Yehuda Atai, membre du Comité israélien pour un Moyen-Orient sans armes de destruction massive, secrétaire exécutif du Réseau pour une Méditerranée sans nucléaire;
Jean-Marie Matagne, docteur en philosophie, président d’Action des citoyens pour le désarmement nucléaire.
16 novembre 2007, Libération
Nous en sommes avertis de toute part : les États-Unis sont sur le pied de guerre, prêts à bombarder l’Iran. Il ne manquerait plus que l’ordre présidentiel. Début octobre, des dizaines de personnalités américaines, politiques, religieuses, militaires, intellectuelles ou artistiques ont appelé les chefs d’état-major, officiers et soldats des États-Unis à refuser tout ordre d’attaquer l’Iran. Cet appel sans précédent souligne à quel point le risque est réel de voir la guerre éclater dans les jours, les semaines ou les mois à venir, et impératif le devoir de prévenir ce risque. C’est pourquoi nous soutenons cet appel lancé outre-Atlantique et souhaitons l’élargir à l’Europe.
L’invasion de l’Irak par la coalition que dirigent les États-Unis était contraire à la charte des Nations unies, et s’est révélée catastrophique. Une agression contre l’Iran serait tout aussi illégale et encore plus catastrophique.
La Charte des Nations Unies, article 2, paragraphe 4, énonce : «Les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies.» Comme l’observent les auteurs de l’appel déjà cité, l’Iran n’a pas attaqué les États-Unis, les États-Unis sont signataires de la charte de l’ONU, toute attaque de l’Iran par les États-Unis serait donc illégale au regard de la loi internationale mais aussi d’après la Constitution des États-Unis, qui reconnaît les traités comme loi suprême du pays – y compris bien sûr pour les militaires, qui ont prêté serment à la Constitution.
Ces remarques valent tout autant pour les gouvernants, les militaires et les citoyens des États européens membres de l’ONU, qu’ils soient ou non alliés aux États-Unis dans le cadre de l’Otan. Nous les appelons donc à refuser par avance toute coopération, toute aide politique, économique ou militaire et tout soutien logistique en cas de guerre.
La guerre qui se poursuit en Irak a fait des milliers de victimes parmi les militaires, des centaines de milliers dans la population. Elle représente une catastrophe écologique et sanitaire qu’on est encore loin de mesurer. Elle alimente les haines, le fanatisme et le terrorisme qu’elle était censée combattre.
Une attaque contre l’Iran, quelles que soient ses cibles, ses méthodes et son ampleur initiale, aggraverait considérablement la situation en aboutissant à des résultats similaires, sans parler de ses effets désastreux sur l’économie mondiale. Ce serait encore pire si l’idée folle d’utiliser des armes nucléaires tactiques – qui existent – était mise en œuvre pour empêcher l’Iran de construire, malgré ses dénégations, des armes nucléaires dont les récentes inspections de l’AIEA n’ont pas trouvé trace.
Le peuple iranien a supporté, sous la direction des mollahs, une guerre de huit ans contre son agresseur Saddam Hussein. Ce n’est pas en l’attaquant à nouveau qu’on l’éloignera de ces mêmes dirigeants. Ce n’est pas en faisant dans ses rangs des milliers ou des centaines de milliers de morts qu’on améliorera le respect de ses droits humains.
Ce n’est pas en cherchant à vendre partout, sauf à l’Iran, de la technologie nucléaire qu’on le convaincra de renoncer à cette technologie. Ce n’est pas en conservant et en modernisant leurs propres armes nucléaires comme le font les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne (outre la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan et Israël) qu’on pourra exiger de l’Iran qu’il y renonce. Et ce n’est pas en continuant à bafouer l’article 5 du traité de non-prolifération (TNP) que les États dotés d’armes nucléaires peuvent exiger quoi que ce soit des autres États signataires du TNP, Iran compris. Non-prolifération et désarmement nucléaires vont de pair. Il est urgent de l’admettre.
C’est même seulement en s’engageant dans la voie du désarmement nucléaire négocié, tel que prévu par l’article 6 du TNP, que la communauté internationale a quelque chance de voir l’Iran offrir toutes les garanties concrètes et vérifiables, s’il en existe, qu’il ne se procurera jamais d’arme nucléaire. Cette spirale vertueuse devrait tout à la fois dissuader d’autres États de la région de vouloir «proliférer», et conduire les États nucléaires de facto comme Israël, le Pakistan et l’Inde à s’engager eux aussi dans la voie d’un monde libéré de toutes les armes nucléaires et des autres armes de destruction massive, au Moyen-Orient comme ailleurs.
Refuser la guerre aujourd’hui, ce n’est donc pas accepter le statu quo ni repousser la guerre à demain.
C’est au contraire donner à la diplomatie le temps, la chance et l’impératif d’aboutir à une solution globale de paix et de sécurité pour tous les États et tous les peuples du Moyen-Orient, et au-delà pour toute la planète. C’est éviter de nouvelles larmes de sang. C’est permettre à la raison de prévaloir, à nos enfants et nos petits-enfants de vivre dans un monde moins violent, plus juste et plus humain. Sans guerres, sans armes ni menaces nucléaires.
L’Europe peut y contribuer. Les Européens doivent se dresser contre la guerre qui approche.
http://www.liberation.fr/rebonds/291732.FR.php
© Libération