L’assassinat de Hassan Nasrallah et comment l’Occident a légitimé son recours aux assassinats (traduction)

L’assassinat de Hassan Nasrallah et comment l’Occident a légitimé son recours aux assassinats

Par Luca Trenta, Emil Archambault et Sophie Duroy, The Conversation, 3 octobre 2024
Texte original en anglais / Original article in English – [Traduction : Dominique Peschard; révision : Martine Eloy]

« The killing of Hassan Nasrallah and how the west legitimised its use of assassination », The Conversation, 3 octobre 2024
« The killing of Hassan Nasrallah and how the west legitimised its use of assassination », The Conversation, 3 octobre 2024

Quand l’armée israélienne a assassiné le dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans un bunker souterrain à Beyrouth le 27 septembre, le premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahu, en a pris la responsabilité en se vantant avec un ton provoquant que « Nasrallah n’était pas un terroriste, c’était le terroriste »

Des messages tout aussi provocateurs ont été émis par la Maison blanche. Le président des États-Unis, Joe Biden a dit que l’assassinat était « justice rendue pour ses nombreuses victimes ». Un porte-parole du Département d’État a déclaré que son assassinat était « un pur bienfait ».

Ni Israël, ni le gouvernement des États-Unis ont déploré la mort de quelque 300 civils lors de l’attaque. Peut-être les ont-ils vu comme un « dommage collatéral » acceptable.

Bien que de nombreux dirigeants dans le monde ont condamné l’escalade de la violence dans la région, les réactions ont été plus silencieuses quand est venu le temps de condamner l’assassinat comme tel. Exception faite des alliés du Hezbollah, la plupart des gouvernements n’ont soit rien dit, soit accepté l’argument que l’assassinat avait été « juste ».

De fait, les réactions à l’assassinat de Nasrallah sous-tendent que les gouvernements occidentaux sont de plus en plus à l’aise avec le recours aux assassinats ciblés, au point qu’un assassinat revendiqué de manière effrontée n’ait pas déclenché de condamnation significative.

Les « assassinats ciblés » sont devenus une politique officielle d’Israël au début des années 2000, faisant partie de ses efforts pour affronter la soi-disant « Intifada Al-Aqsa ». Jusqu’en juillet 2001, la prétention d’Israël que les frappes contre des militants palestiniens n’étaient pas des assassinats était largement rejetée, y inclus par des représentants des États-Unis qui les qualifiaient d’« exécutions extrajudiciaires ».

Ce qui n’a pas dissuadé Israël. Les autorités israéliennes ont lancé une campagne concertée pour refaçonner le droit international, tel qu’elles l’ont avoué plus tard. Comme un représentant a dit « Si vous faites quelque chose suffisamment longtemps, le monde va finir par l’accepter ».

Les assassinats ciblés

Après une enquête du Congrès qui a mené à une interdiction des assassinats politiques en 1976, dans les années 1980, le gouvernement des États-Unis a commencé à développer des arguments légaux qui permettaient de cibler des terroristes, nonobstant l’interdiction. Washington a de nouveau modifié sa position après les attentats du 11 septembre 2001. L’administration Bush a fait des assassinats ciblés un élément important de sa « guerre globale contre le terrorisme ».

En 2002, les États-Unis réussirent au Yémen leur première frappe par drone à l’extérieur d’une zone de combat active. La frappe a tué Qaed Salim Sinan al-Harethi, un des terroristes responsables de l’attaque contre le USS Cole, ainsi qu’un citoyen étatsunien qui voyageait avec lui.

Sans faire directement référence à la frappe, les représentants des États-Unis ont écarté les critiques des Nations Unies.

Les assassinats ciblés, principalement au moyen de drones, ont augmenté de manière radicale lors du premier mandat d’Obama. Encore plus important, sous Obama, le gouvernement des États-Unis a entrepris plus ouvertement de justifier les frappes au moyen de drones en droit international.

Politiquement et stratégiquement, les membres de l’administration ont décrit les assassinats ciblés comme étant « chirurgicaux ». Ils étaient présentés comme supérieurs à d’autres formes de bombardement – et définitivement mieux que la guerre conventionnelle.

Au niveau légal, les gouvernements successifs des États-Unis ont développé un concept élargi de la légitime défense et de l’imminence [NDLR : de la menace], argumentant, entre autres, que les États-Unis pouvaient ainsi frapper un terroriste même s’il ne représentait pas une menace immédiate. Le gouvernement des États-Unis s’est souvent référé à la jurisprudence israélienne pour développer ses arguments légaux.

Ces interprétations contestables des lois régissant les conflits armés et le droit humanitaire ont été utilisées par les États-Unis pour se donner (ainsi qu’à leurs alliés) le feu vert pour cibler les terroristes (soupçonnés) dans divers pays.

L’administration Trump a adapté ces interprétations pour justifier le ciblage d’un représentant officiel d’un gouvernement lors de l’assassinat du dirigeant militaire iranien Qassem Soleimani en janvier 2020. Les représentants de l’administration ont invoqué la menace imminente que représentait Soleimani et la légitime défense pour justifier la frappe. Mais ces justifications ont rapidement été abandonnées. Les représentants des États-Unis ont plutôt allégué que Soleimani avait du sang « américain » sur les mains, une justification qui évoque la vengeance, plus que la légitime défense.

Malgré cela, l’assassinat a été peu condamné au niveau international. En effet, un communiqué conjoint des gouvernements britannique, français et allemand deux jours après la mort de Soleimani a simplement condamné ce qu’ils ont décrit comme le rôle de l’Iran dans la violence de la région. L’assassinat de Soleimani n’a même pas été mentionné.

Ces concepts ont perduré. En 2021, Joe Biden a justifié le retrait de l’Afghanistan en s’appuyant sur la capacité « d’agir fermement et décisivement au-delà de l’horizon si nécessaire ». Un an plus tard, les États-Unis ont salué l’assassinat du dirigeant d’al Qaeda, Ayman al-Zawahiri, à Kaboul en juillet 2022 comme preuve de la validité du concept.

La justice de qui?

À ce stade-ci, le gouvernement des États-Unis a cessé de s’encombrer de justifications légales élaborées. Plutôt, il prétend que « justice a été rendue ». C’est le même langage que celui utilisé par Barack Obama dans son discours annonçant la mort de l’architecte du 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden, quand il a dit « Justice a été faite ».

Bien que les assassinats de Ben Laden et d’al-Zawahiri soient très controversés d’un point de vue légal, les États-Unis n’ont pas senti le besoin de fournir une justification en vertu du droit international.

Comme l’assassinat de Nasrallah le démontre, les efforts de normalisation du recours à l’assassinat de la part d’Israël et des États-Unis ont si bien réussi que même lorsqu’ils reconnaissent avoir commis un assassinat, ils avancent rarement des justifications légales. Ils parlent simplement de « justice ».

Deux dynamiques ont contribué à la normalisation des assassinats et des meurtres ciblés.

Premièrement, il y en a plus. Dans la conduite de leur politique étrangère (clandestine), plusieurs pays ont maintenant régulièrement recours aux assassinats et meurtres ciblés. Ils les présentent comme étant « chirurgicaux » et une alternative stratégique préférable aux attaques terrestres et aux bombardements aériens encore plus étendus (bien que ces derniers aient également lieu de manière régulière, en parallèle aux « assassinats ciblés »).

Deuxièmement, plusieurs États – en particulier Israël et les États-Unis – ont été à l’avant plan d’une démarche de justification de leur conduite comme étant compatible avec le droit international. L’héritage meurtrier de ce processus est qu’une frappe peut maintenant être ouvertement déclarée un « assassinat », sans être qualifiée de chirurgicale ou d’alternative à une guerre terrestre, avec peu de craintes de répercussions internationales.