La guerre des États-Unis contre l’Iran a déjà commencé

Scott Ritter, 20 juin 2005
Traduction : Équipe de traduction d’OCVC
(English original)

Les Américains commencent à s’éveiller, en même temps que le reste du monde, au fait troublant que le président George Bush leur a menti non seulement à propos des armes de destruction massive en Irak (le prétexte avoué de l’invasion et de l’occupation de ce pays par les forces étasuniennes en mars 2003) mais aussi à propos du processus même qui a mené à la guerre.

Le 16 octobre 2002, le président Bush a dit au peuple américain: « Je n’ai pas donné l’ordre d’avoir recours à la force. J’espère que le recours à la force ne deviendra pas nécessaire ».

Nous savons que cette déclaration était elle-même un mensonge et que le président, vers la fin du mois d’août 2002, avait déjà signé les ordres ‘exécutoires’ autorisant l’armée des États-Unis à commencer des opérations militaires actives à l’intérieur de l’Irak; ces ordres étaient déjà en application dès septembre 2002 quand l’aviation étasunienne, assistée par l’aviation royale britannique, a commencé à accroître ses bombardements de cibles situées à l’intérieur et à l’extérieur des soi-disant zones d’interdiction aérienne en Irak. Ces opérations visaient à réduire le potentiel de défense aérienne de l’Irak et ses capacités de commandement et de contrôle. Elles préparaient aussi le terrain pour l’insertion d’unités d’opérations spéciales des États-Unis, qui effectuaient de la reconnaissance stratégique et, plus tard, des actions directes, des opérations contre des cibles spécifiques en Irak, avant le début des hostilités du 19 mars 2003.

Le président Bush avait signé une permission secrète à la fin du printemps 2002, qui autorisait la CIA et les forces d’opérations spéciales étasuniennes à envoyer des unités clandestines en Irak dans le but d’enlever Saddam Hussein du pouvoir. En réalité, la guerre contre l’Irak avait donc débuté dès le début de l’été 2002, si ce n’est plus tôt.

Cette chronologie des événements a des conséquences qui dépassent les faits divers historiques ou l’enquête politique sur les événements du passé. Elle constitue un précédent de la part du gouvernement Bush dont on doit tenir compte quand on examine les événements actuels entourant les relations entre les États-Unis et
l’Iran. Comme ce fut le cas avec l’Irak avant mars 2003, le gouvernement Bush parle aujourd’hui de « diplomatie » et de son désir d’une résolution « pacifique » de la question iranienne.

Mais les faits indiquent un autre programme, un programme de guerre et de renversement par la force du régime théocratique qui détient présentement le pouvoir à Téhéran. Comme pour l’Irak, le président a préparé le terrain pour le conditionnement du public américain et des média beaucoup trop dociles à accepter sans questionnement les mérites d’une politique de changement de régime concernant l’Iran, en liant le régime des Mollahs à un « axe du mal » (incluant l’Irak, par ailleurs récemment « libérée », et la Corée du Nord) et en insistant sur l’exigence absolue de la propagation de la « démocratie » au peuple iranien.

La « libération » et la propagation de la « démocratie » sont devenus des mots-clés peu subtils dans la cabale néo-conservatrice qui, de nos jours, formule et met en oeuvre la politique étrangère de militarisme et de guerre des États-Unis.

À elle seule, l’intensité du discours « libération/démocratie » devrait indiquer aux Américains que l’Iran est déjà bien au centre de la mire comme prochaine cible de la politique illégale de changement de régime appliquée par le gouvernement Bush. Mais les Américains, de même qu’une grande partie du reste du monde, restent bercés par une fausse impression de calme relatif parce que les opérations militaires conventionnelles n’ont pas encore ouvertement commencé entre les États-Unis et l’Iran. Plusieurs caressent réellement le faux espoir qu’on pourra, dans le cas de l’Iran, retarder ou empêcher l’extension de la folie actuelle en Irak. Mais c’est prendre ses rêves pour la réalité.

La réalité c’est que la guerre des États-Unis contre l’Iran a déjà commencé. En ce moment même, il y a des vols américains au-dessus du territoire iranien, utilisant des drones sans pilote et d’autres moyens plus sophistiqués.

En elle-même, la violation de l’espace aérien d’une nation souveraine est un acte de guerre. Mais la guerre contre l’Iran a déjà largement dépassé la phase de la collecte de renseignements. Le président Bush a profité des pouvoirs considérables qui lui ont été conférés au lendemain du 11 septembre 2001 pour mener une guerre globale contre le terrorisme et pour lancer plusieurs opérations offensives secrètes à l’intérieur de l’Iran.

La plus visible de ces opérations est la série d’actions entreprises, avec l’appui de la CIA, par les Mujahadeen el-Khalq, ou MEK, un groupe d’opposition iranien auparavant dirigé par les redoutables services de renseignement de Saddam Hussein mais qui travaille maintenant exclusivement pour la Direction des opérations de la CIA.
Il est amèrement ironique de constater que la CIA utilise un groupe toujours classé comme organisation terroriste – et entraîné à l’art des assassinats explosifs par les mêmes unités de renseignements de l’ancien régime de Saddam Hussein qui tuent aujourd’hui des soldats américains en Irak – pour effectuer en Iran des
attentats du même genre que ceux que le gouvernement Bush condamne quotidiennement en Irak.

L’adage « le combattant de la liberté de l’un est le terroriste de l’autre » a peut-être finalement été adopté par la Maison-Blanche, révélant toute l’hypocrisie des notions au nom desquelles on dit mener la guerre globale actuelle contre le terrorisme. Mais la campagne d’attentats terroristes du MEK, appuyée par la CIA, n’est pas la seule opération en cours contre l’Iran.

Au nord, dans l’Azerbaïdjan voisin, l’armée des États-Unis prépare une base d’opérations en vue d’une présence militaire massive qui présage une importante campagne terrestre pour la capture de Téhéran. L’intérêt du secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, pour l’Azerbaïdjan a peut-être échappé aux média occidentaux qui portent des oeillères, mais la Russie et les pays du Caucase ont très bien compris que les dés sont jetés en ce qui concerne le rôle de l’Azerbaïdjan dans la guerre à venir contre l’Iran. Les liens ethniques entre les Azéris du nord de l’Iran et de l’Azerbaïdjan ont longtemps été exploités par l’Union soviétique pendant la guerre froide et ce même véhicule de manipulation interne a été saisi par les agents paramilitaires de la CIA et les unités
d’opérations spéciales des États-Unis qui s’entraînent avec des forces d’Azerbaïdjan pour former des unités spéciales capables d’opérer à l’intérieur de l’Iran dans le but de recueillir des renseignements, de mener des actions directes et de mobiliser l’opposition autochtone aux Mollahs à Téhéran.

Mais il ne s’agit là que d’un des rôles prévus pour l’Azerbaïdjan par les États-Unis. Les avions de combat étasuniens, opérant à partir de bases avancées en Azerbaïdjan, auront une distance bien moindre à parcourir pour aller frapper des cibles à Téhéran et dans les alentours.

En fait, quand l’affrontement militaire débutera, la puissance aérienne des États-Unis devrait être en mesure de maintenir une présence, presque 24 heures par jour, dans l’espace aérien au-dessus de Téhéran. Les États-Unis n’auront plus à envisager de recourir à des plans datant de la guerre froide qui prévoyaient avancer sur Téhéran à partir des villes de Chah Bahar et de Bandar Abbas dans le Golfe arabe. Le Corps des Marines des États-Unis sera en mesure de prendre le contrôle de ces villes pour protéger la zone vitale du Détroit d’Hormuz, mais de là il ne leur sera plus nécessaire d’avancer vers l’intérieur.

Il existe maintenant une route beaucoup plus courte vers Téhéran – l’autoroute côtière qui se déroule le long de la Mer Caspienne, de l’Azerbaïdjan vers Téhéran. Les planificateurs militaires des États-Unis ont déjà commencé des exercices de guerre qui évoquent le déploiement de plusieurs divisions en Azerbaïdjan. La planification logistique est bien avancée en ce qui concerne l’établissement de la puissance aérienne et terrestre étasuniennes en Azerbaïdjan.

Compte-tenu du fait que le plus gros des capacités de soutien logistique et de commandement et contrôle nécessaires à une guerre contre l’Iran est déjà pré-déployé dans la région grâce à la présence massive des États- Unis en Irak, le temps de préparation pour une guerre contre l’Iran sera considérablement réduit même si on le compare au calendrier accéléré dont nous avons été témoins avec l’Irak en 2002-2003.

Les États-Unis et les pays occidentaux continuent d’être rivés sur la tragédie et la débâcle incessantes que représente l’Irak. Le débat très nécessaire sur les raisons qui ont mené à la guerre et à l’occupation ratée de l’après-guerre en Irak commence enfin à percer aux États-Unis et ailleurs. Normalement, cela constituerait une tournure positive des événements. Mais alors que toutes les têtes se tournent vers le passé, plusieurs ne se rendent pas compte du crime que le gouvernement Bush s’apprête à répéter en Iran – une guerre illégale d’agression, basée sur de fausses prémisses et menée avec peu de considération tant pour le peuple iranien que
pour le peuple des États-Unis. La plupart des Américains, de même que les grands média des États-Unis, demeurent aveugles aux signes avant-coureurs de la guerre, attendant plutôt une déclaration formelle d’hostilité, un moment préfabriqué pour la télévision tel que nous en avons connu un, le 19 mars 2003.

Nous savons maintenant que la guerre avait déjà commencé bien avant. De la même façon, l’histoire montrera que la guerre dirigée par les États-Unis contre l’Iran n’aura pas débuté suite à une telle déclaration formelle de la part du gouvernement Bush, mais qu’elle était déjà en cours depuis juin 2005, lorsque la CIA commença son programme de bombardements terroristes en Iran, exécutés par le MEK.

Scott Ritter a été inspecteur d’armements des Nations Unies en Irak, de 1991 à 1998. Il est l’auteur de Iraq Confidential: The Untold Story of America’s Intelligence Conspiracy, qui sera publié en octobre 2005 par I B Tauris.

*Cet article a d’abord été publié par Aljazeera.net, le 19 juin 2005.