Deux poids, deux mesures : critique de la couverture occidentale de la guerre en Ukraine (traduction)

Deux poids, deux mesures : critique de la couverture occidentale de la guerre en Ukraine

Les utilisateurs des médias sociaux accusent les médias d’hypocrisie dans la façon dont ils couvrent la guerre initiée par la Russie en Ukraine comparativement à d’autres conflits.

par le personnel d’Al Jazeera, 27 février 2022

Texte original en anglais [Traduction : Claire Lapointe; révision : Échec à la guerre]

Alors que l’invasion russe de l’Ukraine entre dans sa quatrième journée, on observe une vague de soutien aux Ukrainien.ne.s dans une grande partie de l’Europe, en Australie et en Occident en général.

Après des mois d’un renforcement militaire important à la frontière, la guerre a commencé jeudi, quand le président russe Vladimir Poutine a ordonné à ses troupes d’entrer en Ukraine.

Le ministre ukrainien de la Santé a déclaré qu’au moins 198 Ukrainien.ne.s, dont 3 enfants, ont été tués jusqu’à présent. Selon les Nations unies, plus de 360 000 personnes ont fui le pays, la majorité d’entre eux ayant franchi la frontière avec la Pologne voisine.

Cette guerre a déclenché une condamnation rapide de la part de plusieurs pays se traduisant notamment par des sanctions immédiates de la part des États-Unis et d’autres pays. Elles visent les banques, les raffineries de pétrole et les exportations militaires russes. Cette guerre a également donné lieu à un marathon des discussions urgentes au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU).

Sur les médias sociaux, la rapidité de la réaction internationale — y compris l’exclusion de la Russie de certains événements culturels et sportifs — a suscité des commentaires sur l’absence d’une réaction similaire, lors d’autres conflits dans le monde.

Des commentateurs médiatiques, des journalistes et des personnalités politiques sont accusés d’appliquer deux poids et deux mesures. Non seulement, ils ont utilisé les médias pour saluer la résistance armée de l’Ukraine face aux troupes russes, mais ils ont aussi souligné l’horreur qu’ils éprouvaient qu’un tel conflit puisse toucher une nation « civilisée ».

Vendredi, Charlie D’Agata, principal correspondant de CBS News à Kiev, a déclaré : « Sans vouloir offenser qui que ce soit, on ne parle pas d’un pays comme l’Irak ou l’Afghanistan où des combats font rage depuis des décennies. Il est question d’une ville relativement civilisée, relativement européenne — je dois choisir mes mots avec soin — où on ne s’attend pas et on n’espère pas que cela se produise. »

Ses commentaires ont été accueillis avec dérision et colère sur les médias sociaux. De nombreuses personnes ont souligné que ses déclarations contribuaient à déshumaniser davantage les personnes non blanches et non européennes qui souffrent d’un conflit.

 

  1. D’Agata s’est ensuite excusé, déclarant qu’il avait parlé « d’une manière que je regrette ».

Samedi, la BBC a reçu l’ancien procureur général adjoint de l’Ukraine, David Sakvarelidze. « C’est très éprouvant pour moi de voir des Européens aux cheveux blonds et aux yeux bleus se faire tuer tous les jours par les missiles, les hélicoptères et les roquettes de Poutine », a déclaré M. Sakvarelidze. Ce à quoi le présentateur de la BBC a répondu : « Je comprends cette émotion et je la respecte ».

En outre, vendredi, Sky News a diffusé une vidéo montrant des habitants de la ville de Dnipro, dans le centre de l’Ukraine, en train de préparer des cocktails Molotov. Ils expliquaient comment le fait de râper du polystyrène permet à l’engin incendiaire de mieux adhérer aux véhicules.

« Les médias occidentaux traditionnels sont stupéfiants. Ils accordent une couverture très favorable à des gens qui résistent à l’invasion en fabriquant des cocktails Molotov », a relevé un utilisateur des médias sociaux. « S’il s’agissait de personnes à la peau foncée, au Yémen ou en Palestine, faisant la même chose, elles seraient qualifiées de terroristes méritant de se faire bombarder par drones américano-israéliens ou américano-saoudiens. »

Sur BFM TV, la chaîne d’information câblée la plus regardée de France, le journaliste Philippe Corbé a déclaré : « Nous ne parlons pas ici de Syriens qui fuient les bombardements du régime syrien soutenu par Poutine, nous parlons d’Européens qui partent dans des voitures qui ressemblent aux nôtres pour sauver leur vie. »

Le journaliste britannique Daniel Hannan a été critiqué en ligne pour un article paru dans The Telegraph, dans lequel il écrit que la guerre ne se déroule plus au sein de « populations appauvries et lointaines ».

Les politiciens européens ont également exprimé leur soutien à l’ouverture des frontières aux réfugié.e.s ukrainiens. Ils utilisent des termes comme « intellectuels » et « européens », qui sont bien loin de la terminologie alarmiste utilisée par les gouvernements contre les migrant.e.s et les réfugié.e.s d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie centrale.

« La peau est un passeport… une citoyenneté épidermique », a déclaré un utilisateur des médias sociaux.

Jean-Louis Bourlanges, député à l’Assemblée nationale française, a déclaré à une chaîne de télévision que les réfugié.e.s ukrainiens constitueront « une immigration de grande qualité, des intellectuels, une immigration dont nous saurons tirer parti ».

La guerre entre la Russie et l’Ukraine a été présentée par les médias libéraux comme la pire crise en matière de sécurité en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette affirmation alimente l’amnésie générale concernant des conflits relativement récents sur le continent, comme la guerre de Bosnie dans les années 1990 et le conflit en Irlande du Nord qui a duré des années 1960 à 1998.

Ces généralisations ne tiennent pas compte du fait qu’après l’époque de la guerre mondiale, l’Europe a exporté de nombreux conflits dans des pays qui étaient auparavant des territoires coloniaux.

Certains commentateurs ont également fait l’éloge de la détermination des Ukrainien.ne.s et des capacités de défense du pays, d’une manière qui suggérait qu’aucune autre nation ou aucun autre peuple n’avait vécu une telle expérience auparavant.

Les critiques ont souligné l’hypocrisie du sociofinancement et de la mise en place de dons en ligne pour financer l’armée de Kyiv, sans subir de sanctions gouvernementales ou de suspension de leurs comptes bancaires.

Ces deux poids, deux mesures concernant les appels à exclure la Russie d’événements culturels et sportifs, sans pour autant faire de même pour les autres pays occupants, n’ont pas échappé non plus aux médias sociaux.

On cite en exemple le mouvement palestinien de boycottage, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël, souvent présenté par les gouvernements occidentaux comme antisémite. Et l’exclusion actuelle de Moscou d’événements comme le concours Eurovision de la chanson, et la délocalisation de la finale de la Ligue des champions qui devait se jouer à Saint-Pétersbourg.

Le premier ministre australien, Scott Morrison, a soutenu le boycottage de la Russie dans le domaine sportif, mais a condamné le boycottage du festival culturel de Sydney du mois dernier en raison du parrainage de l’ambassade d’Israël.

Claudia Webbe, membre du Parlement britannique, a microblogué (tweeté) que les personnes qui se soucient réellement des Ukrainiens sont celles qui accueillent tous les réfugiés à bras ouverts. Elle a ajouté : « Les autres? Eh bien, ils font semblant ».