamentale du sionisme, tel qu’il a été mis en œuvre dans cet État soi-disant juif et démocratique.

Prenez la dernière manifestation de masse, par exemple, le samedi suivant la fusillade. Vous avez un ex-général, debout sur la scène, qui admet que la Cour suprême est le seul rempart qui le protège d’un procès devant la Cour pénale internationale (CPI). Il existe donc une compréhension différente de ce que les Juifs israéliens veulent signifier lorsqu’ils proclament : « Nous manifestons maintenant pour protéger la démocratie. » Malheureusement, ce n’est toujours pas la démocratie à ….

AMY GOODMAN : Orly, pour les personnes qui ne suivent pas de près la politique en Israël, pourriez-vous retourner un peu dans le temps. Vous parlez de ces protestations massives contre l’intervention de Netanyahou à la Cour suprême. Expliquez-nous de quoi il s’agit et ce contre quoi les Israéliens protestent.

ORLY NOY : Ce nouveau gouvernement, qui comporte des éléments fascistes et antidémocratiques incontestables, a pour objectif manifeste d’écraser tous les obstacles, ou plutôt ce qui reste des obstacles qui donnent encore à Israël un semblant de démocratie. Il s’agit notamment de la liberté de presse, de la liberté d’expression et, bien sûr, du système judiciaire qu’ils considèrent comme une élite gauchiste, ce qui, bien sûr, est loin d’être le cas. Tous les crimes israéliens en Cisjordanie ont été approuvés par la Cour suprême israélienne, et il est très rare que la Cour intervienne pour mettre fin à l’un de ces crimes. Mais à l’heure actuelle, l’attaque porte sur la démocratie dont jouit la population juive en Israël. Les dirigeants veulent éliminer ces formes de liberté afin d’imposer un programme très radical d’extrême droite.

AMY GOODMAN : Vous avez également mentionné qu’Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité nationale, a récompensé le soldat ayant abattu le Palestinien. Il a lui-même été condamné en Israël pour incitation au racisme et à la haine contre les Palestiniens ou les Arabes israéliens, n’est-ce pas?

ORLY NOY : Il a en fait été inculpé pour appartenance à une organisation terroriste, ce qui est assez ironique, car l’un des principaux articles de leur programme est d’exclure du parlement les membres palestiniens de la Knesset parce qu’ils sont soi-disant des sympathisants du terrorisme. Mais, en fait, le seul député actuellement à la Knesset israélienne qui ait été inculpé pour soutien à une organisation terroriste est Itamar Ben-Gvir lui-même.

AMY GOODMAN : Professeur Rashid Khalidi, au moment où on se parle, le secrétaire d’État Tony Blinken vient de quitter l’Égypte où il a rencontré le président Sisi, et il est arrivé à Tel-Aviv. Il rencontrera Benjamin Netanyahu, et demain il échangera avec Mahmoud Abbas à Ramallah. Parlez-nous de la signification de ce voyage.

RASHID KHALIDI : Blinken est là pour injecter encore plus de formaldéhyde dans le cadavre en décomposition de la soi-disant solution à deux États. Mais aussi pour maintenir le statu quo qui semble être l’objectif de toutes les administrations étasuniennes, ce qui permet à Israël de continuer à infliger aux Palestiniens toutes les misères du monde, tout en déplorant occasionnellement certains débordements.

On note très peu de changement depuis l’entrée en fonction de l’administration Biden dans les politiques fondamentales du gouvernement étasunien. Les États-Unis continuent d’armer Israël pour la poursuite de l’occupation et de la colonisation des terres palestiniennes, à raison de 3,8 milliards de dollars par an sous forme de ventes de matériel militaire et d’aide militaire. Sans compter l’adhésion de Biden au déplacement de l’ambassade étasunienne à Jérusalem, déplacement autorisé par l’administration Trump, reconnaissant ainsi cette ville comme capitale d’Israël; ou la reconnaissance de l’annexion par Israël — annexion illégale – du plateau du Golan occupé. Aucune de ces politiques de l’ère Trump n’a été modifiée.

Et le voyage de Blinken, prévu de longue date, vise essentiellement à faire avancer les politiques étasuniennes, y compris la normalisation des relations entre un État qui brutalise systématiquement les Arabes et d’autres gouvernements arabes, pour la plupart non démocratiques et non représentatifs du sentiment populaire au sein du monde arabe, à savoir un sentiment résolument pro-palestinien. Ainsi, les objectifs déclarés de Blinken sont de maintenir le statu quo et de favoriser ce processus de normalisation.

AMY GOODMAN : Pouvez-vous nous parler de ce qui se passe en ce moment au domicile du tireur palestinien, de cette idée de punition collective? On a scellé la maison. Expliquez-nous ce qui se passe.

RASHID KHALIDI : Ce que fait Israël, c’est punir systématiquement non seulement les auteurs d’attentats, mais aussi — parfois — leurs familles élargies. Ce type de punition collective fait partie d’un processus visant à briser le moral de la société palestinienne. On ne se contente pas de mettre l’auteur d’une attaque en prison. On interroge, brutalise et torture les membres de sa famille, puis on condamne leur maison et on finit par la détruire.

Cela fait partie d’une politique de démolition des maisons palestiniennes pratiquée dans Jérusalem-Est, ville arabe occupée, et dans toute la Cisjordanie occupée, plus particulièrement dans les 60 % de la Cisjordanie qui constituent la zone C en vertu des accords d’Oslo. Là-bas, Israël détruit systématiquement les maisons qui sont construites sans permis, des permis totalement inaccessibles. Mon frère a vu les fondations de sa maison détruites près de Jéricho, dans la zone C, simplement parce qu’il n’avait pas de permis. Mais il est impossible d’obtenir un permis. C’est donc une situation sans issue qui a pour but d’humilier et de punir la société palestinienne. Et la démolition des maisons des auteurs d’attentats n’est que le point culminant d’un processus de démolition systématique des maisons à Jérusalem-Est et en Cisjordanie.

AMY GOODMAN : Rashid, vous avez récemment publié un article dans le New York Times intitulé Will the U.S. Embassy in Jerusalem Be Built on Confiscated Palestinian Land? [L’ambassade des États-Unis à Jérusalem sera-t-elle construite sur des terres palestiniennes confisquées?] Pouvez-vous nous en dire davantage?

RASHID KHALIDI : Les États-Unis ont soumis des projets pour la construction d’une ambassade sur un terrain appelé « Allenby Barracks ». À l’origine, ce terrain appartenait à des propriétaires terriens palestiniens et à des fondations religieuses palestiniennes, awqaf. Il avait été loué pour y accueillir une installation militaire britannique. Lorsqu’on a commencé à envisager ce projet dans les années 1990, les propriétaires palestiniens de ce terrain ont effectué des recherches confirmant leur titre de propriété. Ils ont envoyé ces documents à l’administration étasunienne qui a reconnu leur véracité. Le projet avait alors été abandonné. Je rappelle qu’à l’époque, la secrétaire d’État était Madeleine Albright. L’administration Trump a réactivé ce projet, et l’administration Biden l’a poursuivi.

Aujourd’hui, la commission de planification du district examine les objections, y compris celles déposées par les avocats des familles qui s’y opposent, au motif qu’il s’agit d’une propriété palestinienne. Cette question a été soumise au département d’État. Le secrétaire d’État Blinken et l’ambassadeur des États-Unis en Israël, Thomas Nides, ont reçu des lettres rédigées par les avocats de ces familles. Parmi elles, ma famille et de très nombreuses familles de Jérusalem, y compris plusieurs personnes qui sont des citoyens étasuniens. Ces personnes rappellent au gouvernement des États-Unis qu’il est sur le point de construire ou qu’il prévoit le faire sur des propriétés appartenant à des Palestiniens, terres confisquées illégalement par Israël, y compris les propriétés de citoyens étasuniens. Les familles et leurs avocats n’ont pas encore reçu de réponse du département d’État à cette missive.

AMY GOODMAN : Laissez-moi vous lire la réponse du porte-parole du département d’État, Ned Price, à qui l’on a demandé s’il avait lu votre article dans le New York Times.

NED PRICE : Je l’ai lu et je profite de l’occasion pour corriger certaines informations ou impressions erronées concernant nos projets. Soyons parfaitement clairs, nous n’avons pas encore déterminé quel site sera retenu. Un certain nombre de paramètres, dont l’histoire des différents sites en lice, seront pris en compte dans le processus de sélection du site. Nous nous engageons, comme vous le savez, Saïd [sic], à garder l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. Les États-Unis reconnaissent Jérusalem comme la capitale d’Israël. (…)

Nous étudions actuellement deux options pour notre future ambassade à Jérusalem. La première est le site Allenby et la seconde, le site Arnona. Mais, je le répète, aucune décision n’a encore été prise quant au choix du site. Conformément à la loi israélienne, nous avons entamé le processus de modification du plan d’urbanisme pour les deux sites potentiels. La consultation publique pour le site d’Allenby se poursuit. Nous envisageons également de présenter le projet du site d’Arnona sous peu, avec une consultation publique distincte qui doit avoir lieu sous peu. Ces consultations publiques nous permettront de mieux cerner la perception de la population quant aux sites en question.

AMY GOODMAN : C’était la déclaration du porte-parole du département d’État, Ned Price. Professeur Khalidi, qu’en pensez-vous?

RASHID KHALIDI : Le département d’État a été pleinement informé quant au site Allenby en 1998, il y a de cela 25 ans. Quand bien même ils réfléchiraient à ce qu’il convient de faire, ils savent parfaitement que s’ils vont de l’avant avec ce site, ils construiront sur des terres qui appartiennent à de nombreux Palestiniens, y compris des citoyens étasuniens. Il y a deux sites, c’est exact. Mais le projet soumis par le gouvernement étasunien à la commission de planification du district — la consultation publique se termine aujourd’hui, en fait — comprend des plans pour une ambassade sur le site Allenby. Il comprend aussi des plans relatifs à d’autres bâtiments sur le site dénommé Arnona. Donc, nous verrons bien.

Les avocats des familles se réuniront demain pour en discuter. Nous espérons que les gens feront savoir à leurs représentants au Congrès, au département d’État, au gouvernement des États-Unis qu’ils ne doivent pas construire sur des terres palestiniennes confisquées, y compris des terres appartenant à des citoyens étasuniens et, plus globalement, que ce transfert de l’ambassade à Jérusalem et cette reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël ne constituent, en fait, qu’un clou de plus dans le cercueil de la soi-disant solution à deux États.

L’annexion par Israël de Jérusalem-Est, ville arabe occupée, illégale au regard du droit international — et à laquelle les États-Unis s’étaient d’ailleurs opposés à l’époque — est l’un des principaux différends qui opposent Palestiniens et Israéliens. Une fois de plus, en déplaçant leur ambassade à Jérusalem, les États-Unis mettent tout leur poids dans la balance au profit du colonisateur contre les victimes, les Palestiniens. C’est la question de fond, de même que la raison qui motive le gouvernement des États-Unis à reconnaître les expropriations israéliennes illégales de la propriété privée de citoyens étasuniens. Ailleurs dans le monde, lorsque la propriété privée de citoyens étasuniens est concernée, ce gouvernement veille normalement à la protéger. Cela ne semble pas être le cas quand il s’agit de Palestiniens étasuniens. De toute évidence, la question la plus importante est celle de Jérusalem et du transfert de l’ambassade en reconnaissance de cette ville comme capitale d’Israël.

AMY GOODMAN : Et enfin, Orly Noy, il ne nous reste qu’une minute. Pouvez-vous nous parler de l’escalade de la violence des colons en Cisjordanie? L’agence de presse palestinienne WAFA a rapporté que, samedi seulement, 144 attaques de colons ont été perpétrées contre des Palestiniens. Et, comment la société israélienne interprète-t-elle ce qui se passe ?

ORLY NOY : Très brièvement, il importe de souligner que 2022 a été l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens en Cisjordanie, plus de 150 victimes, et ce sous le gouvernement israélien soi-disant de changement, et non pas le gouvernement actuel d’extrême droite.

Oui, ces événements se produisent. Je veux dire que la violence des colons est un phénomène quotidien en Cisjordanie, mais après des épisodes comme la fusillade de vendredi soir, ils sont susceptibles de s’intensifier gravement. Je mentionnerai simplement que dans le village de Turmus Ayya en Cisjordanie, des colons — et cela a été filmé — ont mis le feu à une maison qui, heureusement, était vide à ce moment-là; ils ont déraciné des arbres et attaqué des agriculteurs palestiniens. La population israélienne, en général, n’en a aucune idée, parce que les grands médias n’en parlent pas, ce qui crée une réalité dans laquelle le discours public israélien et aussi, dans une large mesure, international, parle uniquement de la violence dans notre région lorsque des Israéliens juifs sont visés.

AMY GOODMAN : Je tiens à vous remercier tous les deux pour votre participation. Orly Noy est une militante politique juive israélienne et rédactrice en chef du site d’information en hébreu, Local Call. Elle est présidente du conseil d’administration de B’Tselem, l’organisation israélienne des droits de la personne. Et Rashid Khalidi est titulaire de la Chaire Edward Saïd en études arabes modernes à l’université de Columbia. Nous continuerons à couvrir cette affaire, bien sûr.