Galloway face au Sénat américain

Transcription du témoignage.
Publié le mardi 17 mai 2005 par le magazine Times Online (R.-U.) (English Original)
Traduction : Équipe de traduction d’OCVC

Déclaration faite aujourd’hui par M. George Galloway, député du parti Respect pour la circonscription de Bethnal Green & Bow, devant les sénateurs américains qui l’ont accusé de corruption.

« Monsieur le sénateur, je ne suis pas, et n’ai jamais été, un commerçant de pétrole, et personne ne l’a été en mon nom. Je n’ai même jamais vu un baril de pétrole, je n’en ai jamais possédé, acheté ou vendu, et personne ne l’a fait en mon nom.

« Je suis bien conscient que les normes se sont dégradées ces dernières années à Washington mais, pour un avocat, vous avez une attitude plutôt cavalière envers la justice. Je suis ici aujourd’hui, mais vous m’aviez déjà trouvé coupable la semaine dernière. Vous avez calomnié mon nom à travers le monde sans même me poser une seule question, sans même avoir essayé d’entrer en contact avec moi, de m’écrire ou de me téléphoner, sans n’avoir fait aucune tentative pour communiquer avec moi. Et c’est ce que vous appelez la justice.

« J’aimerais maintenant aborder les pages me concernant dans ce dossier et identifier les endroits où l’on retrouve – soyons indulgents et disons des « erreurs ». J’aimerais ensuite replacer ces faits dans leur contexte. Dès la première page de ce document me concernant, vous affirmez que j’ai eu « plusieurs rencontres » avec Saddam Hussein, ce qui est faux.

« J’ai rencontré Saddam Hussein à deux reprises, une fois en 1994, et une fois en août 2002. Ces deux rencontres ne peuvent d’aucune manière être interprétées comme « plusieurs rencontres » avec Saddam Hussein.

« En fait, j’ai rencontré Saddam Hussein exactement le même nombre de fois que Donald Rumsfeld, à la différence près que M. Rumsfeld l’a rencontré pour lui vendre des armes et lui

donner des cartes pour qu’il puisse mieux cibler ses tirs. Quant à moi, j’ai rencontré Saddam Hussein pour tenter de mettre fin aux sanctions, à la souffrance et à la guerre et, lors de notre deuxième rencontre, j’ai tenté de le convaincre de laisser Hans Blix et les inspecteurs en armement des Nations Unies retourner en Irak. Ces rencontres avec Saddam Hussein ont été utilisées à bien meilleur escient que celles de votre propre secrétaire à la Défense.

« Je m’opposais à Saddam Hussein à l’époque où les gouvernements et gens d’affaires américains et britanniques lui vendaient des armes et des gaz toxiques. J’ai manifesté devant l’ambassade iraquienne quand les représentants américains et britanniques y entraient pour y faire des affaires.

« Vous constaterez qu’il existe, dans le registre parlementaire officiel, le Hansard, à partir du 15 mars 1990, des preuves substantielles que je me suis opposé à Saddam Hussein de façon plus soutenue que vous-même ou que tout autre membre des gouvernements britannique et américain.

« Vous affirmez, dans ce document, et vous avez même l’audace de citer une source, sans même me demander si ces allégations sont véridiques, que je suis « propriétaire d’une société ayant tiré d’importants profits du commerce du pétrole iraquien ».

« Monsieur le sénateur, je ne suis propriétaire d’aucune société sauf d’une toute petite entreprise dont le seul et unique but est de recevoir de mon employeur Associated Newspaper, basé à Londres, ma rémunération comme journaliste. Je ne suis propriétaire d’aucune société qui aurait été impliquée dans le commerce du pétrole iraquien. Vous n’avez aucunement le droit de citer d’affirmation entièrement non fondée et erronée qui laisserait sous-entendre le contraire.

« Vous ne connaissez rien de moi, Monsieur le sénateur, sauf le fait que mon nom se trouve sur une liste de noms de gens liés à l’Irak, dont plusieurs ont été dressées après la mise en place de votre gouvernement fantoche à Bagdad. Si vous aviez en main ne serait-ce qu’une lettre contre moi, comme vous en aviez une pour Zhirinovsky, et même Pasqua, elle se trouverait ici même dans la présentation que vous avez préparée pour les membres de votre comité aujourd’hui.

« Vous avez trouvé mon nom sur une liste qui vous a été fournie par l’enquête de Duelfer, qui lui avait été fournie par Ahmed Chalabi, voleur de banques, fraudeur et escroc reconnu coupable de ces crimes. Plusieurs personnes dans votre pays reconnaissent aujourd’hui le rôle déterminant qu’a joué M. Chalabi dans le désastre que connaît votre pays en Irak.

« Cette liste comportait à l’origine 270 noms, et elle a été réduite aux seuls noms sur lesquels vous avez décidé d’enquêter au sein de ce comité. Parmi ces noms, on comptait entre autres l’ancien secrétaire de sa Sainteté le pape Jean-Paul II, l’ancien chef du bureau du président du Congrès national africain ainsi que plusieurs autres qui avaient une caractéristique commune : ils prenaient tous position contre les politiques de sanctions et de guerre que vous avez férocement défendues et qui nous ont mené à ce désastre.

« Vous citez aussi M. Dahar Yassein Ramadan. Vous avez donc un avantage sur moi : je n’ai jamais rencontré M. Dahar Yassein Ramadan. Votre sous-comité, lui, l’a apparemment rencontré. Je sais cependant qu’il est un de vos prisonniers, si je ne m’abuse il se trouve dans la prison d’Abou Ghraib. Il fait face, je crois, à des accusations pour crimes de guerre, passibles de la peine de mort. Dans ces circonstances, sachant ce que le monde entier sait sur la façon dont vous traitez les prisonniers dans la prison d’Abou Ghraib, sur la base aérienne de Bagram ou à Guantanamo, incluant, si je peux me permettre, les citoyens britanniques en détention dans ces endroits, je ne suis pas certain de la crédibilité que l’on puisse accorder aux renseignements que vous obtenez de la part de ces prisonniers dans de telles circonstances. Mais vous citez effectivement 13 mots prononcés par M. Dahar Yassein Ramadan, que je n’ai jamais rencontré. S’il a réellement dit ce qu’il a dit, alors il a tort.

« Et si vous aviez des preuves que j’ai été impliqué dans une transaction commerciale pour du pétrole, si vous aviez des preuves qu’on m’ait donné de l’argent, vous les auriez rendues publiques et produites devant ce comité aujourd’hui même car j’y ai consenti auprès de

M. Greenblatt [Mark Greenblatt, conseiller juridique du comité].

« Ce M. Greenblatt avait tout à fait raison. Ce qui compte, ce ne sont pas les noms qui se trouvent sur papier, ce qui compte c’est où se trouve l’argent. Monsieur le sénateur, qui m’a payé des centaines de milliers de dollars? La réponse à cette question est « personne ». Et si vous aviez trouvé une personne qui m’aurait un jour donné ne serait-ce qu’un sou, vous l’auriez convoquée ici aujourd’hui.

« Vous faites abondamment référence à une société nommée Aredio Petroleum dans ces documents. Je vous le déclare sous serment, je n’ai jamais entendu parler de cette société, je n’ai jamais rencontré personne de cette société, et cette société ne m’a jamais payé un seul sou. De plus, je peux vous garantir qu’Aredio Petroleum n’a jamais donné un seul sou à la campagne Mariam Appeal; pas une seule pièce.

« …Pas le moindre sou. Je ne sais pas qui sont les gens d’Aredio Petroleum mais j’ose affirmer que, si vous leur posiez la question, ils confirmeraient ne m’avoir jamais rencontré et ne m’avoir jamais versé un sou.

« Tant qu’à aborder ce sujet, qui est cet ancien haut fonctionnaire du régime à qui vous avez parlé hier? Ne croyez-vous pas que j’ai le droit de savoir? Ne croyez-vous pas que le Comité et le public ont le droit de savoir qui est cet ancien haut fonctionnaire du régime interviewé hier et que vous citez contre moi?

« Maintenant, une des erreurs les plus graves que vous avez faites dans cet ensemble de documents est, pour être franc, tellement grosse qu’elle ridiculise vos efforts. Vous affirmez à la page 19, non seulement une fois mais à deux reprises, que les documents auxquels vous faites référence couvrent une période différente de celle des documents couverts par The Daily Telegraph, qui ont fait l’objet d’une action en libelle que j’ai gagnée à la Haute Cour en Angleterre à la fin de l’année dernière.

« Vous affirmez que l’article du Daily Telegraph a cité des documents de 1992 et 1993 alors que vous traitez de documents datant de 2001. Sénateur, les documents du Daily Telegraph ont des dates identiques à celles des documents dont vous traitez dans votre rapport, ici. Aucun des

2

documents cités par le Daily Telegraph ne traitait de la période de 1992 ou 1993. Je n’ai jamais mis les pieds en Irak avant la fin de 1993, jamais au grand jamais. Il ne peut exister de documents liés au programme Pétrole contre Nourriture en 1992 ou 1993 puisque la formule Pétrole contre Nourriture n’existait pas encore à cette époque.

« Et pourtant, vous consacrez une section complète de ce document à affirmer que vos documents relèvent d’une époque différente de celle des documents du Daily Telegraph, alors que c’est le contraire qui est vrai. Vos documents et les documents du Daily Telegraph traitent exactement de la même période.

« Mais peut-être avez-vous confondu l’action en justice concernant le Daily Telegraph et le Christian Science Monitor. Il est vrai que le Christian Science Monitor a publié en premières pages un ensemble d’allégations contre moi qui sont très semblables à celles qu’a produites votre comité. Le Christian Science Monitor s’est effectivement appuyé sur des documents publiés à partir de 1992 et 1993. Mais le Christian Science Monitor lui-même a révélé par la suite qu’il s’agissait de faux.

« Eh bien, les sites Web néo-conservateurs pour qui vous êtes un tel héros, Sénateur, ont tous débordé d’enthousiasme lors de la publication des documents du Christian Science Monitor, ils étaient tous absolument convaincus de leur authenticité. Ils étaient tous absolument convaincus que ces documents montraient que j’avais reçu 10 millions de dollars du régime de Saddam. Et tout cela n’était que mensonges. .

« La même semaine où le Daily Telegraph a publié ses documents contre moi, le Christian Science Monitor a publié les siens, qui se sont révélés être des faux, et le journal britannique Mail on Sunday a acheté un troisième ensemble de documents qui, après expertise judiciaire, se sont eux aussi révélés être des faux. On voit bien qu’il n’y a rien d’imaginaire à propos de tout cela, absolument rien d’imaginaire. « L’existence de faux cherchant à m’impliquer dans des transactions commerciales avec le régime iraquien est un fait démontré. Il est démontré que ces faux existaient et qu’on les faisait circuler parmi les journaux de droite à Bagdad et partout dans le monde

immédiatement après la chute du régime iraquien.

« Sénateur, j’ai donné mon cœur et mon âme pour combattre la politique dont vous vous êtes fait le promoteur. J’ai mis toute mon énergie politique à tenter de stopper le massacre des Iraquiens par les sanctions imposées à l’Irak, des sanctions qui ont tué un million d’Iraquiens, pour la plupart des enfants, pour la plupart morts avant même de savoir qu’ils étaient Iraquiens, mais qui sont tout de même morts pour la seule raison qu’ils étaient Iraquiens et qu’ils ont eu la malchance de naître durant cette période. J’ai donné mon cœur et mon âme pour vous empêcher de commettre le désastre que vous avez commis en envahissant l’Irak. Et j’ai dit au monde entier que vos arguments pour mener cette guerre n’étaient qu’un ramassis de mensonges.

« J’ai dit au monde que l’Irak, contrairement à vos prétentions, ne possédait pas d’armes de destruction massive. J’ai dit au monde que l’Irak, contrairement à vos prétentions, n’avait pas de liens avec al-Qaeda. J’ai dit au monde que, contrairement à vos prétentions, le peuple iraquien résisterait à une invasion de son pays par les Britanniques et les Américains, et que la chute de Bagdad ne serait pas le commencement de la fin, mais bien la fin du commencement.

« Sénateur, dans tout ce que j’ai dit au sujet de l’Irak, il se trouve que j’ai eu raison et il se trouve que vous avez eu tort, et 100 000 personnes l’ont payé de leur vie, dont 1 600 soldats américains envoyés à la mort au nom d’un ramassis de mensonges, 15 000 d’entre eux blessés, dont beaucoup handicapés pour le reste de leur vie, au nom d’un ramassis de mensonges.

Si le monde avait écouté Kofi Annan, dont vous avez réclamé la destitution, si le monde avait écouté le président Chirac que vous tentez de dépeindre comme une sorte de traître corrompu, si le monde m’avait écouté et avait écouté le mouvement anti-guerre britannique, nous ne serions pas dans la situation désastreuse où nous nous trouvons aujourd’hui. Sénateur, cet écran de fumée est le pire de tous. Vous essayez de détourner l’attention de crimes que vous avez appuyés et du vol de milliards de dollars à même le trésor iraquien.

3

« Penchez-vous sur le véritable scandale du programme Pétrole contre Nourriture. Penchez-vous sur les 14 mois où vous étiez en charge de Bagdad, les premiers 14 mois où 8,8 milliards de dollars du trésor iraquien ont disparu, et ce sous votre garde. Penchez-vous sur Halliburton et les autres grandes entreprises américaines qui ont volé non seulement l’argent de l’Irak, mais l’argent des contribuables américains.

Penchez-vous sur le pétrole que vous ne preniez même pas la peine de mesurer, que vous sortiez du pays et vendiez, pour des recettes qui ont été dieu sait où? Penchez-vous sur les 800 millions de dollars que vous avez donnés aux commandants militaires américains pour distribution un peu partout au pays, sans même les compter.

Penchez-vous sur le véritable scandale qui émerge dans les journaux aujourd’hui et qu’ont révélé les témoignages devant ce comité, soit le fait que les principaux contrevenants aux sanctions n’ont pas été moi-même ou des politiciens russes ou français. Les véritables contrevenants aux sanctions ont été vos propres entreprises, de connivence avec votre propre gouvernement. »

© 2005 Times Newspapers