Le coût exorbitant de la militarisation : l’inquiétante dérive canadienne

Ce texte d’opinion, cosigné par Martine Éloy du Collectif Échec à la guerre, est paru dans l’édition numérique du Devoir du 1er novembre 2025.

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Le coût exorbitant de la militarisation : l’inquiétante dérive canadienne

En juin dernier, le premier ministre Mark Carney annonçait une injection supplémentaire de 9,3 milliards de dollars pour les dépenses en matière de défense de 2025 à 2026. De plus, en réponse à l’exigence de l’OTAN et à la demande des États-Unis, les dépenses de défense passeraient de 1,5 % à 5 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici 2035, ce qui veut dire que le tiers du budget fédéral actuel irait aux dépenses militaires. Quelle augmentation astronomique!

Cette vaste offensive de militarisation de la société et des esprits repose sur un très vieux mantra politique selon lequel il faut préparer la guerre pour vivre en paix. Une militarisation qui, en plus d’assurer « notre » sécurité, promet de créer des emplois. Or, pendant qu’on fait rouler les tambours de la guerre, les marchands de la mort se réjouissent des profits à venir.

Dans un contexte de tensions croissantes, cette nouvelle course aux armements n’annonce rien de bon, ni pour le Canada ni pour le reste de la planète. Elle risque de remplacer le droit international par la loi du plus fort, et de nous plonger dans un nouveau cycle de conflits, de crises économiques et d’agressions impérialistes, et donc d’augmenter le nombre de guerres dévastatrices. Dans ce contexte, le risque d’une conflagration nucléaire qui menace la survie de l’humanité est réel.

Au nom de quelle sécurité?

À l’heure où l’on assiste à une montée de l’extrême droite et à l’effondrement des règles internationales instaurées après la Deuxième Guerre mondiale, la rhétorique belliciste exploite les peurs et nourrit des narratifs ultranationalistes et liberticides pour fabriquer un consentement à l’effort de guerre. Nos dirigeants affirment, comme une évidence, qu’il est important de dépenser des milliards pour acquérir des armes toujours plus sophistiquées.  Pour la population, la sécurité c’est avant tout d’avoir un toit, des services sociaux, de quoi manger, une société juste. Ce ne sont pas les armes qui assurent notre sécurité.

À qui profite la guerre ?

Sans aucun doute, le complexe militaro-industriel sort grand gagnant des guerres et de la montée de la militarisation et les populations, grandes perdantes. On en a eu la preuve tangible lorsque des entreprises d’armement implantées aux États-Unis et au Canada ont enregistré des augmentations exponentielles de leur cours en Bourse au début de la guerre génocidaire à Gaza. Comme les profits des marchands d’armes baissent en période d’accalmie, l’industrie et ses acolytes entretiennent une logique de guerres permanentes, un cycle vicieux et mortifère.

Il faut briser le mythe trop répandu voulant que l’industrie de l’armement soit une condition sine qua non à la prospérité économique. L’investissement dans l’industrie militaire ne génère pas le même niveau d’activité économique que d’autres secteurs. Il s’agit d’une industrie à forte concentration de capital et à faible utilisation de main-d’œuvre, c’est-à-dire que chaque dollar investi dans le militaire crée beaucoup moins d’emplois que le même dollar investi dans les services sociaux.

Qui plus est, l’augmentation draconienne des dépenses militaires entraîne inévitablement des coupes dans les services essentiels tels que la santé, l’éducation, le filet social et les infrastructures. Ainsi, la nouvelle période d’austérité budgétaire découlant de la militarisation s’attaquera directement à nos acquis sociaux, avec un impact disproportionné sur les femmes et les personnes marginalisées.

La démocratie même est menacée dans un contexte de militarisation. Sous prétexte de préserver la sécurité nationale, l’industrie opère souvent dans le secret, à l’abri de mécanismes de surveillance, d’imputabilité et de tout contrôle législatif.

De lourdes conséquences environnementales

On néglige souvent l’impact environnemental de l’industrie de l’armement et de la guerre elle-même. Pourtant, d’après un rapport publié en mai 2025 par l’Observatoire des conflits et de l’environnement, l’industrie militaire représente aujourd’hui 5,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, non incluses dans les seuils établis pour chaque pays. En plus des combustibles fossiles directement nécessaires à l’activité militaire (infrastructures, équipements, transports et conflits), il faut aussi tenir compte du coût carbone de la reconstruction des pays détruits.

L’accroissement des dépenses militaires ne fera qu’aggraver la crise climatique et augmenter la probabilité de nouveaux conflits dans des régions et des pays déjà très vulnérables aux changements climatiques. C’est sans compter les effets délétères des produits militaires sur les sources d’eau potable et les terres arables, qui menacent d’entraîner de nouvelles famines.

Refus de la logique guerrière

Alors que les pourvoyeurs d’armes vantent le pouvoir de destruction d’engins de guerre, nos gouvernements misent sur l’industrie de la défense pour relancer l’économie, et ce, sans débat public. Pourtant, transformer l’économie actuelle en économie de guerre n’est pas une décision à prendre à la légère derrière des portes closes.

Il est urgent de relancer aujourd’hui un mouvement antimilitariste qui refuse de s’aligner sur la logique guerrière de Trump et de nos élites politiques. Une vaste mobilisation est nécessaire pour arrêter cette course à l’armement qui hypothèque l’avenir de notre société et de l’humanité.

Dénonçons l’augmentation faramineuse des dépenses militaires annoncée par le Canada aux dépens des besoins sociaux criants de la population.

Refusons que notre argent serve à enrichir les marchands d’armes.

Opposons-nous à l’exportation d’armes qui sèment la mort.

Exigeons que le gouvernement du Canada signe le Traité pour l’interdiction des armes nucléaires.

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Signataires du texte:

  • Michèle Asselin, Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)
  • Sarah Charland-Faucher, Carrefour international bas-laurentien pour l’engagement social (CIBLES)
  • Valérie Delage, Comité de solidarité Trois-Rivières (CS3R)
  • Martine Éloy, Collectif Échec à la guerre
  • Yasmina Moudda, Alternatives
  • Amélie Nguyen, Centre international de solidarité ouvrière (CISO)