Les représentants de Trump au Moyen-Orient sont-ils en train de pousser le Liban vers une autre guerre civile?
Par Séamus Malekafzali, The Intercept, 5 septembre 2025
Texte original en anglais [Traduction : Dominique Peschard; révision : Martine Eloy]
Un plan des États-Unis pour désarmer le Hezbollah crée des tensions, et Israël attend dans les coulisses.

Le premier ministre du Liban, Nawaf Salam, a fait une annonce le 7 août qui aurait été impensable il y a seulement un an : que le Hezbollah – en fait, que toutes les milices du pays – seraient désarmées avant la fin de l’année 2025.
Le Hezbollah, une organisation politique shiite longtemps considérée plus puissante que l’armée libanaise, est sur la défensive depuis son cessez-le-feu de novembre 2024 avec Israël. Depuis ce temps, le groupe a été incapable d’intervenir de nouveau, que ce soit pour Gaza ou pour l’Iran. Maintenant qu’il est en position de faiblesse, il y a une poussée pour neutraliser complètement le Hezbollah. Mais cette poussée vient-elle de l’intérieur du Liban ou de l’extérieur de ses frontières?
Bien que le plan de désarmement ait été annoncé par le gouvernement libanais, l’impulsion est une initiative étatsunienne sans vergogne que la presse arabe décrit ouvertement comme le « document américain ». De leur côté, les représentants de Donald Trump dans la région disent que le plan peut apporter la prospérité à un Liban en dépression économique, et les partisans domestiques du désarmement – avant tout les supporteurs de partis alliés à Israël dans les années 1980 – le vante comme la voie qui permettra de restaurer la capacité du Liban de se gouverner.
Cependant, plusieurs personnes appartenant aux échelons supérieurs du pouvoir au Liban voient le plan différemment : les États-Unis et Israël mènent le Liban vers une guerre civile dévastatrice.
Jusqu’à maintenant, le Hezbollah a farouchement refusé de désarmer, proclamant que le groupe combattrait toute tentative du genre sans un plan global qui permette à l’armée nationale de tenir tête à l’agression d’Israël.
Les représentants des États-Unis aiment dire comment la population libanaise veut voir le Hezbollah désarmé, mais des données préliminaires ne soutiennent pas ce point de vue. Un sondage fait après l’annonce du projet de désarmement montre que 58 % du pays est contre le désarmement du groupe sans un plan pour faire face à Israël. D’après ce sondage, réalisé par le Consultative Center for Studies and Documentation, 71 % des répondant·e·s croient que l’armée est incapable de confronter Israël.
Les États-Unis
Bien que l’administration Trump ait un ambassadeur au Liban, la personne principale en charge de la politique étrangère pour ce pays est Tom Barrack. Officiellement ambassadeur en Turquie et représentant spécial pour la Syrie, Barrack continue de faire monter la pression sur l’État libanais.
Il a demandé que l’armée du Liban devienne « une force de maintien de la paix et non une force militaire offensive ». Il veut que le Liban entre dans des pourparlers directs avec Israël, décrivant leur manque de contacts « insensé ». Le manque de retenue de Barrack a offensé beaucoup de personnes comme lorsque qu’il a qualifié les journalistes libanais d’« animaux », disant qu’ils étaient « ce qui allait de travers dans la région » après que ces derniers l’aient talonné lors d’une conférence de presse.
L’envoyée spécial adjoint du président des États-Unis au Moyen-Orient, Morgan Ortagus, est également devenue un visage familier pour les Libanais·es. Elle aussi a fait fi des sensibilités régionales. Alors qu’elle était à la résidence du président du Liban, elle a remercié « notre allié israélien d’avoir vaincu le Hezbollah » avant d’ajouter que le Hezbollah ne ferait pas partie du prochain gouvernement (dans lequel il a quand même reçu deux ministères).
Ces émissaires des États-Unis ont clairement exprimé que le plan de désarmer le Hezbollah était une initiative des États-Unis. Lors d’un voyage à Beyrouth, Ortagus a déclaré : « Nous sommes ceux qui allons désarmer le Hezbollah. C’est nous qui allons refaire du Liban un état souverain et indépendant ».
La souveraineté est régulièrement invoquée dans le discours des États-Unis sur le Liban. On parle d’un Liban économiquement stable, qui se gouverne lui-même, peut-être même d’un pacte de défense avec les États-Unis – en autant que les Libanais·es fassent exactement ce que Washington leur dit de faire. La dissonance d’imposer la souveraineté à un pays n’a pas échappé aux critiques du gouvernement libanais qui sont devenus impatients avec l’inaction du gouvernement face au contrôle croissant des États-Unis sur les affaires libanaises.
À qui la Zone?
Le cessez-le-feu avec le Hezbollah a permis à l’armée israélienne de créer une zone tampon le long de la frontière et de détruire de grandes étendues du Sud sans interférence. Des anciens lieux, il ne reste plus que des coquilles. Le manque de fonds gouvernementaux et les attaques israéliennes contre les efforts de construction ont empêché le redéveloppement. Pendant qu’Israël lance des attaques contre des excavatrices et des maisons préfabriquées, la solution des États-Unis au problème est de créer une « zone économique » au Sud-Liban qui ressemble beaucoup à l’infame plan d’une « riviera à Gaza » mis de l’avant par l’administration Trump.
Bien que Barrack prend soin de comparer la zone proposée aux zones économiques dans les régions de Suez en Égypte et d’Aqaba en Jordanie, le but avoué du plan est d’empêcher le Hezbollah de reconstruire le long de la frontière. Il y a de plus en plus de préoccupations que le but de la création de la zone est de déplacer la population locale.
Cette semaine, le journal an-Nahar rapportait que des terres appartenant à de nombreuses villes seraient saisies afin de construire des projets solaires et agricoles. Selon le reportage, une structure de « gestion étatsunienne de sécurité » dans la zone faciliterait la coopération entre le Liban et Israël – qui garderait une complète liberté d’opération à l’intérieur de la zone.
Bien qu’Israël ne se soit pas officiellement prononcé sur le plan, selon le Jerusalem Post, le gouvernement israélien serait en faveur de permettre le développement de manufactures et « d’autres zones industrielles » dans le Sud, en autant que la « zone tampon » reste en place et qu’on ne permette pas à la population de revenir.
Un plan qui s’effiloche
Le Hezbollah, pour sa part, a prévenu que tenter de l’obliger à se désarmer pourrait faire éclater la fragile coexistence religieuse du pays. Le chef du Hezbollah, Naim Qassem, a déclaré qu’il mènerait, si nécessaire, une bataille comme celle de Karbala pour empêcher d’être désarmé – en référence à l’ultime bataille menée jusqu’à la mort, par le petit-fils du prophète Mahomet au 7e siècle, avec 70 hommes contre l’armée umayyade de 4 000. On rapporte aussi que le commandant de l’armée libanaise, Rodolphe Haycal, est devenu tellement mal à l’aise avec la sévérité des demandes des États-Unis qu’il a menacé de démissionner plutôt que de « faire couler le sang des Libanais ».
Des membres des partis anti-Hezbollah au parlement, plus amicaux avec les États-Unis et la perspective de paix avec Israël, ont également montré de l’intérêt pour une « zone économique » sécurisée par les États-Unis au sud. Un d’eux a prétendu que l’armée libanaise pourrait facilement « isoler et sceller » les zones contrôlées par le Hezbollah si nécessaire. Un autre, membre des Forces libanaises, l’organisation qui a commis le massacre de Sabra et Chatila en 1982, a clairement dit : « Une intervention étrangère est dans l’intérêt du Liban ».
L’échéance du mois d’août pour un plan structuré de désarmement du Hezbollah est dépassée, et les premières tentatives pour désarmer les camps de réfugié·e·s palestiniens ont été tournées en dérision et traitées de mises en scène pour les médias régionaux. Des armes vétustes ont été rendues, et seulement par le Fatah, le parti dirigé par Mahmoud Abbas à l’origine du plan. Ce que le gouvernement qualifiait il y a un mois de plan sérieux pour atteindre un « monopole des armes » est en voie de s’effilocher rapidement.
[Dans la soirée du 3 septembre dernier], une vague de frappes aériennes israéliennes ciblait un stationnement d’excavatrices à l’extérieur de la ville d’Ansariya dans le Sud. L’armée israélienne a prétendu que les excavatrices étaient utilisées « pour faire avancer des plans terroristes ». Les résidentes et résidents locaux ont dit qu’elles étaient utilisées pour reconstruire la ville bombardée par Israël pendant la guerre. Du milieu de la carcasse brulée d’une des machines, le dirigeant de la municipalité a crié sa colère : « Ils détruisent pour que nous ne puissions pas reconstruire? Nous creuserons avec nos mains! Ils veulent enlever les armes? Qu’ils les prennent. Ces souliers deviendront des projectiles lancés dans leurs visages, ici et ailleurs. »