La Chine entre dans un espace plus risqué en se positionnant comme une alternative diplomatique aux États-Unis
par Patrick Wintour, The Guardian, 7 avril 2023
Texte original en anglais – [Traduction : Dominique Lemoine; révision : Échec à la guerre]
De récentes réunions à Beijing marquent un retour sur la scène internationale, mais cela impliquera pour Beijing d’être davantage surveillée.
Beijing a remplacé New York et l’Organisation des Nations unies (ONU) cette semaine en tant que capitale diplomatique de la planète. Elle a accueilli deux réunions qui ont le potentiel de débloquer deux des plus profonds conflits qui meurtrissent la planète. C’est-à-dire le conflit entre l’Ukraine et la Russie, qui dure depuis neuf ans, ainsi que la confrontation entre Riyad et Téhéran, qui dure depuis 30 ans.
Pour Beijing, souvent décrite comme étant très sensible aux les politiques étrangères interventionnistes, il s’agit d’un pas dans la plus grande des ligues diplomatiques, ainsi que d’un signe du retour du pays sur la scène mondiale post-Covid.
Voir les ministres des Affaires étrangères de l’Arabie saoudite et de l’Iran, deux rivaux régionaux depuis les années 1960, se rencontrer pour la première fois en huit ans sous les auspices de la Chine est déjà assez frappant. Mais il en va de même pour l’encouragement européen à la Chine pour qu’elle agisse comme médiateur en Ukraine, symbolisé par les visites du président de la France, Emmanuel Macron, ainsi que de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Au minimum, le contraste entre le sérieux des échanges à Beijing et le recommencement de l’opéra-comique entourant Donald Trump aux États-Unis suffit à rappeler aux diplomates la fragilité des fondations des institutions des États-Unis.
L’émergence de la Chine comme vedette diplomatique ne date pas d’hier. Son image de pays diplomatiquement timide et embarrassé n’est plus depuis des années. Selon l’Institut de recherche Mercator, rien qu’en 2017, Beijing a été médiateur dans neuf conflits, une augmentation visible par rapport à seulement trois en 2012, l’année lors de laquelle Xi Jinping a pris le pouvoir en tant que secrétaire général du Parti communiste chinois.
L’augmentation des activités chinoises de médiation remonte à 2013, soit l’année du lancement de l’initiative nommée « la Ceinture et la Route » ou « Nouvelle route de la soie ». L’objectif clé était alors de maintenir la stabilité le long de cette route commerciale clé, en permettant la fluidité du commerce et des investissements à travers des régions instables, ainsi qu’en améliorant les conditions de sécurité pour les entreprises et les citoyens chinois qui vivent et opèrent le long de la route. La Chine a aussi longtemps été l’un des principaux contributeurs aux forces de maintien de la paix de l’ONU.
La Chine se propose désormais sciemment comme alternative diplomatique aux États-Unis. « L’approche diplomatique de la Chine consistant à ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres pays, à ne pas combler les vides de pouvoir et à ne pas rechercher l’hégémonie, tout en encourageant le dialogue et la consultation pour résoudre les problèmes, est bien accueillie dans la région », a récemment déclaré Zhu Weilie, directeur de l’Institut d’études sur le Moyen-Orient de l’Université d’études internationales de Shanghai, au Global Times.
Négocier des accords en Ukraine ou au Moyen-Orient a le potentiel d’entraîner la Chine dans un espace différent et plus risqué.
Macron, du moins en apparence, donne de la crédibilité au rôle de Beijing en tant que pacificateur neutre, et probablement plus que sa compagne de voyage atlantiste, Von der Leyen. Macron flatte peut-être les diplomates chinois (il est accompagné par une importante délégation d’entreprises françaises), mais il calcule qu’il n’a pas grand-chose à y perdre.
Après avoir abandonné ses propres efforts personnels infructueux pour persuader Vladimir Poutine de mettre fin à l’invasion de l’Ukraine, Macron voit logiquement la Chine comme le seul pays qui reste avec une influence sur Moscou. « Je sais que je peux compter sur vous pour ramener la Russie à la raison et tout le monde à la table des négociations », a déclaré tout miel le chef de l’État français à Xi jeudi.
Avec si peu de leviers à la disposition de l’Occident, à part encore plus de guerre, Macron pourrait en réalité être en train de tester les intentions diplomatiques de la Chine, en essayant de déterminer s’il existe des limites à « la relation sans limites » entre la Russie et la Chine. Il y a aussi un simple avertissement pour Xi : si la Chine sent qu’elle ne peut pas se permettre de voir la Russie perdre cette guerre, il est préférable de tirer Moscou d’affaire avant que les revers militaires ne s’aggravent.
Au minimum, certains arguent que donner une chance au plan de paix en 12 points annoncé en mars par la Chine est aussi un moyen utile d’éliminer tout espoir de Moscou de voir la Chine lui fournir des armes de manière significative. La Chine ne peut guère brandir un rameau d’olivier d’une main et un lance-flammes de l’autre.
Les paroles de Macron semblent certainement destinées à enfermer Beijing dans un rôle de pacificateur.
Les conseillers de Macron soutiennent que le président français a la possibilité de faire pression pour que Beijing ajoute de la substance à son rôle autoproclamé de médiateur et pour mettre Xi au défi : en lui demandant s’il croit en l’intégrité territoriale des États-nations et comment ce principe peut être respecté dans le cas de l’Ukraine.
Comme l’a déclaré Wang Huiyao, l’influent fondateur du Center for Chinai and Globalization, un groupe de réflexion non gouvernemental chinois : « si Beijing veut vraiment promouvoir la paix, elle doit dissiper les doutes quant à sa volonté et à sa capacité à mener une médiation équitable ». Pour ce faire, Beijing doit se montrer plus impartial et faire pression sur Poutine.
Pourtant, quand Xi s’est rendu à Moscou pour une visite de trois jours le mois dernier, il n’a rien fait pour défier Poutine en public. Leur longue déclaration commune a soutenu le Conseil de sécurité de l’ONU en tant que seul organe habilité à autoriser des sanctions reliées à la guerre. Superficiellement, ce discours peut sembler séduisant, mais en réalité, il donne un droit de veto à un combattant, la Russie, puisqu’elle en est membre, et laisse à l’écart l’autre combattant, l’Ukraine.
Sans surprise, deux jours après la visite de Xi, Poutine a annoncé qu’il stationnait des armes nucléaires tactiques en Biélorussie, ce qui n’est pas l’acte d’un homme craignant des représailles de la Chine pour avoir attisé le feu. Ses conseillers disent poliment qu’il n’y a ni besoin ni horizon pour une médiation chinoise.
On soupçonne que l’activisme diplomatique de la Chine vise à exploiter le sentiment des pays du Sud que l’ordre actuel est illégitime et qu’il ne sert qu’à promouvoir les intérêts des États-Unis.
Ainsi, il importe peu que le plan de paix de la Chine soit ou non dépourvu de tout contenu véritable. Il existe et le Sud global peut y projeter tout instinct qu’il nourrit envers l’agression américaine. De même, dans le cas de l’Iran et de l’Arabie saoudite, la Chine n’a pas eu à se salir les mains, mais elle pourrait en récolter les fruits. Le plus difficile travail diplomatique avait déjà été fait par d’autres pays, notamment l’Irak et Oman en 2021 et 2022.
Les responsables chinois ont certainement fait plus qu’officier lors de la cérémonie de signature. Ils ont supervisé quatre jours de négociations tendues. Mais à ce point dans le temps, les deux camps voulaient laisser la Chine leur faire franchir la ligne d’arrivée, en partie parce que Riyad pensait que Beijing était la meilleure option disponible pour garantir le maintien de l’Iran dans le rang. C’était aussi une occasion pour Riyad d’affirmer son indépendance vis-à-vis de Washington et de refléter la réalité, à savoir que c’est la Chine, et non les États-Unis, qui est désormais son principal partenaire commercial.
Mais plus la Chine se proposera en tant que véritable médiateur dans les années à venir, plus elle sera surveillée et plus les choix deviendront décisifs.