En Colombie, le Groupe de La Haye accuse Israël de génocide
Par José Olivares, Drop Site, 15 juillet 2025
Texte original en anglais [Traduction : Maya Berbery; révision : Claire Lalande]
Une coalition multilatérale réunie à Bogotá entend prendre des mesures pour mettre fin au génocide perpétré par Israël, malgré la condamnation des États-Unis et les sanctions étasuniennes à l’encontre de l’ONU et des tribunaux internationaux.

BOGOTÁ, COLOMBIE — Mardi [15 juillet], des ministres et des délégué·e·s de plus de 30 pays se sont réunis à Bogotá, en Colombie, pour convoquer le Groupe de La Haye, une organisation internationale coprésidée par les gouvernements colombien et sud-africain. La conférence de deux jours discutera des mesures à prendre par la communauté internationale pour mettre fin au génocide des Palestinien·ne·s perpétré par Israël.
Cette réunion se tient dans un contexte marqué par l’intensification des attaques de la Maison-Blanche à l’endroit de la « conférence d’urgence » et de l’une de ses principales intervenantes, Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations Unies pour la Cisjordanie et Gaza, alors que l’État hébreu continue de saboter les négociations entre Israël et le Hamas.
Des dizaines de responsables de gouvernements du monde entier se sont rendus mardi matin au palais San Carlos, siège du ministère colombien des Affaires étrangères, dans le centre-ville de Bogotá. Les caméras, principalement celles des médias colombiens, se sont braquées sur le grand salon qui recevait un panel d’intervenant·e·s des quatre coins de la planète, avec pour toile de fond des drapeaux d’une vingtaine de pays. Parmi les pays représentés à la conférence d’urgence de cette semaine figurent l’Algérie, la Bolivie, la Chine, le Brésil, l’Irak, le Liban, le Nicaragua, Oman, le Pakistan, l’Espagne, la Turquie et le Venezuela.
Le Groupe de La Haye a été créé l’an dernier avec l’aide de l’Internationale progressiste, une organisation fondée en mai 2020 dans le but de rassembler, structurer et mobiliser les forces progressistes à l’échelle internationale. Le Groupe de La Haye intervient pour mettre fin à l’offensive israélienne et a organisé la conférence d’urgence tenue cette semaine. D’autres organisations prennent part à cet événement, notamment des groupes internationaux de défense des droits de la personne et des associations de protection des droits des Palestinien·ne·s, comme la Fondation Hind Rajab. Le Qatar et l’Égypte, qui supervisent les négociations entre le Hamas et le gouvernement israélien, participent également à la rencontre.
Interrogée sur les négociations entre le Hamas et Israël lors d’une conférence de presse mardi après-midi, Francesca Albanese a déclaré à Drop Site News : « Il n’y a rien à négocier. Israël doit se retirer totalement et sans condition de Gaza. C’est la première chose. Ensuite, Israël doit verser d’énormes réparations aux Palestinien·ne·s pour ce qu’il a fait », a-t-elle ajouté.
Cette conférence marque un tournant dans l’évolution des positions de certains États face au massacre des Palestinien·ne·s par les forces militaires israéliennes. Les gouvernements et les délégué·e·s politiques demeurent partagés sur la nature des pressions à exercer sur Israël, certain·e·s se montrant plus réticents que d’autres à l’idée de rompre les relations diplomatiques ou d’adopter des sanctions.
Des responsables gouvernementaux tiendront cette semaine des négociations de haut niveau en privé. Les responsables de plusieurs pays se réuniront mardi à huis clos pour examiner les mesures proposées par le Groupe de La Haye. Le contenu précis de ces mesures n’est pas encore connu, mais une annonce est attendue mercredi matin lors de la cérémonie de clôture. Au cours des séances privées de mardi, Francesca Albanese a partagé son expertise avec les participant·e·s internationaux.
« La Conférence de Bogotá marquera le moment où les États auront enfin décidé de passer du bon côté de l’histoire », a affirmé Francesca Albanese juste avant la conférence. Selon elle, la création du Groupe de La Haye représente « l’événement politique le plus important des 20 derniers mois ».
Mardi matin, à l’ouverture de la conférence, plusieurs délégué·e·s ont pris la parole pour demander la fin des attaques israéliennes contre Gaza. La ministre colombienne des Affaires étrangères, Rosa Yolanda Villavicencio, a affirmé dans son discours que les attaques israéliennes constituaient indéniablement un « génocide ».
La rencontre s’est déroulée dans un contexte d’intensification des critiques des États-Unis à l’égard du Groupe de La Haye et d’escalade des tensions entre la Maison-Blanche et la Colombie.
Dans un communiqué officiel adressé à Drop Site, le département d’État étasunien a désapprouvé énergiquement la tenue de la réunion du Groupe de La Haye en Colombie.
« Les États-Unis s’opposent fermement aux efforts déployés par les soi-disant “blocs multilatéraux” pour instrumentaliser le droit international et promouvoir des programmes radicaux hostiles à l’Occident », a déclaré un responsable du département d’État. « Le Groupe de La Haye – dont les principaux porte-parole sont l’Afrique du Sud et Cuba, des régimes, autoritaire pour l’un, communiste pour l’autre, et qui n’ont pas de leçons à donner en matière de droits de la personne – cherche à saper la souveraineté des nations démocratiques en isolant et en tentant de délégitimer Israël et se prépare clairement à prendre pour cible les États-Unis, notre armée et nos alliés. »
« Nous défendrons avec vigueur nos intérêts, notre armée et nos alliés, y compris Israël, contre ces assauts juridiques et diplomatiques coordonnés et nous exhortons nos amis à se joindre à nous dans cette entreprise cruciale », a soutenu l’administration Trump qui a retiré les États-Unis du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.
Annelle Sheline, ancienne responsable des affaires étrangères au département d’État des États-Unis, qui a démissionné en mars 2024 à la suite des massacres à Gaza, participe aux travaux de cette semaine. S’exprimant à propos de la tentative du département d’État d’intimider les pays participant à la réunion d’urgence du Groupe de La Haye, elle a déclaré à Drop Site : « Ce sont des États souverains, légitimement habilités à respecter leurs obligations en tant que membres des Nations Unies, en application de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide. Il ne s’agit pas d’utiliser le droit international comme une arme. Il s’agit d’appliquer le droit international », a-t-elle précisé.
La semaine dernière, le secrétaire d’État Marco Rubio a annoncé des sanctions à l’encontre de Francesca Albanese, qui a vigoureusement condamné l’attaque militaire israélienne soutenue par les États-Unis. Selon Marco Rubio, ces sanctions sont motivées par ce qu’il qualifie d’« efforts illégitimes et honteux » de Francesca Albanese pour pousser la Cour pénale internationale à intervenir contre des responsables, des entreprises et des dirigeant·e·s étatsuniens et israéliens. « La guerre politique et économique menée par Mme Albanese contre les États-Unis et Israël ne sera plus tolérée », a-t-il conclu.
Lors de la conférence de presse, Francesca Albanese a indiqué que les nations devraient rompre leurs relations avec Israël et lui imposer des sanctions. S’agissant des sanctions prises à son endroit par Marco Rubio, elle a déclaré : « Il ne s’agit pas de moi; il s’agit du peuple palestinien », précisant que ces sanctions sont essentiellement symboliques. Bien qu’affectée par les mesures étasuniennes, Francesca Albanese estime que ces sanctions illustrent l’esprit de la guerre en cours et la complicité des États-Unis.
« Il y a bon espoir que ces deux jours inciteront tous les participant·e·s à collaborer pour adopter des mesures concrètes en vue de mettre fin au génocide à Gaza et, espérons-le, d’arrêter l’anéantissement des Palestinien·ne·s », a déclaré Francesca Albanese lors de son discours à l’ouverture de la conférence d’urgence, appelant les États à prendre des mesures décisives pour lutter contre le génocide.
Francesca Albanese a demandé à tous les États de « revoir et de suspendre immédiatement toute relation avec Israël », de revoir les « relations militaires, stratégiques, politiques, diplomatiques et économiques – qu’il s’agisse des importations ou des exportations » avec Israël et de « s’assurer que le secteur privé, les assureurs, les banques, les fonds de pension, les universités et autres fournisseurs de biens et services dans les chaînes d’approvisionnement du pays fassent de même ». Francesca Albanese a récemment publié un rapport accusant les entreprises étasuniennes de complicité dans la guerre menée par Israël.
« Ces liens doivent être rompus de toute urgence, et soyons clairs : je veux dire rompre les liens avec Israël dans son ensemble », a-t-elle ajouté.
Colombie : pays hôte contre le génocide
La tenue de la conférence d’urgence en Colombie a une portée symbolique importante. L’an dernier, le président colombien, Gustavo Petro, a rompu les relations diplomatiques avec Israël en réaction au génocide à Gaza. Petro, critique virulent d’Israël et des États-Unis, avait lui aussi subi d’énormes pressions de la part du gouvernement étasunien.
Au cours des premières semaines du mandat de Donald Trump, les tensions bilatérales se sont exacerbées lorsque la Colombie a refusé d’accueillir un groupe de ressortissant·e·s expulsés, arrivés menottés par avion militaire. Des échanges publics enflammés entre les présidents Trump et Petro sur les réseaux sociaux ont suivi, conduisant à des menaces réciproques d’imposition de tarifs douaniers.
Cette flambée des tensions ne constitue pas un simple accroc dans les relations entre les États-Unis et la Colombie. Ces dernières semaines, la situation s’est considérablement tendue. Début juillet, les deux pays ont rappelé leur ambassadeur en raison de l’escalade.
Selon El País, Álvaro Leyva, ancien ministre colombien des Affaires étrangères, qui s’était publiquement brouillé avec le président Petro à la suite d’une enquête pour allégations de corruption, aurait sollicité le soutien de membres du Parti républicain aux États-Unis dans le but de destituer Gustavo Petro. Ces démarches ont échoué. En avril, il avait publiquement accusé le président Petro d’être toxicomane.
Après la révélation des allégations de tentative de destitution, Gustavo Petro a publiquement critiqué Álvaro Leyva et la Maison-Blanche. En réaction, les autorités étasuniennes ont rappelé leur haut diplomate pour des « consultations d’urgence », qualifiant les propos du président colombien d’« infondés et répréhensibles ». Ce dernier a répondu en annonçant le rappel de l’ambassadeur colombien à Washington.
Lors de la réunion de mardi [le 15 juillet], Rosa Yolanda Villavicencio, ministre colombienne des Affaires étrangères, a ouvert les débats en affirmant : « La position de la Colombie est sans équivoque : les événements à Gaza constituent un génocide. Cette réunion vise donc à dépasser le stade des déclarations. Notre objectif est de soutenir les enquêtes de la Cour pénale internationale, de solliciter l’intervention de la Cour internationale de justice, de recommander des sanctions ciblées et de mobiliser tous les instruments prévus par le droit international ».
Représentation internationale
Parmi les intervenant·e·s présents mardi matin se trouvaient Riyad Mansour, ambassadeur palestinien et observateur permanent de la Palestine auprès des Nations Unies; Varsha Gandikota-Nellutla, secrétaire exécutive du Groupe de La Haye; Zane Dangor, directeur général du Département des relations internationales et de la coopération d’Afrique du Sud; ainsi que le Dr Thaer Ahmad, médecin palestino-américain ayant exercé à Gaza.
Le Dr Ahmad a parlé ouvertement des ravages qu’il a observés l’année dernière alors qu’il travaillait à l’hôpital Nasser de Khan Younis et à l’hôpital Al Aqsa de Deir El Balah : « Les premiers intervenants et les ambulanciers sont empêchés de faire leur travail ou sont parfois tués dans l’exercice de leurs fonctions », a-t-il déclaré. « La famine et l’eau sont utilisées comme armes de guerre. »
Riyad Mansour a également pris la parole lors de l’ouverture de la conférence. « Les valeurs fondamentales que nous pensions universelles sont brisées, réduites en miettes, tout comme les dizaines de milliers de civils affamés, assassinés et blessés en Palestine », a-t-il déclaré. « Il ne suffit pas de rendre des comptes pour instaurer la justice en Palestine. Nous devons démanteler le régime d’occupation coloniale illégale et d’apartheid pour que les crimes effroyables actuellement commis ne se reproduisent pas. Le meilleur moyen et le plus sûr de protéger le peuple palestinien contre d’autres crimes, c’est la liberté. »