Lettre ouverte du 24 février 2023: Russie, Ukraine, OTAN : cessez-le-feu et négociez! – texte publié dans le Devoir

La lettre ci-dessous a été publiée par le journal Le Devoir, le 24 février 2023 pour marquer l’an 1 de la guerre en Ukraine et en appeler à un cessez-le-feu et à des négociations sérieuses pour mettre fin à la guerre.

Co-signée par le Comité porte-parole du Collectif, la lettre est également disponible en version intégrale.

Lien pour télécharger le texte publié par Le Devoir.

Russie, Ukraine, OTAN : cessez-le-feu et négociez!

Après une année de guerre dévastatrice, la plupart des analystes considèrent que ni la Russie, ni l’Ukraine – même avec l’énorme soutien de l’OTAN – n’ont la capacité de réaliser une victoire militaire dans un avenir prévisible. Pour éviter un enlisement sur plusieurs années, sans parler du risque croissant d’une troisième guerre mondiale, une alternative s’impose : un cessez-le-feu et des négociations sérieuses dès maintenant pour mettre fin à la guerre.

La poursuite de l’escalade et ses risques planétaires

Plusieurs pays membres de l’OTAN, dont le Canada, n’ont d’abord fourni à l’Ukraine – ouvertement en tout cas – que des armes non létales, pour ensuite lui fournir artillerie et munitions, puis armes anti-char et antiaériennes, puis chars lourds Léopard 2 et, peut-être bientôt, des missiles de plus longue portée et des avions de combat.

À chaque étape, on disait ne pas vouloir traverser la « fine ligne » d’une trop grande implication dans la guerre, la transformant ouvertement en affrontement OTAN-Russie. Puis, on traversait la ligne et on la repoussait un peu plus loin. Fin janvier, alors que l’Allemagne était soumise à d’intenses critiques pour son hésitation à autoriser le transfert de ses chars, sa ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a laissé échapper au Parlement européen « Nous menons une guerre contre la Russie et non les uns contre les autres ».

Le 13 février dernier, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, déclarait que l’Ukraine utilise plus de munitions que l’OTAN n’en produit. Deux semaines plus tôt, le président du Comité militaire de l’OTAN, le lieutenant-amiral Rob Bauer, en entrevue à la télé portugaise, avait invité les membres de l’OTAN à passer à une économie de guerre pour accroître leur production militaire.

Au cours de la même entrevue, Rob Bauer disait aussi que l’OTAN était « prête à un affrontement direct » avec la Russie. Ce qui est encore plus troublant que la déclaration elle-même, c’est que les grands médias n’ont même pas souligné la pure folie d’envisager sérieusement un tel scénario entre des pays détenant ensemble près de 94 % de l’arsenal nucléaire mondial.

L’agenda des États-Unis : prolonger la guerre

Les États-Unis n’ont pas pour objectif la victoire de l’Ukraine mais bien plutôt d’affaiblir la Russie au maximum. Mais cet objectif d’affaiblir la Russie, en tant que puissance rivale aux plans économique, stratégique et militaire, est au cœur de la politique étasunienne face à ce pays depuis des années. C’est ce qui explique son encerclement graduel par l’OTAN, les bases de missiles antimissiles en Roumanie et en Pologne, les sanctions imposées sous la présidence Trump contre le projet de construction du pipeline Nord Stream 2, etc.

Le 8 février dernier, le journaliste d’enquête Seymour Hersh, célèbre notamment pour avoir révélé le massacre de My Lai perpétré par les États-Unis au Vietnam en 1968 et la torture qu’ils ont pratiquée à la prison d’Abou Ghraib en Irak en 2003-2004, a publié les résultats d’une autre enquête imputant aux États-Unis la responsabilité de l’opération de sabotage du pipeline Nord Stream 2. Ce véritable acte de guerre, dont la préparation avait commencé avant l’invasion de l’Ukraine, montre jusqu’où les États-Unis sont prêts à aller pour écarter la Russie du marché européen du gaz et du pétrole et de la position de partenaire stratégique de l’Europe qui en découle.

Il faut se rappeler qu’au cours des mois qui ont précédé son invasion, la Russie avait insisté pour négocier de nouveaux traités de sécurité mutuelle avec l’OTAN et avec les États-Unis. Il faut se rappeler aussi que dès le début de la guerre, en mars 2022, des négociations se sont ouvertes par l’entremise de l’ex-Premier ministre israélien, Naftali Bennett, et du ministre des Affaires étrangères de la Turquie, Mevlut Cavusoglu. Malgré les difficultés, il semble que des progrès étaient réalisés vers un accord.

Dans le premier cas, les États-Unis ont affiché une fin de non-recevoir aux propositions de négociations de la Russie. Or il arrive que tout récemment, le 4 février 2023, Naftali Bennett a révélé que ce sont aussi les États-Unis qui ont bloqué le processus de négociation dans lequel il s’était engagé, alors qu’il avait l’impression que Zelensky et Poutine voulaient tous les deux un cessez-le-feu.

Le discours politique manichéen d’une lutte à finir entre le Bien et le Mal est celui d’une guerre qu’on veut longue. Et c’est précisément l’objectif des États-Unis qui, pour le moment en tout cas, engrangent de nombreux bénéfices stratégiques et économiques de cette guerre. Jusqu’où iront-ils dans cette voie et jusqu’où leurs alliés de l’OTAN les suivront-ils?

L’urgence d’une solution négociée

En novembre dernier, le chef d’État-major étasunien, Mark Milley, considérant les gains territoriaux réalisés par l’Ukraine grâce à sa contre-offensive et l’improbabilité de nouveaux gains dans un avenir prévisible, affirmait que l’Ukraine devrait en profiter pour s’engager dans des négociations avec la Russie. Le 20 janvier 2023, il réitérait qu’il estimait que la guerre se conclurait par des négociations plutôt que par une victoire décisive d’un côté ou de l’autre.

Poursuivre la guerre en Ukraine, pendant encore des mois, voire des années, c’est amplifier l’horreur, la destruction et la haine, pour risquer de n’aboutir qu’à la partition du pays. Poursuivre et accroître la participation de l’OTAN à cette guerre, c’est s’enfoncer dans la voie de la militarisation de nos sociétés, nous détournant de la lutte contre le réchauffement climatique, les injustices et l’exclusion croissantes ici et dans le monde.

Nous appelons donc à un cessez-le-feu et à des négociations immédiates visant une réponse  mutuellement acceptable aux enjeux sécuritaires de l’Ukraine et de la Russie, et  une voie de résolution à la guerre civile qui oppose, depuis 2014, le gouvernement de Kiev aux deux républiques autoproclamées du Donbass. Des négociations doivent aussi s’engager entre les États-Unis et la Russie pour établir de nouveaux traités de désarmement nucléaire.

L’humanité ne peut se permettre une troisième guerre mondiale. C’est le temps de négocier et c’est encore possible.

Pour le Collectif Échec à la guerre

Jean Baillargeon
Judith Berlyn
Martine Eloy
Mouloud Idir-Djerroud
Raymond Legault
Suzanne Loiselle