Le pari nucléaire des États-Unis : le dangereux mouvement pour la reprise des essais atmosphériques
Par Karl Grossman, Nation of Change, 10 février 2025
Texte original en anglais [Traduction : Vincent Marcotte; révision : Échec à la guerre]
Les experts mettent en garde contre des retombées catastrophiques alors que les appels se multiplient pour relancer les essais d’armes nucléaires abandonnés depuis 1963.

« Les États-Unis pourraient devoir reprendre les essais d’explosions d’armes nucléaires », a déclaré dans un long rapport publié le mois dernier Robert Peters, chargé de recherche sur la dissuasion nucléaire et la défense antimissile à la Heritage Foundation, l’organisation de droite proche de l’administration Trump. Publié le 15 janvier, il était intitulé : « Les États-Unis doivent se préparer à tester des armes nucléaires ».
Peters a déclaré que « le président pourrait ordonner l’essai d’une arme nucléaire dans l’atmosphère… De plus, même si la sortie des États-Unis du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires n’est pas idéale et qu’elle pourrait effectivement avoir des répercussions négatives en aval, elle peut être nécessaire pour prévenir une nouvelle escalade de la part de nos adversaires. »
Peters a affirmé qu’aucune arme nucléaire n’a été testée dans l’atmosphère aux États-Unis depuis 1962. C’était un an avant que le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires de 1963 ne soit signé par les États-Unis, l’Union soviétique et le Royaume-Uni. Ce traité interdit les essais d’armes nucléaires dans l’atmosphère, sous l’eau ou dans l’espace. Il autorise toutefois les essais souterrains à condition qu’ils ne provoquent pas « la présence de débris radioactifs en dehors des limites territoriales de l’État dont relève l’autorité ou le contrôle » de l’essai.
« La reprise des essais atmosphériques d’armes nucléaires serait désastreuse », a déclaré Joseph Mangano, directeur général du Radiation and Public Health Project. Il évoque « les leçons tirées des essais atmosphériques d’armes nucléaires, notamment les retombées radioactives qui ont affecté de nombreuses personnes, particulièrement des nourrissons et des enfants ».
Le témoignage d’un cofondateur du Radiation and Public Health Project, le regretté Dr Ernest Sternglass, physicien, devant le Congressional Joint Committee on Atomic Energy de l’époque, a joué un rôle déterminant dans la signature par le président John F. Kennedy du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires de 1963.
Comme l’a déclaré le président Kennedy lors d’un discours à la nation en 1963, « [c]e traité peut constituer une étape en vue de libérer le monde de la peur des retombées radioactives et de leurs dangers ». Il a ajouté « qu’au fil des ans, le nombre et la puissance des armes testées ont rapidement augmenté, tout comme les risques radioactifs liés à ces tests. La poursuite des essais sans restriction par les puissances nucléaires, auxquelles se joindront éventuellement d’autres nations moins enclines à limiter la pollution, contaminera de plus en plus l’air que nous devons tous respirer ». Kennedy a évoqué des conséquences telles que « des enfants et des petits-enfants atteints de cancers dans les os, de leucémies dans le sang ou de poison dans les poumons ».
La publication de 900 pages de la Heritage Foundation, intitulée Project 2025, constitue le « programme de gouvernement » de l’administration Trump, a écrit Susan Caskie, rédactrice en chef du magazine The Week, dans sa dernière parution. « Plusieurs de ses auteurs et de ses collaborateurs », note-t-elle, sont aujourd’hui membres de l’administration, certains étant même nommés à « des postes au sein du cabinet ».
Un article paru dans le Bulletin of the Atomic Scientists en septembre dernier s’intitulait « La position du Project 2025 sur les essais nucléaires : un dangereux recul ». Il a été rédigé par Tom Armbruster, ancien ambassadeur des États-Unis aux Îles Marshall, et auparavant responsable des affaires nucléaires à l’ambassade des États-Unis à Moscou. Il écrivait : « À la page 431, Project 2025 invite les États-Unis à « rejeter la ratification du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires et à manifester leur volonté, si cela s’avère nécessaire, de procéder à des essais nucléaires en réponse aux avancées nucléaires de leurs adversaires. Il faudra alors ordonner à la National Nuclear Security Administration d’assurer sa disponibilité opérationnelle pour les essais » ».
M. Armbruster a déclaré : « Nous devrions être en train de mener des négociations pour réduire encore davantage les arsenaux nucléaires mondiaux, interdire les armes dans l’espace extra-atmosphérique et assainir les sites d’essai « historiques » dans le monde entier. Il serait bénéfique que la Russie soit un partenaire responsable en matière de dénucléarisation, mais ce n’est malheureusement pas le cas. Nous pourrions coopérer pour trouver des moyens de restaurer la planète, au lieu d’infliger des dommages additionnels qui persisteront durant des milliers d’années ».
Dans son rapport, M. Peters a déclaré : « Il y a deux raisons principales pour lesquelles les États-Unis pourraient vouloir reprendre les essais nucléaires dans les années à venir. Premièrement, s’il est peut-être exact techniquement que les États-Unis n’ont pas besoin de tester leur arsenal actuel, le pays construit quand même de nouvelles ogives à l’heure actuelle dans le cadre de l’effort de modernisation du nucléaire. »
« Il pourrait être nécessaire de tester ces nouveaux systèmes pour s’assurer qu’ils fonctionnent comme prévu », a-t-il poursuivi. « La modélisation et la simulation peuvent suffire à évaluer la viabilité et les caractéristiques de ces nouvelles ogives, mais il ne s’agit pas d’une méthode éprouvée. De plus, la raison d’être des armes nucléaires est de dissuader les adversaires de commettre des actes d’agression dévastateurs. Ainsi, même si les essais d’explosifs nucléaires ne sont pas nécessaires pour convaincre les décideurs étasuniens que les systèmes nucléaires de nouvelle génération fonctionnent, ils peuvent l’être pour convaincre les adversaires des États-Unis que son arsenal nucléaire est à prendre au sérieux. »
« Deuxièmement, et plus important encore, a déclaré Peters, un essai d’explosion nucléaire pourrait être nécessaire pour démontrer de la fermeté. Ces dernières années, les autocrates ont eu de plus en plus recours à la coercition ou aux menaces nucléaires pour tenter d’intimider l’Occident ou d’obtenir des concessions géopolitiques. »
M. Peters a également affirmé : « Bien que les États-Unis aient signé et ratifié le traité sous la présidence de Kennedy, et qu’ils aient respecté ses exigences pendant plus de six décennies, le traité permet à un état de se retirer avec un préavis de trois mois si ce dernier estime que cela relève de ses intérêts nationaux. »
C’était également dans le Bulletin of the Atomic Scientists que Mangano et Robert Alvarez, ancien conseiller politique principal du secrétaire au Département étasunien de l’Énergie et aujourd’hui conseiller politique principal à l’Institute for Policy Studies, ont écrit un article en 2021 sur les retombées radioactives des essais d’armes nucléaires et l’étude sur les « dents de lait ».
« Combien d’armes nucléaires peut-on faire exploser dans le cadre de la conception d’armes ou pendant une guerre sans mettre en danger les êtres humains à cause des retombées radioactives? », commençait l’article. « Pour trouver la réponse, des scientifiques indépendants et des citoyens se sont tournés vers les dents de lait. Beaucoup, beaucoup de dents de lait. Pourquoi les dents de lait? Le strontium 90, l’isotope le plus couramment mesuré dans ces tissus, est absorbé comme s’il s’agissait de calcium. Cet isotope se loge dans les tissus osseux humains pendant de nombreuses années. Il a d’ailleurs été le principal contaminant d’intérêt lors des enquêtes sur les retombées radioactives… »
Ils ont relaté comment « le St. Louis Committee for Nuclear Information et des scientifiques de l’université de Washington ont commencé, à partir de décembre 1958, à assembler la plus importante collection de prélèvements humains de l’ère des essais de bombes atmosphériques ». 320 000 dents de lait furent offertes en dons.
« Bien que Saint-Louis soit demeuré le point central du programme, des militants d’autres états ont également fourni des dents. Les bénévoles préparaient les dents pour les tests en laboratoire sur le strontium 90 et les envoyaient à Harold Rosenthal, chimiste à l’université de Washington. »
Selon un article paru en 2023 dans le Journal of Social Determinants of Health and Health Services, on a découvert que la teneur en strontium 90 a été multipliée par 63 dans les dents de lait des enfants nés durant les années qui ont suivi le début, en 1950, des essais nucléaires à grande échelle dans l’atmosphère, et qu’elle a ensuite diminué de moitié dans les cinq années suivant l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires de 1963. « Cela a permis de sauver de nombreuses vies », a commenté M. Mangano. Cet article a été rédigé par Timothy Mousseau, professeur de biologie à l’université de Caroline du Sud, Michael Ketterer, professeur émérite de chimie et de biologie à l’université d’Arizona du Nord, Kelli S. Gaus, qui étudiait alors en vue d’obtenir une maîtrise en santé publique dans le domaine de l’épidémiologie appliquée, et par Mangano. Il s’intitulait « La présence de strontium 90 dans les dents de bébé comme fondement pour l’élimination des décès par cancer dus aux retombées des armes nucléaires aux États-Unis ».
Si les essais nucléaires dans l’atmosphère devaient reprendre, reviendrait-on comme aux années marquées par les retombées radioactives et les effets sur la santé qu’elles entraînent? Et comme l’a déclaré Kennedy, « des enfants et des petits-enfants atteints de cancers dans les os, de leucémies dans le sang ou de poison dans les poumons ».