Pour l’amour du ciel, les gars, ARRÊTEZ CETTE GUERRE DE MER**!!! (traduction)

Pour l’amour du ciel, les gars, ARRÊTEZ CETTE GUERRE DE MER**!!!

Par Ann Wright, CODEPINK, 26 janvier 2022

Texte original en anglais [Traduction : Maya Berbery; révision : Échec à la guerre]

À propos de l’autrice : Ann Wright a servi pendant 29 ans dans l’armée des États-Unis et l’armée de réserve, se retirant avec le rang de colonelle. Elle a également été diplomate et a servi dans les ambassades des États-Unis au Nicaragua, à Grenade, en Somalie, en Ouzbékistan, au Kirghizistan, en Sierra Leone, en Micronésie, en Afghanistan et en Mongolie. Elle a démissionné du gouvernement des États-Unis en 2003 pour s’opposer à la guerre du président Bush contre l’Irak. Elle est la coautrice de Dissent: Voices of Conscience.

Nous avons déjà vu ce film. Les États-Unis créent une situation, s’entêtent et lancent des ultimatums — et puis on compte les morts par dizaines de milliers.

J’ai démissionné du gouvernement des États-Unis en 2003 pour m’opposer à une autre guerre — celle du président Bush contre l’Irak : une autre guerre mais le même scénario.

Nous l’avons vu en Afghanistan et en Irak. Et maintenant, nous le verrons peut-être concernant l’Ukraine ou Taïwan. Oh oui, n’oublions pas les essais de missiles à répétition de la Corée du Nord, les combattants de l’État islamique en révolte qui s’échappent des prisons syriennes, les millions d’Afghan.e.s qui meurent de faim et de froid dans le sillage du retrait chaotique des États-Unis et de leur refus de débloquer les actifs financiers gelés de l’Afghanistan.

Et c’est sans compter les dommages émotionnels et physiques causés aux propres forces militaires étasuniennes par la contamination de l’eau potable d’un réseau desservant 93 000 personnes, principalement les familles du personnel de la marine et de l’armée de l’air du Commandement indopacifique à Hawaï — malgré des avertissements répétés pendant une vingtaine d’années, la marine des États-Unis a refusé de condamner un réservoir de kérosène vieux de 80 ans qui a fui dans les puits d’eau potable. Et voilà une armée près du point de rupture.

Qu’il s’agisse des responsables de la politique militaire à Washington, des soldats sur le terrain en Europe et au Moyen-Orient ou de ceux à bord de navires et d’avions dans le Pacifique, l’armée étasunienne est près du point de rupture.

Au lieu de ralentir et de faire marche arrière, l’administration des États-Unis, dirigée par un secrétaire d’État très agressif, Antony Blinken, un secrétaire à la Défense très complaisant, Lloyd Austin, et le président Biden lui-même, semble avoir donné feu le vert à l’escalade sur tous les fronts en même temps.

Et si le bellicisme étasunien carbure aux stéroïdes, la Russie et la Chine ne semblent intimidés ni par les positions diplomatiques et ni par les forces militaires des États-Unis.

Le président Poutine déploie 125 000 hommes à la frontière de l’Ukraine, remettant à l’avant-scène la demande de la Fédération de Russie adressée aux États-Unis et à l’OTAN d’une déclaration officielle que l’OTAN ne fera pas entrer l’Ukraine dans ses rangs. Cette demande survient après 30 ans de maraudage et de recrutement de pays qui appartenaient antérieurement au Pacte de Varsovie par les États-Unis et l’OTAN, malgré une promesse du contraire faite par le président George H. W. Bush.

À l’autre bout du monde, en Asie-Pacifique, le président chinois Xi réagit à la stratégie du « pivot vers l’Asie » des États-Unis, stratégie qui laisse tomber la politique étasunienne de reconnaissance diplomatique de la République populaire de Chine en vigueur depuis 50 ans tout en maintenant, sans le reconnaître publiquement, le soutien économique et militaire de Taïwan. Cette politique d’« une seule Chine » avait été lancée il y a plusieurs décennies, dans les années 1970, sous l’administration Nixon.

La stratégie du « pivot vers l’Asie » voit le jour après le retrait des forces étasuniennes d’Irak et la contraction des effectifs militaires en Afghanistan, lorsque l’administration Obama a besoin d’un autre conflit armé pour assouvir l’appétit des entreprises militaires d’attaque (et non de défense) des États-Unis.

Les missions navales de « liberté de navigation », selon leur appellation inoffensive, qui visent à asseoir la domination des États-Unis sur la mer de Chine méridionale se transforment en une mission navale de l’OTAN, des navires du Royaume-Uni et de la France venant grossir l’armada des États-Unis dans la cour avant de la Chine, en bord de mer.

Des missions diplomatiques étasuniennes à Taïwan, qui n’avaient pas eu lieu depuis 50 ans, se sont amorcées sous l’administration Trump. Aujourd’hui, des représentants du gouvernement des États-Unis, parmi les plus hauts placés en cinq décennies, font des voyages très médiatisés à Taïwan comme pour narguer le gouvernement chinois.

Le gouvernement chinois riposte à l’intervention des États-Unis en mer de Chine méridionale par la construction, sur de petits atolls, d’une série d’installations militaires formant une ligne de défense et par le déploiement de ses navires de guerre dans ses propres eaux côtières. La Chine réagit à l’augmentation des ventes d’équipement militaire à Taïwan et à la publicité entourant le déploiement de personnel de formation militaire étasunien à Taïwan en envoyant des flottes comptant jusqu’à 40 avions militaires à la fois parcourir la trentaine de kilomètres du détroit de Taïwan, depuis la Chine continentale jusqu’à la ligne de défense aérienne de Taïwan, forçant l’armée de l’air taïwanaise à activer son système de défense aérienne.

De retour de ce côté-ci du monde, les États-Unis ont orchestré et soutenu un coup d’État en Ukraine en 2013 (on se souviendra que Victoria Nuland, aujourd’hui sous-secrétaire d’État aux Affaires politiques, était alors secrétaire d’État adjointe aux Affaires européennes et avait identifié en ces termes le leader du coup parrainé par les États-Unis : « Yats est notre homme » [NdT : en parlant d’Arseniy Yatseniuk, qui deviendra premier ministre). Ce coup d’État a précipité le vote des résident.e.s de la Crimée en faveur de l’annexion à la Fédération de Russie.

Quoi qu’en disent les médias des États-Unis, il n’y a pas eu d’invasion militaire russe en Crimée après le coup d’État en Ukraine et avant le vote populaire en Crimée. Pas un seul coup de feu n’a été tiré pendant la période précédant le vote en Crimée. Des effectifs russes se trouvaient déjà en Crimée en vertu  d’un accord de 60 ans entre l’Union soviétique (puis la Fédération de Russie) et l’Ukraine, qui prévoyait le stationnement en Crimée de militaires russes faisant partie la flotte de la mer Noire. Le seul accès de la flotte à la Méditerranée est à partir des ports de Sébastopol et de Yalta sur la mer Noire.

Il y a 68 ans, en 1954, le premier ministre soviétique d’origine ukrainienne, Nikita Khrouchtchev, transfère le contrôle de la Crimée à l’Ukraine, à l’occasion du 300e anniversaire de l’unification russo-ukrainienne.

Après la dissolution de l’Union soviétique, la Russie et l’Ukraine signent, en 1997, trois accords régissant le statut de la flotte de la mer Noire. La flotte est divisée entre Kyiv et Moscou. La Russie obtient la plus grande partie des navires de guerre et verse au gouvernement ukrainien à court d’argent une compensation de 526 millions de dollars. En échange, Kyiv accepte également de louer des installations navales de Crimée à la partie russe de la flotte pour 97 millions de dollars par année en vertu d’un bail qui est renouvelé en 2010 et qui devait expirer en 2042.

En outre, ces accords autorisent la Russie à stationner un maximum de 25 000 soldats, 132 véhicules de combat blindés et 24 pièces d’artillerie dans ses installations militaires en Crimée. Les accords prévoient aussi que les forces militaires russes doivent « respecter la souveraineté de l’Ukraine, se conformer à sa législation et s’abstenir de toute ingérence dans les affaires intérieures de l’Ukraine ».

Les États-Unis et les pays de l’OTAN ripostent à l’annexion de la Crimée par de lourdes sanctions. D’autres sanctions, encore plus importantes, sont imposées à la Fédération de Russie en réaction au mouvement séparatiste dans la région orientale du Donbass, en Ukraine, mouvement formé de Russes de souche qui estiment que leur héritage n’est pas respecté par le gouvernement ukrainien. Les séparatistes déplorent notamment l’arrêt de l’enseignement de la langue russe dans les écoles et les ressources insuffisantes allouées à leur région, des plaintes qui rappellent celles des habitants de la Crimée.

La Fédération de Russie nie toute participation de soldats russes au mouvement séparatiste, ce qui, il me semble, s’apparente aux dénégations des États-Unis lorsqu’ils soutiennent des groupes dans le monde entier.

Le déploiement de 125 000 militaires à la frontière de l’Ukraine vient appuyer les demandes très publiques de la Fédération de Russie pour que l’OTAN ne recrute pas l’Ukraine. La Russie se plaint depuis des décennies que l’accord conclu entre le président George H. W. Bush et le président russe Gorbatchev, selon lequel l’OTAN ne permettrait pas aux anciens pays du Pacte de Varsovie voisins de la Russie d’adhérer à l’alliance, a été violé par l’admission à l’OTAN de la Pologne, de la République tchèque et de la Hongrie en 1999, et de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Slovaquie, de la Slovénie et des pays baltes (Lettonie, Estonie et Lituanie) en 2004. Les derniers États à avoir adhéré à l’OTAN sont le Monténégro en 2017 et la Macédoine du Nord en 2020.

Parmi les anciens pays du Pacte de Varsovie, seuls la Biélorussie, l’Ukraine, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie et la Serbie NE SONT PAS membres de l’OTAN.

Les membres de l’OTAN ne sont pas tous favorables à une confrontation des États-Unis avec la Russie. Étant donné que 40 % du gaz de chauffage de l’Europe provient de Russie via l’Ukraine, les dirigeants européens craignent, avec raison, une réaction plutôt froide de leurs populations quand leurs habitations manqueront de chauffage.

Les États-Unis ont répondu à la demande russe que l’Ukraine ne devienne pas membre de l’OTAN par un NON catégorique, et ont intensifié dramatiquement et publiquement l’envoi d’armes en Ukraine tout en mettant 8 500 militaires sur un pied d’alerte.

Dans le Pacifique occidental, des armadas s’affrontent, des flottes d’avions volent à proximité les unes des autres et les essais de missiles à courte portée de la Corée du Nord se poursuivent. À Honolulu, on tente de décontaminer l’eau alimentant 93 000 familles qui avaient fait les frais de la fuite d’un vétuste réservoir souterrain de kérosène situé à seulement 30 mètres au-dessus de l’aquifère.

Les politiciens étasuniens, les experts des groupes de réflexion et les faiseurs de guerres au sein du gouvernement ont créé un climat d’hostilité sur de nombreux fronts.

L’armée des États-Unis est si près du point de rupture que la possibilité, et même la probabilité, d’un incident ou d’un accident capable de déclencher une chaîne d’événements désastreux à l’échelle mondiale est dangereusement élevée.

Nous exigeons, au lieu des politiques de va-t-en-guerre, une véritable discussion, un dialogue et une diplomatie qui carbure aux stéroïdes pour que soit épargnée la vie des populations civiles innocentes menacées dans le monde entier.