Netanyahou prêt à tenir tête aux États-Unis, un affrontement qui pourrait lui coûter sa survie politique (traduction)

Netanyahou prêt à tenir tête aux États-Unis, un affrontement qui pourrait lui coûter sa survie politique

Par Alon Pinkas, The Guardian, 26 mars 2024
Texte original en anglais – [Traduction : Maya Berbery ; révision : Claire Lalande]

Le vote des Nations Unies en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza montre que le leader israélien a fini par venir à bout de la patience de l’administration Biden. Il pourrait s’agir là d’un moment décisif.

Netanyahu has been spoiling for a fight with the US. He may not survive this one, The Guardian, 26 mars 2024

Comment manipuler une nation entière à propos d’un conflit et tenter de faire de même avec une superpuissance alliée ? Et comment transformer une guerre juste en isolement mondial et en condamnation généralisée ? Demandez-le à Benjamin Netanyahou. Le maître incontesté en la matière.

Depuis la fin du mois d’octobre, Netanyahou cherche délibérément et intensément une confrontation avec les États-Unis. La résolution 2728 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui exige un « cessez-le-feu immédiat », n’est que le dernier prétexte en date pour cette épreuve de force préméditée. Cette volonté de confrontation peut sembler illogique et imprudente, puisque les deux pays sont de proches alliés, qu’Israël dépend grandement de l’aide militaire et de la protection diplomatique des États-Unis, et, surtout, que le président Biden a apporté un soutien total et indéfectible à Israël depuis la catastrophe du 7 octobre.

Mais Netanyahou a deux raisons de provoquer une telle confrontation. La première est une manipulation pure et simple à grande échelle. Il a concocté une version des faits censée expliquer le contexte de la guerre, de manière à l’exonérer de la responsabilité et de l’obligation de rendre des comptes, des devoirs qu’il refuse obstinément d’assumer. Cette confrontation détourne également l’attention de sa politique déclarée qui a consisté à implorer le Qatar d’accroître les fonds vers Gaza pour renforcer le Hamas, affaiblir l’Autorité palestinienne et rendre ainsi toute négociation politique impossible.

Selon cette version des faits, le 7 octobre serait simplement une débâcle qui aurait pu être évitée si les forces de défense israéliennes et les services de renseignement du Shabak n’avaient pas failli à leur mission. Pour Netanyahou, le principal problème aujourd’hui est la possibilité d’un État palestinien que le monde, les États-Unis tout particulièrement, tente d’imposer à Israël depuis l’attentat. Dans cette même version de faits, seul un Netanyahou héroïque peut tenir tête aux États-Unis, défier un président étasunien et prévenir une telle calamité.

Il est évidemment impossible qu’un nouvel État palestinien soit « imposé » de l’extérieur. Mais cette formulation permet à Netanyahou d’apaiser sa coalition d’extrême droite et ses partenaires qui s’opposent depuis longtemps à toute forme d’État palestinien. Elle lui permet aussi de braquer les projecteurs sur le conflit avec les États-Unis plutôt que sur ses propres échecs. Pas question de faire porter le blâme au premier ministre qui se prend pour Louis XIV. En aucun cas.

La seconde raison est plus actuelle et pratique : la confrontation vise à faire de Biden le bouc émissaire de l’échec de Netanyahou à obtenir une « victoire totale » ou « l’éradication du Hamas », deux slogans de pacotille qu’il débite régulièrement.

La résolution du Conseil de sécurité exigeant un cessez-le-feu immédiat, adoptée par 14 membres avec l’abstention des États-Unis, expose Israël à un double affrontement : avec le Conseil de sécurité des Nations Unies mais, plus grave encore, avec les États-Unis. Les poussées de colère moralisatrices de Netanyahou, sa prétendue surprise et ses déclarations voulant que l’abstention des États-Unis constitue une entorse à la politique étasunienne, entorse qui empêcherait la victoire, relèvent du mensonge. L’administration Biden l’a averti à plusieurs reprises qu’il s’agirait d’une issue inévitable s’il persistait dans son intransigeance, son mépris et son refus de collaborer avec les États-Unis, sans conteste l’allié et le protecteur inconditionnel d’Israël.

Faire fi des demandes des États-Unis, rejeter les conseils bien intentionnés du président, noyer le secrétaire d’État, Antony Blinken, sous les déclarations trompeuses, tourner en dérision les plans et les visées des États-Unis pour une région reconfigurée, faire preuve d’un entêtement primaire en refusant de présenter une vision crédible et cohérente pour le Gaza d’après-guerre, organiser un appel vidéo avec des sénatrices et sénateurs républicains (un groupe dont Netanyahou s’estime membre à vie) et chercher activement une confrontation ouverte avec l’administration – il y a un prix à payer pour tout cela. Tout récemment, le département d’État de Blinken a averti Israël qu’il était de plus en plus isolé et qu’il risquait d’infliger des « dommages générationnels » à sa réputation et à son image.

Si Israël avait sérieusement collaboré avec les États-Unis sur l’une ou l’autre des questions précitées, même sans nécessairement être d’accord sur tout, il aurait évité ce clivage. Les États-Unis ont un différend fondamental de longue date avec Israël : l’absence d’un objectif politique cohérent pour la guerre, objectif sur lequel les moyens militaires doivent être alignés. Les États-Unis ont demandé à maintes reprises à Israël d’expliciter ses buts et n’ont obtenu pour seule réponse qu’un « renverser le Hamas », ce qui est un objectif louable, mais qui ne dit rien des lendemains envisagés.

S’agissant du Conseil de sécurité, Israël expliquera commodément que la résolution est sans conséquence, qu’elle ne pose pas de menace imminente de sanctions et que, de toute façon, les Nations Unies ont toujours été et sont encore aujourd’hui une organisation anti-israélienne. Peut-être. Mais là n’est pas la question. La résolution place Israël dans une situation qui est très malaisée et précaire pour n’importe quel pays, a fortiori pour une démocratie et pour un allié des États-Unis. Le nœud le plus critique et le plus important est celui des relations entre les États-Unis et Israël. La détérioration de ces relations sous Netanyahou a été bien documentée au cours de la dernière année, mais la résolution du Conseil de sécurité marque un nouveau creux dans la dégradation des rapports.

Depuis janvier environ, les États-Unis réévaluent négativement Israël sous l’égide de Netanyahou. Ce dernier ne se comporte pas en allié, il a accumulé au fil des ans un déficit de crédibilité écrasant sur une multitude de questions, et il omet intentionnellement de présenter un plan pour l’après-guerre à Gaza – à tel point que Washington le soupçonne sérieusement de prolonger la guerre par des manigances pour assurer sa survie politique. Le différend actuel à propos de la résolution du Conseil de sécurité creuse encore le fossé de sorte qu’il est impossible d’entrevoir une issue tant que Netanyahou restera au pouvoir.

À l’heure actuelle, les États-Unis ont trois points de désaccord avec Israël concernant les opérations militaires : les entraves israéliennes à l’aide humanitaire, le nombre de morts parmi les civils non combattants et une éventuelle invasion militaire de Rafah, à l’extrémité sud de la bande de Gaza. Ces divergences auraient pu être résolues si Netanyahou et Biden avaient entretenu des rapports de collaboration, empreints d’honnêteté et de bonne foi. Ce n’est pas le cas. En fait, Netanyahou a l’habitude des confrontations et des querelles fréquentes avec les administrations étasuniennes, de George H.W. Bush à Bill Clinton, Barack Obama et aujourd’hui Biden. Son ingérence – infructueuse, il faut le rappeler – dans la politique des États-Unis est également un trait familier depuis les années 1990.

L’état actuel des relations est près d’un tournant et, de là, deux trajectoires sont possibles : soit que Netanyahou est évincé ou quitte le pays ou perd les élections, soit que les États-Unis, convaincus que l’écosystème bilatéral s’est dégradé, estiment nécessaire une réévaluation en profondeur de leurs relations. Netanyahou a mené Israël jusqu’au seuil où sa valeur même en tant qu’allié est remise en question. Les États-Unis ont mis du temps, mais ils semblent enfin se rendre à l’évidence : si Israël est un allié, Netanyahou ne l’est certainement pas.

Alon Pinkas a été consul général d’Israël à New York de 2000 à 2004. Il est aujourd’hui chroniqueur à Haaretz (un quotidien israélien).