George Bush avait claironné, avant même la victoire démocrate au Congrès des Etats-Unis et les recommandations de la commission parlementaire Baker-Hamilton, qu’il allait adopter « une nouvelle stratégie de victoire en Irak ». Son discours au peuple américain, mercredi 10 janvier 2007, fut la proclamation d’une absence de changement de stratégie, et la promesse d’un échec.
Le président américain a annoncé l’envoi d’un renfort de 21500 soldats américains en Irak, dans la province d’Al-Anbar, fief de la guérilla sunnite et d’organisations jihadistes, et à Bagdad, à la fois champ de bataille entre les forces américaines et les rebelles sunnites et principal théâtre de la guerre civile entre chiites et sunnites. Ce renfort va, selon lui, mener au « succès ». Ce que le président américain oublie notamment de préciser est que le fait de passer de 132000 à 153500 hommes a déjà été expérimenté -le contingent américain a atteint jusqu’à 160000 hommes en décembre 2005- sans mener à une quelconque amélioration de la situation, bien au contraire. Sur les autres volets, diplomatique (pression sur l’Iran et la Syrie), politique (soutien conditionnel au gouvernement Maliki) et économique (10 milliards de dollars issus des revenus du pétrole consacrés, par le gouvernement irakien, à la reconstruction), les annonces de M. Bush sont de même nature que sur le volet militaire : la poursuite du cap pris en 2003 après l’invasion du pays. Cette politique a précipité l’Irak dans un gouffre, et mené les Etats-Unis dans une impasse.
Un événement a encore illustré l’échec de la politique américaine. Le 9 janvier 2007, les armées américaine et irakienne ont combattu durant des heures la guérilla sunnite autour de la rue Haïfa, à Bagdad. Bordant le Tigre, la rue Haïfa serpente sur 2 kilomètres à partir d’un carrefour situé à moins de 500 mètres de la « zone verte », le quartier général américain. Pour une raison inconnue -réaction à la pendaison à connotation communautaire de Saddam Hussein ?, volonté de marquer les esprits à la veille du discours de M. Bush ?, simple incident tournant au soulèvement d’un quartier ?- les combats, violents, ont pris de l’ampleur, et l’armée américaine a dû avoir recours, au coeur de Bagdad, à des blindés, des hélicoptères de combat, et même un avion de chasse. La proclamation que « le refuge de terroristes » de la rue Haïfa a été « nettoyé », quelques heures avant que le chef de la Maison Blanche s’adresse à la nation, ne peut masquer le constat d’échec : le 9 avril 2003, au soir de la chute de Saddam Hussein, la rue Haïfa et les autres quartiers sunnites étaient calmes, bien que livrés au pillage. Nul n’attaquait les troupes américaines et presque personne n’envisageait de le faire un jour. Près de quatre ans plus tard, la guérilla sunnite peut mobiliser, de Bagdad à Mossoul et à travers la province d’Al-Anbar, suffisamment d’hommes pour livrer combat à l’armée la plus puissante du monde. Elle peut aussi mener des opérations et commettre des attentats ailleurs dans le pays.
Mais cet événement n’est finalement, pour les Irakiens, pas le pire, ni une surprise. Le pire, c’est la guerre civile qui a pris de l’ampleur depuis l’attentat contre la Mosquée d’or chiite de Samarra, en février 2006, et qui divise peu à peu le pays, l’épuration ethnique qui accélère le transfert des populations, les dizaines de cadavres et têtes coupées retrouvés chaque matin dans les rues de Bagdad, sur les berges du Tigre et de l’Euphrate. A la chute de Saddam Hussein, et bien que les divisions entre Arabes chiites, Arabes sunnites et Kurdes aient des racines profondes et avaient connues des épisodes sanglants, le nationalisme faisait que nul n’envisageait un tel chaos intercommunautaire.
Les Etats-Unis, donc, sont dans une impasse. Non seulement la seule présence de leurs soldats contribue à attiser l’incendie qu’elle a pour objectif d’éteindre, mais la guerre prospère désormais sur des dynamiques variées. Au conflit entre armée américaine et guérilla sunnite et aux violences entre chiites et sunnites se superposent une lutte du djihadisme international pour progresser dans le chaos irakien, retrouver un sanctuaire et déstabiliser la région, des politiques de pays voisins – ou de certains réseaux dans ces pays – contribuant à l’instabilité, une criminalité furieuse, une déstructuration foudroyante de la société et une perte vertigineuse des repères de vie en communauté sous l’autorité d’un Etat. L’envoi de 21500 soldats américains supplémentaires ne changera rien à la situation. M. Bush le sait, ou devrait le savoir, car c’est l’avis de beaucoup de chefs militaires américains et des agences de renseignement. L’annonce que la présence militaire sera renforcée dans certains quartiers de Bagdad, que les soldats vont intensifier la traque des « terroristes » maison par maison, laisse présager davantage de rébellion en retour.
Le destin de Falluja, dans la province d’Al-Anbar, à l’ouest de Bagdad, qui fut en 2004 le quartier général de la guérilla sunnite et des organisations jihadistes étrangères, est à cet égard révélateur. A la chute de Saddam Hussein, pour pallier la destruction de l’Etat irakien, Falluja fut une ville sereine, s’organisant d’elle-même grâce aux chefs de tribu et religieux. Deux semaines plus tard, parce que la 82e Airborne y occupait l’école Al-Qaid à la veille d’une rentrée scolaire, une manifestation eut lieu. Les marines tirèrent dans la foule. Le soir, des grenades furent lancées contre le camp américain, premières grenades d’une guérilla qui ne disait pas encore son nom. En avril 2004, la guérilla prit le contrôle de la ville, puis y accueillit les jihadistes étrangers, leurs kamikazes, leurs armes, leurs dollars. En novembre 2004, l’armée américaine ne reprit le contrôle de la ville qu’après une offensive qui s’acheva par sa destruction. Falluja reste le symbole du gâchis irakien. Rien ne présupposait une rébellion, sauf de quelques factions saddamistes vite disparues. L’occupation américaine engendra la guérilla, puis le sanctuaire jihadiste et le terrorisme, pour s’achever sur le néant, une ville en ruine.
Les Etats-Unis, au lieu d’envisager une « nouvelle approche » qui n’est que la continuation d’une politique qui a déjà démontré qu’elle est vouée à l’échec, devraient révolutionner leur vision de la « guerre contre le terrorisme » : cesser les guerres d’envergure, comprises comme des guerres d’occupation, en Irak et en Afghanistan, pour se concentrer sur le seul véritable ennemi : Al-Qaida, et ses héritiers à travers le monde. Mais ce changement de stratégie n’aura, comme son discours l’a de nouveau démontré, pas lieu sous le règne de M. Bush.