L’assassinat du chef d’Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri par Joe Biden était illégal (traduction)

L’assassinat du chef d’Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri par Joe Biden était illégal

Par Marjorie Cohn, Truthout, 6 août 2022
Texte original en anglais [Traduction : Claire Lapointe; révision : Échec à la guerre]

L’assassinat par le président Biden du chef d’Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri, en Afghanistan, était illégal en vertu du droit étasunien et international. Après la frappe de drone de la CIA qui a tué Zawahiri le 2 août dernier, M. Biden a déclaré : « Les gens du monde entier n’ont plus à craindre ce tueur brutal et déterminé ». Ce que nous devrions plutôt craindre, c’est le dangereux précédent créé par l’exécution extrajudiciaire illégale ordonnée par le président Biden.

Outre son caractère illégal, l’assassinat de Zawahiri est survenu au moment où les Nations Unies venaient de déterminer que la population aux États-Unis avait peu à craindre de lui. Comme le conclut le rapport des Nations Unies publié en juillet : « L’organisation Al-Qaïda n’est pas considérée comme représentant une menace internationale immédiate depuis son refuge en Afghanistan, car elle ne dispose pas d’une capacité opérationnelle extérieure et ne souhaite pas, dans le contexte actuel, susciter des difficultés ou des problèmes internationaux aux talibans ».

Tout comme l’ancien président Barack Obama avait déclaré que « justice a été faite » après l’assassinat d’Oussama ben Laden, lors de l’annonce de l’assassinat de M. Zawahiri, M. Biden a affirmé que « maintenant, justice a été rendue ».

Les représailles, cependant, ne sauraient constituer une justice.

Les assassinats, qu’ils soient ciblés ou politiques, sont des exécutions extrajudiciaires. Il s’agit de meurtres délibérés et illégaux, perpétrés sur ordre ou avec l’assentiment d’un gouvernement. Les exécutions extrajudiciaires sont mises en œuvre hors du cadre judiciaire.

Le fait que Zawahiri ne représentait pas une menace imminente est précisément la raison pour laquelle son assassinat était illégal.

L’assassinat de Zawahiri a violé le droit international

Les exécutions extrajudiciaires sont interdites en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Les États-Unis ont ratifié ce Pacte, ce qui en fait un élément du droit étasunien selon la règle de suprématie de la Constitution. L’article 6 du PIDCP stipule que «  Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. » Dans son interprétation de l’article 6, le Comité des droits de l’homme des Nations unies affirme que cette protection du droit à la vie est garantie à toutes les personnes humaines « sans distinction d’aucune sorte, y compris à celles qui sont soupçonnées ou reconnues coupables de crimes, même les plus graves. »

« En dehors du contexte d’affrontements belliqueux, l’utilisation de drones ou d’autres moyens pour perpétrer des assassinats ciblés n’est quasi jamais susceptible d’être légale », a tweeté Agnès Callamard, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. « La force intentionnellement ou potentiellement létale ne peut être utilisée que lorsque cela est strictement nécessaire pour se protéger contre une menace imminente pour la vie. » Pour que cette mesure soit légale, les États-Unis devraient démontrer que la cible « constituait une menace imminente pour des tiers », a déclaré Mme Callamard.

De plus, l’homicide intentionnel constitue une violation grave des Conventions de Genève, punissable comme crime de guerre en vertu de la loi étasunienne sur les crimes de guerre. Un assassinat ciblé n’est légal que s’il est jugé nécessaire pour protéger la vie, et qu’aucun autre moyen (y compris l’arrestation ou la neutralisation non létale) n’est possible pour protéger cette vie.

L’assassinat de Zawahiri a violé la loi des États-Unis

La frappe de drone qui a tué Zawahiri a également violé la Résolution sur les pouvoirs de guerre. Cette résolution prévoit trois situations pour lesquelles le président peut faire intervenir les forces armées étasuniennes dans des opérations de combat :

Dans un premier temps, en vertu d’une déclaration de guerre du Congrès, ce qui ne s’est pas produit depuis la Seconde Guerre mondiale. Deuxièmement, en cas « d’urgence nationale résultant d’une attaque contre les États-Unis, leurs territoires ou possessions, ou leurs forces armées ». (La présence de Zawahiri en Afghanistan plus de 20 ans après les attentats du 11 septembre 2001 ne constituait pas une « urgence nationale »). Et enfin, lorsqu’il existe une « autorisation législative spécifique », telle qu’une autorisation de recours à la force militaire (AUMF).

En 2001, le Congrès a adopté une AUMF qui autorisait le président à recourir à la force militaire contre les individus, les groupes et les pays qui avaient contribué aux attentats du 11 septembre, « afin de prévenir tout acte futur de terrorisme international contre les États-Unis par ces nations, organisations ou personnes ».

Zawahiri faisait partie d’un petit cercle de personnes dont on pense qu’elles ont planifié le détournement de quatre avions en 2001, dont trois se sont écrasés sur le Pentagone et le World Trade Center. Mais comme il ne représentait pas une « menace internationale immédiate » avant que les États-Unis ne le ciblent pour l’assassiner, il aurait dû être arrêté et traduit en justice conformément à la loi.

L’attaque contre Zawahiri a violé les règles de ciblage d’Obama qui stipulaient que la cible représente une « menace imminente permanente ». Bien que Donald Trump ait assoupli les règles édictées par Obama, M. Biden a entrepris une révision secrète afin d’établir ses propres normes en matière de ciblage d’assassinats.

  1. Biden continue de lancer des frappes illégales de drones

Bien que l’administration Biden ait affirmé qu’aucun civil n’avait été tué lors de l’attaque contre Zawahiri, aucune preuve indépendante n’est venue étayer cette affirmation.

L’assassinat de Zawahiri est survenu près d’un an après que Biden ait lancé une frappe illégale lors du retrait des troupes étasuniennes d’Afghanistan. Dix civils ont été tués lors de cette attaque. Le commandement central étasunien a reconnu que l’attaque était « une erreur tragique » après qu’une enquête approfondie du New York Times ait démenti la déclaration antérieure des États-Unis selon laquelle il s’agissait d’une « attaque justifiée ».

  1. Biden a déclaré que, même s’il retirait les forces étasuniennes d’Afghanistan, il mènerait des attaques « par-delà l’horizon » depuis l’extérieur du pays, même sans troupes au sol. On peut s’attendre à ce que l’administration Biden mène de nouvelles frappes illégales de drones causant la mort de civils.

Les États-Unis ont utilisé l’AUMF de 2001 pour justifier des opérations militaires au sein de 85 pays. Le Congrès doit l’abroger et le remplacer par une nouvelle AUMF stipulant spécifiquement que tout recours à la force doit respecter les obligations des États-Unis en matière de droit international.

En outre, le Congrès devrait réexaminer la Résolution sur les pouvoirs de guerre et limiter explicitement le pouvoir du président de recourir à la force uniquement pour repousser une attaque soudaine ou imminente.

Enfin, les États-Unis doivent mettre fin une fois pour toutes à leur « guerre mondiale contre le terrorisme ». Les frappes de drones terrorisent et tuent d’innombrables civils et nous rendent plus vulnérables au terrorisme.

Marjorie Cohn est professeure émérite à la Thomas Jefferson School of Law. Elle a occupé le poste de présidente de la National Lawyers Guild. Elle est membre des conseils consultatifs nationaux de Assange Defense, de Veterans For Peace et du bureau de l’Association internationale des juristes démocrates. Elle a notamment publié Drones and Targeted Killing : Legal, Moral and Geopolitical Issues.