Le coquelicot rouge, un symbole qui fait la promotion du militarisme
par Yves Engler, 6 novembre 2021
Texte original en anglais – [Traduction : Claire Lapointe; révision : Échec à la guerre]
Les progressistes devraient s’abstenir d’acheter ou de porter le coquelicot rouge. La Légion royale canadienne, militariste et impérialiste, possède le droit d’auteur sur le coquelicot rouge, et le jour du Souvenir promeut le patriotisme belliqueux.
Le coquelicot rouge commémore les Canadien.ne.s qui sont morts à la guerre. En revanche, il ne commémore pas les Afghan.e.s et les Libyen.ne.s tués par des Canadiens dans les années 2000, ni les Irakien.ne.s et les Serbes tués dans les années 1990, ni les Coréen.ne.s tués dans les années 1950, ni les Russes, Sud-Africain.e.s, Soudanai.se.s, ni les autres personnes tuées antérieurement. En se concentrant exclusivement sur « notre » côté, le coquelicot du jour du Souvenir renforce le sentiment que la position du Canada est juste. Or, les soldats canadiens n’ont combattu que dans une seule guerre moralement justifiable, la Seconde Guerre mondiale.
Le coquelicot rouge a été inspiré par le poème In Flanders Fields (Au champ d’honneur), écrit en 1915 par l’officier de l’armée canadienne, John McCrae. Ce poème pro-guerre appelle les Canadien.ne.s à « reprendre notre combat avec l’ennemi » (« take up our quarrel with the foe »). Il a été utilisé pour lever des fonds avec les obligations de guerre et recruter des soldats pendant la Première Guerre mondiale.
Le jour du Souvenir marque la fin de la Première Guerre mondiale, qui fut un épisode d’horreur capitaliste et colonialiste. Les élites dirigeantes de France, d’Allemagne, d’Angleterre et de Russie ont vu dans la guerre un moyen d’affaiblir les contestations de la classe ouvrière dans leurs pays respectifs. En Europe, la rivalité inter-impériale constituait l’autre facteur déterminant de la Première Guerre mondiale. Il s’agissait d’une lutte pour la suprématie mondiale entre l’Allemagne émergente et les puissances impériales de l’époque, la Grande-Bretagne et la France. De fait, le soutien à l’Empire britannique fut la principale motivation d’Ottawa pour se joindre à la guerre. Comme l’a souligné le premier ministre canadien Robert Borden, le combat consistait à « déployer tous les efforts et à faire tous les sacrifices nécessaires pour assurer l’intégrité et maintenir l’honneur de notre empire ».
Pendant la Première Guerre mondiale, les troupes canadiennes ont soutenu le système colonial dans les Caraïbes. Les Canadiens ont également combattu pour conquérir l’Afrique occidentale et orientale allemande, sans compter l’Irak et la Palestine. En Afrique de l’Est seulement, environ un million de personnes sont mortes en raison de cette guerre.
Il est difficile de se faire une idée de l’horreur de la guerre en Europe. En quatre jours seulement, près de 16 000 Canadiens ont été tués ou gravement blessés en se battant pour quelques mètres de terrain à Passchendaele. Au cours de la bataille pour la colline 70 [NDT: dans la région française Nord-Pas-de-Calais], 9 000 Canadiens ont été tués ou blessés, alors que les militaristes se vantent que les soldats canadiens aient « tué ou blessé quelque 25 000 Allemands » pour cette colline sans importance.
Chaque année, la Légion royale canadienne vend environ 20 millions de coquelicots rouges à l’approche du jour du Souvenir. Pour soutenir cette organisation historiquement raciste et homophobe à collecter des fonds, le gouvernement fédéral lui a accordé, en 1927, le monopole de la distribution de coquelicots.
Bien que son principal mandat politique soit d’améliorer les services aux anciens combattants, la Légion prône depuis longtemps le militarisme et une vision réactionnaire du monde. Au début des années 1930, elle a poussé au renforcement des capacités militaires, et son congrès de 1950 a préconisé un « état de préparation total ». En 1983, son président, Dave Capperauld, a soutenu les essais de missiles de croisière étasuniens en Alberta. Au début des années 1990, la Légion a adopté « une position indéfectible sur l’importance de maintenir une forte présence militaire canadienne en Europe dans le cadre de l’OTAN et en appuyant l’accroissement d’armes nucléaires de pointe par les États-Unis ».
La Légion a également épousé une vision du monde raciste, paranoïaque et pro-impériale. Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, elle a demandé l’expulsion des Canadien.ne.s d’origine japonaise et le filtrage idéologique des immigrant.e.s allemands. D’après le livre Branching Out : the story of the Royal Canadian Legion, une décennie avant la Seconde Guerre mondiale, « le commandement du Manitoba a approuvé à l’unanimité une résolution visant à interdire les activités communistes. Le président provincial Ralph Webb […] a alerté l’opinion à l’effet que l’on apprenait aux enfants à cracher sur l’Union Jack dans les écoles du Manitoba ».
Longtemps après la fin de la guerre froide, cette organisation reste préoccupée par les « subversifs ». Encore aujourd’hui, les membres de la Légion doivent signer une déclaration qui stipule notamment ceci : « Je déclare solennellement par la présente que je ne suis ni membre ni affilié à un groupe, à un parti ou à une secte dont les intérêts sont contraires aux buts déclarés de la Légion, et que je n’appuie ni appuierai aucune organisation qui prône la chute de notre gouvernement par la force ou qui encourage ou participe à une propagande ou à des actions subversives. »
Ce groupe d’anciens combattants a cherché à supprimer toute interprétation critique de l’histoire militaire. Au milieu des années 2000, la Légion s’est opposée aux historiens du Musée canadien de la guerre au sujet d’une exposition sur l’offensive des bombardiers alliés lors de la Seconde Guerre mondiale. Après avoir façonné son développement, la Légion s’est opposée à une petite partie de cette exposition aux multiples volets qui remettait en question « l’efficacité et la moralité du […] bombardement massif des cibles industrielles et civiles allemandes ». Le musée refusant de donner aux anciens combattants un droit de veto effectif sur son exposition, le magazine Legion a appelé à son boycottage. La campagne de la Légion a conduit à des audiences du sous-comité sénatorial des anciens combattants et à une nouvelle présentation qui occultait une campagne de bombardement explicitement conçue pour détruire les villes allemandes. Elle a également entraîné la démission du directeur du musée, Joe Guerts.
Dix ans plus tôt, la Légion avait participé à une campagne visant à empêcher la rediffusion et la distribution dans les écoles d’une série en trois épisodes intitulée The Valour and the Horror. Cette série de la CBC, réalisée en 1992, alléguait que les soldats canadiens avaient commis des crimes de guerre impunis pendant la Seconde Guerre mondiale, et que le commandement des bombardiers dirigé par les Britanniques avait tué 600 000 civils allemands. La campagne menée par les associations d’anciens combattants a déclenché une enquête du Sénat, une audience du CRTC, une action en justice, ainsi qu’un engagement de la CBC à ne pas rediffuser The Valour and the Horror sans modifications.
Les Canadien.ne.s de conscience ne devraient pas contribuer à financer la réactionnaire Légion royale canadienne. De même qu’ils ne devraient pas promouvoir le patriotisme belliqueux que représentent le coquelicot rouge et le jour du Souvenir. Pour se souvenir de toutes les victimes de la guerre, soutenons plutôt la campagne du coquelicot blanc des organisations pacifistes.