publié le 22 janvier 2007
Pour financer la seconde guerre mondiale, les Américains ont investi leurs économies dans les fameux War Bonds (obligations de guerre). Pendant les conflits coréens et vietnamiens, les impôts ont augmenté et les dépenses civiles diminuées. Mais pour payer les guerres en Irak et en Afghanistan, l’administration Bush a fait comme si de rien n’était. Non seulement elle a baissé les impôts, mais les crédits supplémentaires sont votés tous les ans en catimini par le Congrès comme des dépenses d’urgence et ne sont même pas intégrés dans le calcul du déficit budgétaire.
« Il est juste de dire que l’argent dépensé pour la guerre a été emprunté presque subrepticement sans mettre en face des recettes » , souligne Richard Kogan, du Center on Budget and Policy Priorities (Centre sur les priorités politiques et budgétaires). « Mais tout finit un jour par se payer » , prévient-il. Avec une majorité démocrate au Congrès décidée à contester la stratégie en Irak de la Maison Blanche, l’heure des tours de passe-passe budgétaire arrive sans doute à son terme. Le Pentagone vient d’ailleurs d’annoncer qu’à partir de l’année fiscale 2008, qui commence le 1er octobre 2007, il renoncera aux financements exceptionnels.
Il demandera quand même une dernière fois, dans les prochaines semaines, au moins 100 milliards de dollars (77 milliards d’euros) en urgence et les débats au Capitole s’annoncent houleux alors que George Bush a écarté lundi 22 janvier, dans le quotidien USA Today, tout calendrier de retrait. « Le coût de nos opérations militaires dans le monde est passé de 96 milliards en 2004 à 122 milliards en 2006 et il pourrait atteindre jusqu’à 170 milliards cette année. Il nous faudra des explications » , prévient le représentant démocrate John Spratt.
Depuis 2001, le Sénat et la Chambre des représentants ont voté en tout 503 milliards de dollars de crédits pour les guerres en Irak et en Afghanistan, selon le bureau du budget du Congrès. Les dépenses d’entretien des troupes au jour le jour ne cessent de gonfler et approchent maintenant 10 milliards de dollars par mois. Le secrétaire adjoint à la défense, Gordon England, souligne qu’après quatre ans en Irak, les hélicoptères, avions et autres véhicules blindés usés ou détruits doivent être remplacés. Douze soldats ont été tués le 20 janvier après le crash d’un hélicoptère et 13 autres dans des attaques à la veille de l’arrivée en renfort, dimanche, de 3 200 soldats. A la fin de l’année, nul doute que le coût de la guerre dépassera largement les 600 milliards de dollars approchant en termes réels ceux des conflits du Vietnam (660 milliards en dollars d’aujourd’hui) et de Corée (690 milliards).
Il existe toutefois une différence de taille avec le passé qui a permis à l’administration d’en masquer les conséquences : la taille, en proportion, de l’économie américaine. Entre 1942 et 1945, les États-Unis ont consacré 30 % de leur produit intérieur brut (PIB) à l’effort de guerre. En 1953, le financement de la campagne de Corée représentait 14 % du PIB et celle du Vietnam jusqu’à 9 %. Le coût des guerres en Afghanistan et en Irak équivaut à peine à 1 % d’un PIB de l’ordre de 13 000 milliards de dollars.
La guerre a ainsi des conséquences économiques presque invisibles pour l’Américain moyen, sauf à prendre en considération les calculs de deux célèbres professeurs d’économie, le prix Nobel Joseph Stiglitz, de l’université de Columbia, et la spécialiste des dépenses publiques Linda Bilmes, de Harvard. Ils ont publié une étude il y a un an, actualisée en octobre 2006, évaluant le coût total de la guerre à plus de 2 000 milliards de dollars. Ils soulignent que le Congrès mesure les dépenses immédiates pas les coûts à long terme comme celui de devoir soigner pendant des décennies plus de 22 000 soldats blessés et mutilés. Ils y ajoutent des dépenses cachées dans le budget de la défense, les pertes pour l’économie et même en partie la hausse du prix du pétrole.
« L’administration a tenté de nous vendre l’idée qu’elle peut changer les lois de l’économie » , explique M. Stiglitz dans une interview au magazine Rolling Stone. « Ils veulent nous faire croire que nous n’avons pas à choisir entre les canons et le beurre, que nous pouvons avoir les deux. La réalité est que l’argent dépensé pour la guerre aurait pu servir à autre chose » , ajoute-t-il.