Le ministère créé pour redresser les torts a augmenté la conscientisation, mais là s’arrête sa contribution.
par Kim Barker, correspondante à l’étranger du Chicago Tribune
Publié le 16 Janvier 2007
Traduction : Échec à la guerre
KABOUL, Afghanistan – Sharifa Hamrah ne va désormais plus au travail. Attaques au lance-roquettes, menaces de mort, kamikaze ceinturé d’explosifs et déguisé en femme afin d’avoir accès à son bureau : son travail est simplement trop dangereux.
Elle n’est pas un soldat. Elle ne porte pas d’arme. Pourtant, à 48 ans, Hamrah, une femme de petite taille au sourire narquois et portant le voile, participe maintenant à cette guerre contre son gré et est devenue une cible potentielle, comme les autres femmes travaillant pour le ministère de la Condition féminine en Afghanistan.
« Notre problème, c’est que nous ne pouvons pas sortir », dit Hamrah, qui est responsable de la condition féminine à Paktika, une province du sud, mais qui passe le plus clair de son temps à Kaboul. « Nous ne pouvons aller dans les régions. Nous ne pouvons nous rendre dans les villages. Il nous est impossible de parler aux aînés des villages. Il nous est même impossible de parler aux femmes ».
Le ministère de la Condition féminine, chargé de défendre les droits des femmes dans un pays où elles en ont peu, ne peut revendiquer de nombreuses réalisations. Son pouvoir exécutif est inexistant. Il ne peut assurer l’application d’aucune loi. Il a néanmoins augmenté la conscientisation concernant les problèmes auxquels les femmes font face, par des campagnes dénonçant la violence à la radio et sur des panneaux d’affichage. De plus, ce ministère est dorénavant reconnu comme un endroit où les femmes peuvent exprimer leurs doléances, ce qui est plus que ce qui leur était permis sous le dur régime des Talibans.
Mais le ministère, créé par le gouvernement post-Talibans, est assiégé de problèmes. En septembre, la responsable de la Condition féminine dans la province de Kandahar, qui avait critiqué le traitement réservé aux femmes par les Talibans, a été abattue en face de son domicile. C’est alors que des femmes travaillant pour ce ministère ont commencé à demeurer à la maison. Et les Talibans, qui ont revendiqué la responsabilité de cette attaque, sont loin d’être la seule menace.
Réaction gouvernementale
Durant sa dernière session, le jeune parlement afghan a discuté du démantèlement ou de la réduction de l’importance du ministère de la Condition féminine, prétextant son manque d’efficacité. La tentative de se débarrasser de ce ministère, en même temps que d’autres jugés inutiles, a échoué en fin d’année. Cependant, plusieurs députés menacent encore d’abolir le ministère au cours de la prochaine session.
« Ce n’est pas une bonne idée d’avoir un ministère dont le nom réfère à un seul genre », a dit Mohammed Khan, un des parlementaires qui a voté en faveur de son abolition. « Jusqu’ici, le ministère de la Condition féminine n’a rien fait. C’est seulement pour le nom. Ce n’est rien d’autre ».
Après la chute du régime des Talibans, à la fin de l’année 2001, le nouveau gouvernement de l’Afghanistan s’est engagé à améliorer la vie des femmes. Les Talibans ont forcé les femmes à quitter leur emploi et à porter une burqa qui les recouvre entièrement lorsqu’elles quittent leur domicile.
Mais les Talibans n’étaient que l’incarnation la plus dure de l’oppression des femmes dans ce pays. Sous les régimes précédents, elles étaient aussi considérées comme devant obéir aux hommes. Des jeunes filles étaient mariées de force à des hommes âgés; à l’extérieur des grandes villes, les femmes ne pouvaient travailler hors de la maison.
Aujourd’hui, les femmes ont plus de liberté, plus d’emplois. Dans les rues de Kaboul, plusieurs femmes ne portent plus la burqa, optant plutôt pour un veston d’affaires, une jupe longue et un voile. Elles travaillent dans les bureaux du gouvernement. Plus de 25% des sièges leur sont réservés au parlement.
Mais il y a une députée au franc-parler qui change d’endroit où dormir presque à chaque nuit, pour s’assurer que ses ennemis ne la trouveront pas. Sur les 25 postes de ministre au Cabinet, un seul est occupé par une femme—et il s’agit du ministère de la Condition féminine. Sur un total de 4 600 professeurs dans les collèges afghans, 600 seulement sont des femmes. La responsable de la condition féminine dans la province troublée de Zabul, au Sud, a eu la chance de pouvoir aller en Inde pour étudier. Son mari, un médecin, le lui a interdit.
Hamrah, qui est responsable de la condition féminine à Paktika, avait l’habitude de donner des séminaires. Mais le 8 mars dernier, lors d’un évènement célébrant la Journée internationale des femmes à Paktika, huit missiles explosèrent à proximité.
Au cours des deux derniers mois, deux tracts qui menaçaient Hamrah furent laissés par des insurgés. Hamrah affirme que les forces policières l’ont avertie à quatre reprises d’éventuelles attaques suicide. En décembre, un homme, caché sous une burqa, a tenté d’entrer pour voir Hamrah. La police l’a fouillé car le ton aigu de sa voix sonnait faux, explique Hamrah. L’homme était ceinturé d’explosifs. Il fut arrêté et les bombes furent désamorcées.
« Ils ont dit qu’ils pouvaient me tuer facilement » a dit Hamrah. « Pourquoi devrais-je en douter? Ils ont tué la secrétaire du gouverneur. Ils ont tué un juge provincial. Ils ont tué plusieurs personnes ».
L’automne dernier, un rapport de Womankind Worldwide, un groupe international de plaidoyer en faveur des droits des femmes, a révélé que des millions de femmes et de filles afghanes font face à la violence et à la discrimination et que plusieurs sont victimes de la traite des humains.
Le ministère de la Condition féminine a résisté aux efforts qui visaient à l’abolir, mais il lui est difficile de prouver son efficacité, alors qu’il a si peu de pouvoir. Les responsables désirent faire la promotion d’une nouvelle loi visant à prévenir la violence à l’égard des femmes.
La nouvelle ministre de la Condition féminine, Hosn Banu Ghazanfar, dit tenter de travailler avec le ministère de la Santé pour offrir plus de services aux femmes, et avec le ministère de l’Enseignement supérieur pour persuader les collèges d’embaucher plus d’enseignantes. Elle souhaite également éduquer l’Afghanistan sur les effets néfastes du mariage forcé des enfants et sur la nécessité pour les filles d’avoir accès à l’éducation.
Avec l’appui d’une agence d’aide étrangère, le ministère a érigé, fin novembre, à Kaboul, des panneaux d’affichages tape-à-l’œil, ayant pour but de sensibiliser les gens à la violence envers les femmes. L’un de ces panneaux présente une femme, une larme coulant le long de la joue. Un autre montre plusieurs femmes portant le voile, les poings levés vers le ciel. On peut y lire la phrase suivante : « Puisse la main de l’agression contre les femmes rapetisser ».
« Nous savons que certaines de nos propositions n’ont pas été acceptées » dit Ghazanfar. « Les signaux que nous recevons ne sont pas bons. Nous avons perdu des gens. Des femmes ont été averties. Des bureaux ont été fermés. Il existe des forces conservatrices qui ne veulent pas que les choses changent ».
Une litanie de récits d’abus, une file de femmes tristes accroupies sous leur burqa dans le corridor froid et des petits groupes d’hommes, insistant pour que leur femme leur soit rendue. Voilà le portrait que l’on peut apercevoir chaque matin au ministère. La juge Fawzia Aminiy, responsable du département juridique, entend près de 30 causes chaque semaine, mais son pouvoir est limité.
Safra, qui ne veut pas que son nom de famille soit utilisé, relève sa burqa bleue et sale, révélant une ecchymose sous son oeil gauche. Les bleus s’alignent sur ses bras. Son mari depuis 13 ans, sans emploi, l’a battue pendant plusieurs heures, s’interrompant plusieurs fois pour se reposer, parce qu’elle refusait de se prostituer pour payer les factures. Safra s’est enfuie, laissant derrière elle ses quatre enfants. Elle voulait le quitter, à moins qu’il ne promette de ne plus jamais lui demander de vendre son corps.
« Je n’ai personne »
« Je ne peux me plaindre à personne » dit Safra, qui ne connaît pas son âge mais qui doit approcher de la trentaine. « Je n’ai personne. Je ne peux trouver mon chemin. Je ne peux aller nulle part à Kaboul. Je voudrais être une fille de la ville, mais je suis une fille de la campagne ».
« Tu dois aller au Palais de justice de Kaboul », lui dit Aminiy. « Ton mari doit se faire questionner. Et s’il est coupable, il devrait être puni ».
Alors Safra est partie, perplexe, tenant fermement une lettre dans un sac de plastique, incertaine de la façon de faire pour prendre l’autobus, incapable de se payer un taxi.
Elle fut loin d’être le pire cas qu’Aminiy allait voir cette semaine-là. Rien comparé à cette femme enceinte ayant survécu à 28 coups de couteau. Elle était néanmoins un cas typique et, comme la majorité des autres femmes qui se présentent au ministère, elle allait probablement finir par retourner chez elle, résignée à son sort, incapable de trouver le moyen de partir.
« Ce n’est vraiment pas notre boulot de lui trouver un refuge », dit Aminiy, en se frottant le front. « Et, de toute façon, nous n’en avons pas ».
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