La guerre ne prendra fin que lorsque les Israélien·ne·s comprendront cette vérité toute simple (traduction)

La guerre ne prendra fin que lorsque les Israélien·ne·s comprendront cette vérité toute simple

Par Orly Noy, +972 Magazine, 24 janvier 2025 (d’abord paru en hébreu dans Local Call)
Texte original en anglais [Traduction : Maya Berbery; révision : Nathalie Thériault]

Aujourd’hui, la plupart des Israélien·ne·s soutiennent un cessez-le-feu à Gaza. Mais ils et elles ne réalisent toujours pas que s’il y a de l’oppression, il y aura inévitablement de la résistance.

« La guerre ne prendra fin que lorsque les Israélien·ne·s comprendront cette vérité toute simple »
« La guerre ne prendra fin que lorsque les Israélien·ne·s comprendront cette vérité toute simple », +972 Magazine, 24 janvier 2025

L’émotion était palpable lors des retrouvailles de Romi Gonen, Doron Steinbrecher et Emily Damari avec leurs proches, les otages revenant de plus de 15 mois de captivité à Gaza. Toute une nation a semblé retenir son souffle jusqu’à ce que les trois sortent du véhicule de Croix-Rouge pour passer sous la garde des autorités israéliennes. C’est alors que la joie a éclaté – l’un des rares moments de liesse depuis plus d’un an.

Nos voisin·e·s palestiniens ont également connu un moment de joie doux-amer dimanche dernier, au milieu de la mort et de la destruction généralisées : ils et elles ont aussi célébré le retour des prisonnières et prisonniers libérés qui avaient survécu aux camps de torture israéliens. Il suffit de regarder le visage de la parlementaire palestinienne Khalida Jarrar, libérée après une détention administrative prolongée et tellement brisée qu’elle en est presque méconnaissable, pour imaginer ce que ces personnes ont enduré en captivité. « Il n’y a pas de vie en prison » a déclaré Janin Amro, une prisonnière palestinienne de 23 ans libérée, à Oren Ziv du magazine +972. « C’était essentiellement un cimetière. »

En Israël, la joie publique suscitée par la libération des otages n’a été égalée en intensité que par l’indignation suscitée par la joie des Palestinien·ne·s pour leurs prisonnier.ère.s libérés, catégoriquement qualifiés de « terroristes », bien que la plupart n’aient jamais été reconnus coupables d’un crime. Il s’agit d’une pensée tautologique voulant que les Palestinien·ne·s sont tous des terroristes, simplement en vertu de leur détention par Israël.

Il est donc interdit à leur peuple de célébrer leur libération. Ce sentiment est si ancré que le tweet profondément humain d’Ayman Odeh, député palestinien de la Knesset – qui exprimait sa joie pour la libération des otages et des prisonniers et prisonnières, tout en ajoutant que « nous devons libérer les deux peuples du fardeau de l’occupation. Nous sommes tou·te·s né·e·s libres », – a provoqué une éruption de réactions racistes. Aujourd’hui, des efforts sont déjà déployés pour l’expulser de la Knesset.

Dans un Israël fou et vengeur, les détenu·e·s palestinien·ne·s ne sont pas considérés comme des êtres humains qui ont des parents, des sœurs, des frères ou des ami·e·s dévorés par l’inquiétude à leur sujet. Seuls, nous, Israélien·ne·s, avons droit aux réjouissances.

Pendant que trop peu de personnes des deux côtés célèbrent la libération de leurs proches, d’innombrables autres – et des Palestinien·ne·s par milliers plus nombreux que les Israélien·ne·s – continuent d’osciller entre espoir et désespoir, dans l’attente du prochain échange de captives et captifs qui permettra de libérer leurs proches de l’enfer, et dans l’angoisse que ce moment ne se matérialise pas.

L’exercice du pouvoir par le premier ministre Benjamin Nétanyahou est une épreuve atrocement frustrante et déprimante – cet escroc professionnel parle d’accords avec les familles des otages tout en faisant un clin d’œil de connivence aux bellicistes, promettant aux uns et aux autres exactement ce qu’ils et elles veulent entendre. Pendant ce temps, deux peuples épuisés et meurtris se retrouvent en état de choc, coincés au milieu et incapables d’imaginer ce qui les attend.

Égalité, en tout point, point par point

La principale question reste de savoir si et quand la guerre prendra fin. Et la vérité est que la réponse n’a rien à voir avec Nétanyahou.

La guerre ne prendra pas fin avec un cessez-le-feu, ni avec le retour de tous les otages ni même avec un retrait militaire complet de Gaza. La guerre ne prendra fin que lorsque la société israélienne réalisera qu’il est non seulement immoral, mais aussi impossible, d’assurer son existence par l’oppression et la soumission d’un autre peuple – lorsque nous reconnaîtrons que les personnes que nous emprisonnons, bombardons, affamons et privons de leur liberté et de leur terre ont exactement les mêmes droits que nous, en tout point, point par point.

Il est stupéfiant de constater qu’après tant d’années de conflits sanglants, le public israélien refuse toujours d’accepter ce fait tout simple : tant qu’il y aura de l’oppression, il y aura de la résistance.

L’espoir israélien, qu’après le génocide qui a complètement détruit Gaza, le peuple palestinien acceptera son assujettissement permanent, n’est pas seulement meurtrier mais carrément suicidaire. Des décennies d’occupation, d’oppression et d’apartheid nous ont montré non seulement la quête suprémaciste incontrôlée d’Israël, mais aussi le refus inébranlable des Palestinien·ne·s de se plier à ce régime, et ce, à juste titre. Nous ne l’accepterions pas non plus.

Nous ne pouvons pas effacer les horreurs perpétrées à Gaza, la mort et la souffrance de tant de personnes, mais nous avons le pouvoir de mettre fin à la guerre – et pas seulement à la guerre à Gaza mais aussi à la guerre honteuse qui se déroule en ce moment même en Cisjordanie. Là, des colons armés de l’idéologie raciste de Kahane et soutenus par l’armée la plus puissante de la région prennent leur revanche sur le récent accord, pendant que les soldats procèdent à des arrestations arbitraires, à des invasions, à des blocus, à des fusillades et à des démolitions.

Alors, que faire maintenant? Nous convaincre une fois de plus que si nous resserrons notre étau autour de leur gorge, les Palestinien.ne.s renonceront à leurs aspirations aux droits les plus élémentaires? Et lorsque le volcan entrera en éruption et qu’un nouvel abîme infernal s’ouvrira, serons-nous une fois de plus stupéfaits et pétrifiés? Nous arrogerons-nous à nouveau le droit d’anéantir des populations entières en représailles, en guise de punition, pour nous assurer qu’elles n’oseront plus jamais rêver de droits – et répéterons-nous le cycle à l’infini? Combien de temps cela peut-il durer?

Les sondages montrent qu’une majorité écrasante d’Israélien·ne·s souhaite la fin de la guerre. C’est une statistique encourageante, mais nous devons être clairs : cette guerre ne prendra fin que lorsque la société israélienne comprendra que vivre par l’épée n’est pas notre destin permanent, mais un choix – et que nous pouvons choisir une autre voie, celle de l’égalité, de la dignité et de la justice. La guerre ne prendra pas fin avant. Pas un instant plus tôt.

Orly Noy est rédactrice en chef de Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose écrites en farsi. Elle est présidente du conseil exécutif de B’Tselem et militante du parti politique Balad. Ses écrits traitent de ses identités croisées de mizrahi, de femme de gauche, de femme, de migrante temporaire doublée d’immigrante perpétuelle et du dialogue constant entre ces identités.