04-03-2019: Lettre ouverte à l’intention du premier ministre du Canada, sur la situation au Yémen

Lettre ouverte à l’intention du premier ministre du Canada, sur la situation au Yémen

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Montréal, le 4 mars 2019
Le très honorable Justin Trudeau, C.P., député
Premier ministre du Canada
80, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A 0A2

Objet : L’exportation de véhicules blindés légers par le Canada vers le Royaume d’Arabie saoudite

Monsieur le Premier Ministre,

Nous, les sous-soussignés, représentons un groupe d’organisations de la société civile canadienne qui travaillent sur le contrôle des armes, les droits de la personne, la sécurité internationale, l’aide humanitaire et la protection des civils dans les conflits. Aujourd’hui, nous désirons vous réitérer nos préoccupations concernant l’exportation de véhicules blindés légers (VBL) par le Canada vers le Royaume d’Arabie saoudite. À notre avis, ces véhicules risquent d’être utilisés dans le conflit actuel au Yémen pour commettre de graves violations du droit international humanitaire ou du droit international en matière de droits de la personne. En fait, des sources médiatiques crédibles rapportent que des VBL auraient déjà été utilisés dans ce conflit. C’est pourquoi nous exhortons tous les États à bannir la vente et le transfert d’armement aux gouvernements qui risquent de se servir de ces mêmes armes dans le conflit au Yémen.

En octobre 2018, vous avez informé le public canadien que votre gouvernement évaluait le contrat de vente des VBL, notant du même coup qu’il serait « difficile » de suspendre ou de résilier cette entente. En novembre 2018, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland, témoignant devant le Comité permanent des Affaires étrangères et du commerce international du Sénat, a indiqué « que le gouvernement a le droit de geler un permis existant ou de l’annuler ». Elle a de plus affirmé que « la licence nous permet essentiellement, vu notre souveraineté nationale, de contrôler le mouvement de ces biens qui sortent du pays ». En décembre 2018, vous avez indiqué à la population canadienne que votre gouvernement cherchait des moyens « de ne plus exporter ces véhicules vers l’Arabie saoudite ».

Depuis, la situation humanitaire au Yémen a continué de se détériorer. Selon des informations récentes provenant du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’Organisation des Nations unies, près du deux tiers de la population yéménite a besoin d’assistance humanitaire ou de protection. On estime que 17 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire, tandis que 3 millions ont fui leur foyer. De plus, 14,5 millions de Yéménites ont besoin d’accès à de l’eau potable et à des installations sanitaires, pendant que 14,8 millions n’ont pas accès à des soins de santé. En outre, comme vous le savez sûrement, cette crise humanitaire a un effet disproportionné sur les femmes et les filles du Yémen.

Le Canada contribue à alléger ces souffrances en fournissant de l’aide humanitaire, mais paradoxalement, il se trouve aussi à armer une des parties au conflit. Ce faisant, le Canada s’exclut des efforts collectifs qui visent à influencer les parties afin qu’elles cessent les hostilités et mettent fin aux souffrances infligées. Rappelons que pour atteindre cet objectif, des pays comme le Danemak, la Finlande, l’Allemagne, la Suisse, la Grèce et l’Autriche ont interrompu ou cessé leurs transferts d’armes vers le Royaume d’Arabie saoudite.

Nous reconnaissons que le Canada a des droits — et des devoirs — souverains concernant ses décisions d’exporter des armes. Par conséquent, nous exhortons votre gouvernement à annuler immédiatement les permis d’exportation concernés. Même s’il est vrai que l’annulation de ces permis pourrait entraîner des pénalités financières, les droits et devoirs souverains de notre pays ne peuvent être subordonnés à des considérations purement financières. Compte tenu de la détérioration de la situation humanitaire au Yémen, des efforts des pays alliés du Canada pour arrêter les transferts d’armes et, surtout, des risques d’utilisation d’exportations canadiennes pour commettre de graves violations du droit international humanitaire ou du droit international en matière de droits de la personne, nous attendons du Canada qu’il exerce sa souveraineté et suspende le transfert de VBL au Royaume d’Arabie saoudite.

Il y a plus de trois mois, vous annonciez que le gouvernement allait se pencher sur cette question. Depuis, les Canadiennes et les Canadiens attendent des réponses. De façon plus importante, la population du Yémen attend aussi des réponses, ainsi que l’assurance du Canada qu’il est prêt à mener des actions décisives pour éviter de participer à des crimes de guerre sur le territoire yéménite. Monsieur le Premier Ministre, il est temps de garantir aux populations canadiennes et yéménites que les VBL fabriqués au Canada ne seront plus acheminés vers le Royaume d’Arabie saoudite.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, nos salutations distinguées.

Action contre la faim
Aide à l’enfance Canada
Amnesty International Canada (section anglophone)
Amnistie internationale Canada francophone
Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient
Institut Rideau
Le Groupe des 78
Médecins du monde Canada
Oxfam Canada
Oxfam-Québec
Project Ploughshares

c.c. L’honorable Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères
L’honorable James Carr, ministre de la Diversification du commerce international