LETTRE OUVERTE
Lettre ouverte du Collectif Échec à la guerre parue dans les éditions papier et numériques de Le Devoir (20 septembre 2025)
En cette Journée internationale de la paix : choisir l’humanité, rejeter le militarisme!
La fièvre militariste monte de plus en plus en Occident. Elle prétend répondre à des menaces externes croissantes. Mais elle ne répond, au fond, qu’à un seul impératif : celui de maintenir l’hégémonie des États-Unis et d’assurer que tous leurs alliés y versent un tribut plus lourd – quitte à mettre la survie de l’humanité à risque.

L’emballement pour la défense en Occident ne date pas d’hier
Selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les dépenses militaires mondiales pour l’année 2024 se sont élevées à 2 718 milliards $US. En hausse constante depuis 10 ans (en termes réels), elles se sont accrues de 9,4 % de 2023 à 2024, « la plus forte hausse annuelle depuis au moins 1988 ».
Les États-Unis, comme toujours, trônent au sommet de ce funeste palmarès, comptant pour 37 % du total, soit plus que les 9 pays suivants réunis, dont la Chine (2e, 12 %) et la Russie (3e, 5,5 %). Le Canada, pour sa part, figure au 16e rang. À eux seuls, les 32 pays de l’OTAN (sur 193 dans le monde) comptent pour 55 % des dépenses militaires mondiales.
Les objectifs de dépenses de défense de l’OTAN : de 2 % à 5 % du PIB!
C’est au moins depuis 2006 que les pressions étasuniennes se sont maintenues sur les pays membres pour que leurs dépenses de défense atteignent effectivement 2 % de leur PIB. Selon l’OTAN, tous ses membres devraient avoir atteint ou dépassé ce seuil en 2025. Pour ce faire, le Canada a annoncé des dépenses supplémentaires de 9,3 milliards $, portant ses dépenses totales en matière de défense[1] à 62,7 milliards $, ce qui représente 12,8 % du budget fédéral.
C’est ainsi que le premier ministre Carney, qui se disait défenseur de l’indépendance du Canada, cède devant l’intimidation ouverte du président Trump. Ce sont les mêmes tarifs et autres menaces étasuniennes qui amènent le Canada à adopter le fol objectif de l’OTAN de consacrer, d’ici 2035, 5 % du PIB aux dépenses de défense. L’atteinte de cette cible cette année aurait exigé des dépenses de plus de 150 milliards $, soit 32 % du budget fédéral!
Bref, l’objectif de l’OTAN est de transformer nos économies en économies de guerre. Le gouvernement Carney annonce une nouvelle stratégie industrielle de défense. Le Canada et le Québec veulent leur part de l’expansion du marché de l’armement en Europe. Le Québec recherche aussi sa part des investissements militaires fédéraux à venir, alors que les lobbyistes des entreprises militaires de tout le Canada multiplient leurs représentations à cet égard. Investissement Québec a modifié sa politique d’investissement pour inclure le secteur militaire, alors que La Caisse (CDPQ) a annoncé vouloir s’y engager davantage.
Assurer la sécurité des Canadiennes et des Canadiens?
Accroître les dépenses militaires du Canada ne garantira en rien la sécurité de la population. Ce que les États-Unis et leurs alliés dépendants, dont le Canada, cherchent à préserver, ce n’est pas la sécurité de leurs populations, mais la rentabilité des investissements des multinationales et des super-riches et leur accès aux matières premières et aux marchés mondiaux.
Depuis 2018, sous le premier mandat de Trump, les États-Unis ont adopté la « compétition stratégique » avec la Chine et la Russie comme axe central de leur Stratégie de défense nationale. Cette orientation, adoptée par l’OTAN (juin 2022) et par le Canada (2024), s’accompagne d’une propagande de plus en plus intense, présentant la Chine et la Russie comme des menaces existentielles à « notre sécurité » et à « nos valeurs ». C’est à la faveur de cette propagande qu’on cherche à justifier la transformation des économies occidentales en économies de guerre.
L’enjeu central pour les États-Unis est de préserver leur hégémonie planétaire, de plus en plus contestée par la Russie, la Chine, le Sud global et même, beaucoup plus timidement, en Europe. Les pressions étasuniennes ne visent pas seulement à ce que leurs alliés atteignent la nouvelle cible de 5 % du PIB pour la défense, mais aussi à ce qu’ils achètent leur armement du complexe militaro-industriel étasunien, déjà responsable de 43 % des exportations mondiales d’armes.
Où tout cela nous conduit-il?
Les orientations actuelles du Canada et de l’OTAN, de plus en plus en conflit ouvert avec la Chine et la Russie, ne pourront mener qu’à davantage de guerres encore plus dévastatrices et risquent même de nous faire basculer vers l’holocauste nucléaire de l’humanité. Ce danger, bien loin d’être écarté, est actuellement accru par l’exacerbation des tensions mondiales et la course aux armements.
C’est à la satisfaction des besoins réels des populations, ici et partout dans le monde, que devraient servir les nouvelles sommes astronomiques que nos gouvernements s’apprêtent à engloutir dans les dépenses militaires… clairement pour servir d’autres objectifs. Comme le secrétaire général des Nations unies l’indiquait récemment, moins de 4 % des 2 700 milliards $US présentement consacrés aux dépenses militaires suffiraient à éliminer la faim dans le monde d’ici 2030, et un peu plus de 10 % suffiraient à vacciner complètement chaque enfant. Sans compter les sommes à consacrer pour la transition mondiale vers une économie verte, dans une perspective de justice climatique.
Au Québec et au Canada, alors que le logement, la santé et l’éducation sont lamentablement sous-financés, et qu’on nous annonce une nouvelle austérité budgétaire, il est scandaleux de voir le nouveau robinet grand ouvert par nos gouvernements aux grandes compagnies empressées de profiter du militarisme mortifère.
Signataires :
● Michèle Asselin, DG, Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)
● Sarah Charland-Faucher, coordonnatrice générale, Carrefour international bas-laurentien pour l’engagement social (CIBLES)
● Valérie Delage, DG, Comité de Solidarité Trois-Rivières
● Bertrand Guibord, président, Conseil central du Montréal métropolitain – CSN
● Marianita Hamel, co-coordonnatrice, Solidarité populaire Estrie
● Marc-Édouard Joubert, président, Conseil régional de la FTQ, Montréal métropolitain
● Benoît Lacoursière, président, Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN)
● Véronique Laflamme, porte-parole, Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
● Raymond Legault, porte-parole, Collectif Échec à la guerre
● Amélie Nguyen, coordonnatrice, Centre international de solidarité internationale (CISO)
● Françoise Ramel, vice-présidente, Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)
● Yasmina Moudda, DG par intérim, Alternatives
● Claude Vaillancourt, président, Attac Québec
[1] Au-delà du budget du ministère de la Défense, les normes de l’OTAN en matière de dépenses de défense sont définies largement, permettant d’y inclure notamment des dépenses de la Garde côtière canadienne, d’Affaires mondiales Canada, d’Anciens Combattants Canada et du Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CST).