Les Nations Unies et la Libye : de nouveau sur la sellette

Horace G. Campbell, Pambazuka News, Numéro 716, 5 mars 2015

Texte original en anglais

[Traduction : Claire Lapointe]

Dans la foulée de la violence pratiquée par l’État islamique en Irak et en Syrie (EIIS) et propagée dans certaines régions de la Libye, un nouveau déploiement militaire multinational soutenu par l’ONU est proposé. Ce type de déploiement a pour but d’appuyer les forces militaires et les intérêts économiques occidentaux en Libye. Nous devons nous opposer fermement aux guerres par factions interposées dans ce pays. L’ONU doit plutôt dénoncer le coup monté par l’Égypte, le Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite en Libye.

INTRODUCTION

Le déploiement éventuel des troupes occidentales en Asie de l’Ouest et en Afrique du Nord génère de nouveau l’hystérie. Chaque jour apporte son lot de manchettes sur les viols, les mutilations, les décapitations et les massacres perpétrés par l’État islamique en Irak et en Syrie (EIIS). Au cours des neuf derniers mois, les nouvelles portant sur les tueries concernaient la Syrie et l’Irak. Cependant, dans la semaine du 15 février, on a diffusé une vidéo montrant la décapitation de 21 travailleurs égyptiens en Libye. Je joins ma voix à toutes celles qui condamnent cet acte de barbarie, notamment celle du pape qui a qualifié ces décapitations d’« assassinats barbares ». Cet acte a bien sûr déclenché la colère et l’indignation partout sur la planète. Il manquait cependant une analyse approfondie nous permettant de saisir la genèse de ce soi-disant « État islamique » au Levant et de sa propagation en Libye.

À la suite des décapitations, les gouvernements de France et d’Égypte ont exigé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU dans le but de lever l’embargo sur les armes imposé à la Libye. Des sources d’information italiennes préconisent d’attaquer l’EIIS en Libye avant qu’il n’atteigne l’Europe. Au moment où les Égyptiens sollicitaient l’appui politique de l’Europe pour une intervention en Libye, le gouvernement du Qatar — qui menait une guerre par factions interposées en Libye, de concert avec l’Arabie saoudite et l’Égypte — rappelait son ambassadeur en poste en Égypte. Se servant de l’organe de presse Al Jazeera pour faire valoir son point de vue, le ministre des Affaires étrangères du Qatar affirmait que Doha avait exprimé des réserves sur les raids, soulignant la nécessité de « consultations précédant toute intervention militaire unilatérale contre un autre État membre ». Le gouvernement qatari a dénoncé le bombardement de civils innocents en Libye.

Certains diplomates des Nations Unies affirment que le gouvernement égyptien, dirigé par le général Abdel Fattah el-Sisi, veut obtenir l’aval des Nations Unies pour une intervention militaire plus poussée en Libye. Depuis quelque temps, les dirigeants militaires égyptiens sont impliqués dans des guerres qui s’intensifient en Afrique du Nord et en Asie de l’Ouest; l’an dernier, ils ont participé au bombardement de certaines factions en Libye. Le général el-Sisi se sert de la décapitation de 21 travailleurs égyptiens dans la ville de Sirte, en Libye, pour lancer une nouvelle vague de frappes aériennes. Même si les décapitations ont eu lieu à Sirte, c’est Dernia qui a subi les bombardements aériens. Cette ville est l’épicentre de la faction libyenne manipulée par l’Agence centrale de renseignement (CIA) depuis les guerres en Afghanistan, dans les années 1980.

Les grands médias occidentaux ne font pas mention des agissements contradictoires du gouvernement égyptien, alors qu’ils ne se privent pas d’exprimer leur stupeur à l’annonce de la décapitation de chrétiens coptes et de la montée du soi-disant l’État islamique en Libye. Où étaient ces médias lors du nettoyage ethnique à Tawergha? Comment ces mêmes médias ont-ils pu se faire les promoteurs de l’intervention de l’OTAN en 2011? Le raisonnement sur lequel s’appuie notre analyse est le suivant : alors que les pays occidentaux, aiguillés par leurs groupes de réflexion stratégiques, ont mené les guerres en Irak et l’intervention en Libye, ils se montrent incapables d’assumer la direction aux Nations Unies quand il est question de paix et de réconciliation. L’opinion publique plus éclairée condamnera l’Angola, la Chine, la Malaisie et le Venezuela s’ils permettent au Conseil de sécurité de se laisser entraîner dans un nouveau déploiement militaire en appui aux forces occidentales et à la préservation d’intérêts économiques étrangers en Libye.

Je préconise la mise sur pied d’une commission internationale qui préciserait le rôle de l’OTAN, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite et du Qatar, dans le but d’établir les conditions relatives à l’instauration d’une force internationale visant à désarmer les milices en Libye. Ce type de force internationale exclurait les membres de l’OTAN et les pays qui interviennent déjà en Libye, c’est‑à‑dire le Qatar, le Soudan, l’Arabie saoudite, la Turquie, les Émirats arabes unis et l’Égypte. Dans cet article, j’examine le contexte entourant les décapitations à Sirte et porte mon attention sur les luttes de pouvoir visant à prendre le contrôle de la banque centrale en Libye. Je me penche également sur la façon dont les pays membres de l’OTAN manœuvrent pour consolider la « reconnaissance internationale » du gouvernement qui leur permettra de faire main basse sur les milliards de dollars en Libye.

LES DÉCAPITATIONS À SIRTE

En Libye, l’EIIS est passé maître dans l’art de la propagande. Ce groupe a appris à utiliser les médias pour terroriser les citoyens d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord quand ses membres commettent des crimes contre l’humanité, au Levant. Les opérations de soutien des informations militaires sont devenues un élément central de la guerre moderne, à tel point que ceux qui ont formé ce front jihadiste ont appris à créer des produits médiatiques astucieux pour obtenir l’effet le plus traumatisant possible. Même si le petit noyau de Libyens affirmant souscrire à l’EIIS est basé à Dernia, dans l’est du pays, ceux qui ont procédé aux décapitations des 21 travailleurs égyptiens ont choisi la ville de Sirte, lieu de naissance de Kadhafi. C’est aussi là qu’est née l’idée de l’Acte constitutif de l’Union africaine, sans compter que cette ville est proche de Tripoli où se concentrent les institutions qui détiennent le véritable pouvoir en Libye. On y trouve notamment deux organismes essentiels à l’exercice du pouvoir : la banque centrale et la compagnie pétrolière nationale.

D’après plusieurs témoignages, la vidéo des décapitations a été habilement réalisée : un des bourreaux désigne clairement l’Europe. Cet odieux événement médiatique a atteint l’effet souhaité. Selon les journaux européens, l’EIIS considère la Libye comme la porte d’entrée vers l’Europe. Un journal britannique souligne même que « l’atrocité des crimes contre l’humanité perpétrés par l’EIIS atteint un niveau que nous aurions souhaité ne plus jamais connaître après la période nazie » [1].

Chaque tuerie, décapitation et viol deviennent un événement médiatique sans autre perspective de solution que la guerre perpétuelle prônée par l’Occident. L’an dernier, quand l’EIIS s’est manifesté, il semble que du point de vue des Occidentaux, les combattants de l’État islamique ont fait preuve de barbarie que lorsqu’ils tuaient l’un des leurs ou l’un de leurs alliés. Cependant, les personnes qui subissent l’avancée militaire de ces jihadistes savent pertinemment qu’ils ont été formés par ceux qui appuient les extrémistes radicaux et qui se servent de la religion comme d’un leurre. En octobre 2014, Human Rights Watch rapportait que « les militants de l’État islamique ont conduit 600 hommes chiites, chrétiens et yézidis au milieu du désert, les ont alignés au bord d’un ravin et les ont exécutés à bout portant » [2].

La Grande-Bretagne et les É.‑U., qui connaissent parfaitement les sources de financement, d’armement et de formation des militants de l’EIIS, condamnent les atrocités commises tout en s’abstenant de démasquer les véritables soutiens de l’EIIS. Les gouvernements de Grande‑Bretagne, des États‑Unis, de France, d’Italie, du Koweït et d’Arabie saoudite ont pourtant la capacité de suivre à la trace les bailleurs de fonds de l’EIIS.

L’EIIS suit une tradition séculaire de décapitations et d’amputations perfectionnée au fil du temps par les gouvernements répressifs successifs. La différence, en l’occurrence, c’est que les forces de l’EIIS ont été encouragées par les méthodes brutales pratiquées par l’impérialisme occidental en Afrique du Nord et en Asie de l’Ouest, au cours des vingt dernières années. Les intellectuels progressistes et les forces anti-impérialistes ont, depuis longtemps, souligné que la guerre menée par les Saoudiens et les Israéliens contre le régime d’Assad en Syrie a créé les conditions qui ont favorisé la montée de l’EIIS. Dans son livre, The Rise of Islamic State : ISIS and the New Sunni Revolution [3], Patrick Cockburn affirme que les forces régionales et celles des factions ont fusionné pour former le groupe EIIS. Les citoyens occidentaux sont tenus dans l’ignorance de cette réalité, parce que les autorités politiques et militaires utilisent adroitement les atrocités de l’EIIS pour promouvoir leurs propres visées politiques.

Le secrétaire d’État aux Affaires étrangères et du Commonwealth de Grande‑Bretagne, Philip Hammond, a condamné les assassinats en Libye et a affirmé que le Royaume‑Uni continuait d’appuyer les efforts de l’ONU en Libye. « Des actes d’une telle barbarie renforcent notre détermination à travailler avec nos partenaires pour contrer la menace terroriste croissante en Libye et dans toute la région. Le terrorisme ne doit pas saper la transition politique de la Libye. Nous continuons d’appuyer les efforts de l’ONU en vue d’instaurer un gouvernement d’unité nationale et de trouver une solution politique à cette crise de sécurité qui perdure. Ceux qui soutiennent les terroristes sont exclus du processus ».

La Maison‑Blanche a qualifié ces attentats « d’ignobles et de lâches ». « L’assassinat d’innocents n’est que le tout dernier des nombreux actes ignobles perpétrés par des terroristes associés à l’EIIL contre la population régionale, y compris le meurtre de douzaines de soldats égyptiens dans le Sinaï. Ces actes ont convaincu la communauté internationale de s’unir contre l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) », a indiqué le porte-parole Josh Earnest. « Une fois de plus, cet acte haineux souligne la nécessité d’une résolution politique du conflit en Libye. Son prolongement ne profite qu’aux groupes terroristes, y compris l’EIIL ». La Maison‑Blanche et la Grande‑Bretagne claironnent à qui veut l’entendre que l’Occident s’affaire à concevoir une « résolution politique » du conflit en Libye.

MAIS QUEL EST DONC CE PRÉTENDU GOUVERNEMENT LÉGITIME EN LIBYE?

En 2011, quand le Conseil de sécurité de l’ONU a voté la résolution accordant à l’OTAN le droit d’intervenir en Libye, il a obtenu l’appui d’un petit groupe des forces de l’opposition appelé le Conseil national de transition (CNT). Ces Libyens ont créé un organe politique regroupant 33 représentants provenant de la majorité des régions du pays. Leur opposition à Kadhafi constituait le seul élément sur lequel ils s’entendaient, alors qu’ils n’arrivaient pas à s’entendre sur la façon d’élaborer un programme politique visant la reconstruction de la Libye. Après la chute de Kadhafi et le retrait des avions de chasse de l’OTAN et des Forces spéciales du Qatar, le CNT a éclaté en différentes factions. Ceux qui avaient accès aux armes ont eu l’avantage. Les États‑Unis ont commencé à concurrencer la France et la Grande‑Bretagne, s’ingéniant à instaurer un processus de transition. Le défunt ambassadeur, Christopher Stevens, fut l’un des principaux artisans du plan de « transition », en collaboration avec des organismes et des entrepreneurs comme la Fondation Carnegie pour la paix internationale, la Rand Corporation, le National Democratic Institute et le Département d’État. Il s’est rendu en Libye, accompagné de consultants, pour établir une « bonne gouvernance ». Nous avons appris par le bulletin de l’armée Stars and Stripes qu’en vertu de ce plan de transition, le Commandement américain en Afrique allait décrocher un contrat de 600 millions de dollars américains pour l’entraînement de 8 000 soldats libyens.

Comme c’est le cas pour tous les plans bien huilés, la réalité les a rattrapés. Les chefs civils du CNT se sont révélés incapables de mettre sur pied des organisations politiques élémentaires, et les miliciens armés ont refusé de déposer les armes. Au début, le plan prévoyait que la banque centrale verserait une allocation mensuelle à quelque 200 000 jeunes miliciens, mais à mesure que les hommes armés profitaient de la faiblesse organisationnelle et politique de ceux qui siégeaient au parlement de transition, la situation s’est durcie. Quand ces hommes armés ont commencé à kidnapper et à tuer les responsables du CNT, plusieurs ont fui vers Le Caire, Malte, Dubaï ou Genève, le choix se faisant en fonction de leur capacité financière. Les querelles internes entre les milices et les bureaucrates ont contribué à clairsemer les rangs des représentants d’ONG, certains ayant rejoint la rébellion, comme ce fut le cas de Salwa Bugaighis. Certains petits États du Golfe, comme les Émirats arabes unis et le Qatar, ont pris parti dans les querelles internes, fournissant des armes et des services logistiques aux factions armées ayant mis à l’écart les politiciens qui avaient reçu la bénédiction de l’Occident [4]. Frederic Wehrey, qui a signé un article dans la revue Affaires étrangères l’an dernier, souligne que les deux côtés du spectre politique libyen sont soutenus par des forces étrangères :

« L’Égypte et les Émirats arabes unis (EAU) appuient le mouvement Dignity, alors que le Qatar, le Soudan et la Turquie sont censés soutenir la faction Dawn. Contrairement à ce que certains prétendent, les deux camps ont fait usage de la force contre les civils et les institutions élues, et aucun d’eux n’a montré d’ouverture aux compromis. Malgré le soutien politique et diplomatique de l’Occident, et le soutien militaire de l’Égypte et des EAU, le noyau du CNT n’arrive pas à se protéger et quitte graduellement Tripoli, se contentant d’installer sa législature loin dans l’est, dans les environs de Tobruk-Bayda. Le siège du gouvernement reconnu par l’Occident est censé se trouver à Bayda ».

Ce que le lecteur bien informé doit retenir, c’est que les combats en Libye sont soutenus par les plus grands alliés des États‑Unis, c.‑à‑d. la Grande‑Bretagne, la France et l’Italie. Ces pays ont poussé les Nations Unies à adopter une résolution permettant aux factions de la classe politique libyenne, qui ont été forcées de quitter Tripoli, de gagner du temps. Cette partie de la classe politique libyenne s’articule autour du Conseil des représentants (CR). Dans son document portant sur la transition, le Département d’État indique que : « Le gouvernement des États‑Unis, l’Union européenne et plusieurs gouvernements du Moyen‑Orient ont déclaré que le CR et le gouvernement intérimaire dirigé par Al Thinni sont les instances dirigeantes légitimes de la Libye ».

Grâce à leurs atouts diplomatiques au Conseil de sécurité des Nations Unies, les membres de l’OTAN, en particulier le P3 (Grande‑Bretagne, France et États‑Unis) se sont opposés aux propositions de l’Union africaine et des pays du BRICS qui exigeaient une évaluation exhaustive de l’intervention de l’OTAN, en 2011. En lieu et place, le P3 a réclamé la nomination d’un représentant spécial en Libye. Le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, Bernardino León, fut chargé de donner un sens aux plans de transition conçus par les groupes de réflexion occidentaux. La mission de M. León consiste « à aider à établir un cessez-le-feu, à favoriser le dialogue politique et à appuyer les travaux de la Chambre des représentants et du gouvernement libyen en établissant un cadre politique inclusif s’inscrivant dans la transition démocratique ».

LE FRUIT DES OPÉRATIONS DE RENSEIGNEMENT OCCIDENTALES EN LIBYE

Durant toutes les années d’opposition politique à Muamar Kadhafi, les organismes de renseignement occidentaux ont cultivé des relations avec des islamistes libyens, l’opposition revêtant des formes religieuses. L’Occident a investi massivement dans l’est de la Libye, et des villes comme Benghazi et Dernia ont bâti des réseaux de combattants qui se mêlaient aux forces armées occidentales en Afghanistan et ailleurs. Il y a un peu plus de huit ans, une étude menée par West Point a signalé que le corridor, allant de Benghazi à Tobruk en passant par la ville de Darnah (aussi appelée Dernia), représentait l’une des concentrations les plus importantes de terroristes jihadistes que l’on puisse trouver dans le monde.

C’est dans l’est, là où la rébellion était la plus vigoureuse, après la chute de Kadhafi, que la CIA recrutait les jihadistes pour combattre le régime de Bachar al-Assad en Syrie. Cependant, il était impossible de maîtriser ces jihadistes et, en 2012, le monde a découvert leur tanière quand l’ambassadeur américain en Libye a perdu la vie dans une lutte opposant des milices rivales, dans les bureaux de la CIA, à Benghazi. Il existe une longue liste d’individus ayant travaillé pour les opérations de renseignement occidentales dans le passé; ils sont maintenant qualifiés de terroristes. Ahmed Abu Khattala et Abu Anas al-Libi en sont deux éléments; ils ont été mêlés aux réseaux nébuleux de jihadistes et aux agences de renseignement occidentales. Quand les forces armées occidentales ont arrêté Ahmed Abu Khattala en Libye, le New York Times a publié l’article suivant : « Brazen Figure May Hold Key to Mysteries : Ahmed Abu Khattala Capture May Shed Light on Benghazi Attack [5] ». Traduction libre [Cette personnalité insolente détient peut-être la clé du mystère : la capture d’Ahmed Abu Khattala est susceptible de faire la lumière sur l’attaque de Benghazi].

En 2013, Abu Anas al-Libi fut capturé dans les rues de Tripoli par la Delta Force américaine et il fut rapidement évacué de Libye. Il fut ensuite extradé à New York pour y subir son procès; il était accusé d’avoir contribué à planifier l’attentat à la bombe contre l’ambassade des États‑Unis, en 1998, à Nairobi au Kenya. Abdul-Hamed al-Ruquai est l’autre nom d’Abu Anas al-Libi. Sa carrière comme agent lié aux services de renseignement britanniques et américains devait être dévoilée au procès prévu en janvier 2015. Anas al-Libi est mort en détention, avant le début de son procès à la Cour fédérale de Manhattan. Cette mort prématurée était plus qu’opportune; en effet, le monde ne saurait jamais pourquoi le gouvernement britannique avait libéré al-Libi alors que la Grande‑Bretagne connaissait fort bien les liens qui existaient entre les forces d’Al Qaida et les extrémistes de la Libye qui combattaient Kadhafi [6].

LE GÉNÉRAL KHALIFA HAFTAR ET LA « LÉGITIMITÉ CONTESTÉE »

Abu Anas al-Libi et Ahmed Abu Khattala figurent parmi les centaines de Libyens qui ont acquis leur expertise au sein de réseaux créés par les services de renseignement occidentaux dans la lutte contre Kadhafi. Ces groupes n’ont jamais pu s’entendre et se sont scindés en milices rivales. Les milices qui provenaient de l’ouest de la Libye ont souscrit au mouvement Dawn. Les forces de Dawn résistaient à la domination des éléments professionnels et bureaucratiques qui se considéraient comme le gouvernement légitime. Cette faction a remporté les dernières « élections » en Libye. C’est aussi la faction qui revendique la légitimité internationale : le Conseil des représentants (CR) de 200 membres.

Soutenues par le Qatar, le Soudan et la Turquie, les « forces illégitimes » ont réussi à mettre la main sur l’un des biens les plus importants après l’ère Kadhafi, la banque centrale. On rapporte que le gouverneur de la banque centrale dispose de plus de 100 milliards de dollars. Ces milices, dont l’épine dorsale des forces provient de Misrata, ont fait adopter une loi en 2013 qui empêche les anciens représentants du clan Kadhafi de faire partie du gouvernement [7]. Cette loi est l’une des nombreuses mesures visant à marginaliser les éléments éduqués qui ont collaboré étroitement avec Saif Al Islam à titre de « réformistes », mais qui ont quitté le bateau pour prendre la tête de la rébellion en 2011.

Le général Haftar — qui faisait partie des forces armées sous Kadhafi — est l’un de ceux qui ont pris la direction de la rébellion. Dans les années 1980, il a rejoint les rangs de l’opposition et s’est réfugié en Virginie, aux É.‑U. En 2011, après les incessants bombardements de l’OTAN, il est retourné en Libye et s’est attribué la fonction de plus haut dirigeant de la rébellion, et ce, après l’assassinat du général Younis. D’après certains reportages médiatiques crédibles, Haftar serait retourné en Libye, avec la bénédiction de la frange des décideurs politiques américains de Langley, en Virginie. À l’instar du CR appuyé par l’Occident, Hafter fut incapable de bâtir une véritable base politique et militaire en Libye, et il fut expulsé militairement de Benghazi. En février 2014, Hafter a lancé un appel à un coup d’état qui est resté lettre morte. Après cet échec, Hafter a sollicité le soutien militaire de l’Égypte, de l’Algérie et des Émirats arabes unis. Par la suite, ces pays ont bombardé les positions des milices rivales à Benghazi. Haftar était censé s’aligner sur le gouvernement internationalement reconnu de Bayda, mais comme on a pu le constater lors du rappel de l’ambassadeur qatari d’Égypte, certains membres du Conseil de coopération du Golfe ne reconnaissaient pas le gouvernement de Bayda. Plusieurs des recommandations, formulées par les groupes de réflexion et les centres décisionnels d’Occident, préconisaient la réconciliation entre les forces de Haftar et celles de Misrata. Le spectre d’une guerre par procuration entre le Qatar, la Turquie et le Soudan d’un côté, et l’Égypte et l’Arabie saoudite de l’autre côté, inquiétait vivement les forces occidentales qui souhaitaient avoir la main haute sur l’avenir de la Libye et de l’Afrique du Nord. Par conséquent, le 27 août, le Conseil de sécurité de l’ONU adoptait la résolution 2174 autorisant l’imposition de sanctions ciblées, notamment le gel des avoirs et l’interdiction de voyager, à l’encontre des individus ou des entités « qui menacent la paix et la stabilité de la Libye ou entravent sa transition politique ».

IL Y A VRAIMENT DE L’ARGENT À TRIPOLI

Ayant échoué à exercer le pouvoir aux plans militaire et politique à Tripoli, les forces du CR soutenues par l’Occident, qui avaient été repoussées à la frontière à Tobruk, ont alors demandé aux Nations Unies d’intervenir. À l’été 2014, la ville de Tripoli devenait dangereuse pour les ambassades occidentales et leurs stratèges. Ils se sont donc déplacés en Tunisie. Les Nations Unies ont dépêché Bernardino León pour négocier un accord entre les forces rivales. Ces négociations ont suscité un combat à mort pour le contrôle de la banque centrale.

Le New York Times a révélé que le secrétaire au Trésor des États-Unis, Jack Lew, soutenait Sadik Omar el-Kaber, président de la banque centrale de Libye. Dernièrement, les forces du « gouvernement internationalement reconnu » loyales à Bayda ont saisi une succursale de la banque centrale à Benghazi, mais les réserves et l’or se trouvaient plutôt à Tripoli.

Selon le New York Times : « Jusqu’à présent, la banque centrale, qui détient plus de 100 milliards de dollars d’investissements et de réserves en devises étrangères, est restée à l’écart du chaos qui déferle régulièrement sur la Libye depuis l’éviction de Muammar Kadhafi, en 2011. Le président de la banque, Sadik Omar el-Kaber — vétéran respecté de plusieurs banques internationales — nommé par le gouvernement transitionnel soutenu par l’Occident après la chute de Kadhafi, cultive la neutralité. ‘‘La banque centrale est le dernier rempart pour protéger les institutions gouvernementales; il est donc impératif qu’elle se tienne éloignée des luttes politiques’’, selon une déclaration faite par la banque au début du mois » [8].

Où sont les analyses susceptibles d’éclairer les raisons expliquant que le Trésor américain soutienne la faction de Tripoli qui contrôle la banque centrale, alors que les responsables de la politique étrangère et les services de renseignement appuient la faction de Haftar reléguée à la périphérie de la société libyenne, dans la région de Bayda–Tobruk? Au cours des six derniers mois, les Nations Unies ont tenté d’appuyer cette faction réfugiée dans l’est du pays en attendant le soutien militaire égyptien. Les membres du Conseil de sécurité, déstabilisés par les activités des forces de l’OTAN et de leurs alliés, ne peuvent se permettre d’être indolents, intellectuellement et politiquement, quand la France et l’Égypte tentent d’obtenir de l’ONU le mandat d’entrer en Libye pour légitimer la faction de Haftar. La faction libyenne « internationalement reconnue » demande maintenant au Conseil de sécurité des Nations Unies de lever l’embargo sur les armes en Libye, pour permettre aux Libyens de se défendre contre l’EIIS. La véritable communauté internationale, c’est‑à‑dire les milliards de citoyens du monde qui subissent la répression, l’exploitation, le militarisme et le pillage du projet impérialiste du capitalisme occidental, doit examiner attentivement cette demande.

LA DÉSTABILISATION OCCIDENTALE, l’EIIS ET L’ÉLAN CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE

Les soulèvements populaires en Égypte et en Tunisie marquent un moment décisif dans la lutte contre le pillage et l’exploitation dont ces sociétés sont victimes. Les responsables politiques et militaires occidentaux, qui ont appuyé des gouvernements comme celui de Ben Ali et de Hosni Mubarak, ont été surpris par la rapidité avec laquelle on a destitué ces valets du capitalisme néolibéral. Dans mon livre, Global NATO and the Catastrophic Failure in Libya, j’affirme que l’intervention en Libye a été précipitée par la nécessité de disposer d’une base servant à déclencher les hostilités contre les travailleurs d’Égypte, au moment de l’éclosion de la révolution et du soulèvement du peuple contre les militaristes de la région. Les médias occidentaux, qui ont fait résonner les tambours de la guerre, gardent pourtant le silence quand l’Égypte emprisonne et tue les citoyens qui réclament des changements radicaux. La semaine où l’Égypte bombardait la Libye, les tribunaux sous la coupe du chef militaire el-Sisi condamnait l’éminent activiste égyptien Alaa Abdel-Fattah à cinq ans de prison. Onze autres personnes furent condamnées à trois ans de prison et mises à l’amende pour s’être opposées à la dictature militaire en Égypte.

En Libye et en Égypte, la politique de régression a atteint un niveau inégalé. Les peuples ont besoin de paix, mais la nature de la crise politique et économique en Égypte est, à bien des égards, encore plus désespérée, au point que les travailleurs égyptiens continuent de se rendre en Libye dans le but de gagner leur vie. Plusieurs individus de la mouvance progressiste ont fait machine arrière en retirant leur appui aux travailleurs égyptiens et à leurs alliés qui aspirent à la paix. Tout le monde sait que la population de la Libye veut la paix, mais les peuples d’Égypte et d’Afrique du Nord, qui subissent la répression de la junte égyptienne, souhaitent également la paix. Le Conseil de sécurité des Nations Unies ne doit pas permettre aux forces soutenues par l’Occident de diriger la Libye. Il faut une nette opposition aux guerres par factions interposées en Libye, et il faut que les Nations Unies révèlent le coup monté par l’Égypte, le Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite en Libye, et les expulsent de ce pays.

Les médias occidentaux ont passé complètement sous silence le fait que c’est l’intervention irresponsable de l’OTAN, en mars 2011, qui a mis en branle la guerre et les massacres qui gangrènent la Libye aujourd’hui. Des journalistes d’investigation comme Patrick Cockburn ont révélé que ce sont des milliardaires du Golfe qui financent les salaires de plus de 100 000 combattants [9]. Les représentants du Département d’État savent pertinemment que les États du Golfe ont intérêt à fermer les yeux sur le financement terroriste ou à le faciliter. Les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, comme la Malaisie, l’Angola et le Venezuela ne doivent pas se laisser entraîner par les membres de l’OTAN qui ont conçu les plans ayant engendré le bourbier actuel. Quand le New York Times demande : « What Libya’s Unraveling Means » [Ce que signifie la débâcle de la Libye], c’est une autre façon qu’utilisent les responsables de la destruction pour dominer le débat quant aux solutions possibles dans le but de mettre fin au bourbier qui hante les citoyens de la Libye et de l’Afrique du Nord. Le lendemain, le journal britannique The Guardian empruntait le même ton moralisateur en titrant : « Libya’s descent into violence » [La Libye sombre dans la violence]. The Guardian nous présente certaines autorités en la matière, notamment Frederic Wehrey de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, Mohamed Eljarh du Conseil de l’Atlantique Nord, Peter Cole, et certains auteurs comme Alison Pargeter du groupe de recherche militaire britannique, le Royal United Services Institute comme étant des sources d’informations fiables [10]. Les ouvrages de ces sources se distinguent nettement de ceux de Patrick Cockburn, Maximilian Forte, Vijay Prashad et d’autres progressistes qui sont intervenus par écrit ou verbalement sur les milliers de personnes tuées en Libye, depuis l’intervention. Récemment, Alan J. Kuperman a écrit un article pour le magazine Foreign Affairs sur la débâcle en Libye. Dans cet article, M. Kuperman puise dans l’impressionnante documentation colligée par Human Rights Watch et Amnesty International sur les tueries de masse en Libye, depuis l’intervention. Il affirme que : « Cet exercice mathématique douloureux mène à une conclusion déprimante, mais inéluctable. Avant l’intervention de l’OTAN, la guerre civile en Libye était sur le point de finir, au prix de quelque 1 000 vies. Depuis lors, la Libye compte au moins 10 000 morts de plus. Autrement dit, depuis l’intervention de l’OTAN, le nombre de victimes a plus que décuplé. »

La faiblesse dans l’analyse de Kuperman tient à son refus de s’interroger sur le double jeu de la CIA et des services de renseignement occidentaux dans ce désastre sans fin.

LES PAYS NON ALIGNÉS ET L’ESPRIT DE BANDUNG

Cela fera 60 ans cette année que les pays du Sud se sont réunis à Bandung pour s’opposer au colonialisme et à l’impérialisme. Depuis, les frontières du colonialisme se sont réduites, mais l’Occident se sert maintenant de la guerre économique pour opprimer les peuples et pour maintenir les banquiers au pouvoir. Alors que les banquiers font la promotion de l’austérité partout dans le monde, l’« OTAN globale » souhaite contrôler tous les leviers possibles en opprimant les populations. L’extrémisme religieux est désormais un outil utile pour mousser le barbarisme et la contre-révolution. Dans un contexte marqué par l’austérité et l’aliénation néolibérales, le versement d’une allocation mensuelle aux jeunes sans emploi par des milliardaires du Golfe est un autre moyen d’entraver la politisation et la mobilisation de cette jeunesse.

Le pape François est intervenu sur les décapitations, et il a qualifié de « martyrs » les 21 coptes égyptiens assassinés par les adeptes de l’État islamique. Le pape a affirmé qu’ils avaient été tués uniquement parce qu’ils étaient chrétiens. L’EIIS suit une tradition séculaire de décapitations et d’amputations de la main perfectionnée au fil du temps par les gouvernements répressifs qui se sont succédé. Les intellectuels progressistes et les forces anti-impérialistes ont, depuis longtemps, souligné que la guerre menée par les Saoudiens et les Israéliens contre le régime d’Assad en Syrie a créé les conditions qui ont favorisé la montée de l’EIIS. D’autres personnalités remontent encore plus loin dans l’Histoire, notamment l’ancien Secrétaire général de l’ONU. En effet, plus tôt ce mois-ci, alors qu’il s’adressait aux représentants de la Conférence de Munich sur la sécurité en Allemagne, Kofi Annan a attribué la montée de l’EIIS à l’invasion de l’Irak par les États‑Unis, en 2003, ajoutant que le Moyen‑Orient devait évoluer et s’adapter pour instaurer une paix durable.

« La stupidité de cette décision malheureuse a été aggravée par d’autres décisions prises après l’invasion. Le démantèlement massif des forces de sécurité, notamment, a jeté à la rue des centaines de milliers de soldats et de policiers mécontents. Le chaos qui a suivi a offert un terreau fertile aux groupes sunnites radicaux qui se sont ensuite ralliés à l’État islamique ».

On peut tirer les mêmes conclusions de l’intervention de l’OTAN en Libye que de celles de la guerre en Irak. En résumé, il est impossible de discuter à fond de la façon de libérer la Libye et l’Afrique du Nord de l’EIIS sans un examen complet du rôle et des activités de l’Agence centrale de renseignement (CIA) dans l’est de la Libye. Plusieurs jeunes malavisés qui ont rejoint l’EIIS furent recrutés par la CIA pour aller combattre en Syrie, après le renversement de Kadhafi. Ces Libyens sont ensuite retournés chez eux, pleinement conscients de l’importance de la propagande. Les messages vidéo habilement réalisés, extrêmement sanglants, sont mis en scène pour créer une onde de choc optimale. Ces recrues ont parfaitement intégré la signification de la stratégie du choc et de l’effroi [Shock and Awe].

On ne peut qu’être d’accord avec le pape, lorsqu’il déclare que les décapitations sont des « assassinats barbares », mais il est de son devoir d’utiliser l’autorité morale liée à sa fonction pour révéler et condamner les éléments connus qui commanditent l’EIIS. À présent, le régime militaire égyptien collabore avec la faction libyenne censée être le gouvernement légitime pour demander aux Nations Unies de lever l’embargo sur les armes en Libye et autoriser l’intervention militaire de l’Égypte en Libye. Le régime égyptien tente à présent de neutraliser le BRICS en séduisant le dirigeant de la Russie et en se prétendant anti-impérialiste. Israël et l’Arabie saoudite tentent tous deux de séduire la Chine afin de diviser les forces des pays du Sud quant à la situation en Libye et en Égypte. Au Conseil de sécurité, les représentants de la Chine et de la Russie démontrent que lorsqu’il est question de destruction en Afrique, ils n’ont rien à envier au P3 et à leurs machinations.

Les forces progressistes devront être prudentes vis-à-vis du battage entourant le soi-disant État islamique. Les dirigeants politiques de l’Arabie saoudite ne peuvent pas soutenir les extrémistes violents du monde entier, et tenter par la suite de se distancer d’éléments comme l’EIIS, créature qu’ils ont pourtant engendrée grâce au financement de jihadistes qui combattent en Irak et en Syrie. Alors que les universitaires et les rédacteurs aux ordres de l’appareil militaire et de la politique étrangère plaident en faveur d’une intervention militaire en Libye pour combattre l’EIIS, les forces progressistes doivent s’organiser, de toutes les façons possibles, pour dissuader l’ONU de légitimer le régime répressif d’Égypte qui attise le militarisme pour se maintenir au pouvoir.

*Horace G. Campbell, un panafricaniste de longue date, enseigne les études afro-américaines et les sciences politiques à l’Université de Syracuse. Il est l’auteur de Global NATO and the Catastrophic Failure in Libya, Monthly Review Press, 2013.

[1] Grace Dent, “If teenage girls want to join Isis in the face of all its atrocities, then they should leave and never return,” The Independent, February 23, 2015. http://tinyurl.com/k7vepky

[2] Human Rights Watch, “Iraq: ISIS Executed Hundreds of Prison Inmates,” October 30, 2014. http://tinyurl.com/lkws28b

[3] Patrick Cockburn, The Rise of Islamic State: ISIS and the New Sunni Revolution, Verso Books, 2014

[4] See Horace Campbell, “The US, NATO, and the Destruction of Libya,” Telesur, July 31, 2014. http://tinyurl.com/pvga7ef

[5] David D. Kirkpatrick, “Brazen Figure May Hold Key to Mysteries: Ahmed Abu Khattala Capture May Shed Light on Benghazi Attack,” New York Times, June 17, 2014. http://tinyurl.com/qat876s

[6] See Horace Campbell, “Lessons from the Kidnapping of Abu Anas al-Libi in Tripoli: Counter-Terrorism and Imperial Hypocrisy’” Counterpunch, November 8-10, 2013. http://tinyurl.com/or89zlb

[7] David D. Kirkpatrick, “New Law in Libya Bans Some From Office,” News York Times, May 5, 2013. http://tinyurl.com/ns9m9sv

[8] David D. Kirkpatrick, “Libyan Parliament Fires Central Bank Chairman,” New York Times, September 14, 2014. http://tinyurl.com/p6dyzsr

[9] Patrick Cockburn, “Private Donors from Gulf States Helping to Bankroll Salaries of Up to 100,000 Isis Fighters,” Counterpunch, February 23, 2015, http://tinyurl.com/mneedkc

[10] “Libya’s descent into violence – the Guardian briefing,” Guardian, February 16, 2015, http://tinyurl.com/n5u3uut; See also Frederic Wehrey and Wolfram Lacher , “Libya’s Legitimacy Crisis : The Danger of Picking Sides in the Post-Qaddafi Chaos,” Foreign Affairs, October 6, 2014