Giuliana Sgrena, Extrait de « Fuoco amico », il manifesto, 8 novembre 2005
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Le climat (chez les réfugiés, de Falluja, dans la mosquée Mustafa de l’université de Bagdad) était hostile, terriblement hostile, mais je ne voulais pas renoncer à raconter l’histoire de la destruction de Falluja à travers les souvenirs et les images de ces gens qui l’avait vécue directement ou à travers les récits de leurs parents restés pris au piège de l’assaut. Jusqu’à ce moment là, des nouvelles et des images, peu étaient arrivées, exclusivement par l’intermédiaire des journalistes embedded avec les troupes américaines. Et pourtant la censure n’était pas arrivée à empêcher le scoop de Kevin Sites, le reporter de la télé américaine Nbc qui avait filmé un marine en train de tuer un combattant blessé et désarmé sur le pavement de la mosquée de Falluja. Mais bien que ces images aient fait le tour du monde, Kevin Sites avait tout de suite été « expulsé » du corps des embedded parce qu’il n’avait pas respecté les « règles d’engagement » et de la censure. Et un peu plus tard le marine qui avait tiré avait été disculpé parce qu’il avait agi en état de « légitime défense ». […] Falluja avait toujours été mon obsession depuis que j’étais arrivée à Bagdad, et pas seulement cette dernière fois. Je l’avais « découverte » en avril 2003, après la première révolte qui allait faire de cette petite ville le symbole de la résistance contre l’occupation. Et j’y retournais à chaque voyage en Irak. J’avais rencontré des gens très disponibles avec lesquels étaient nées une amitié et une collaboration. Ils étaient persuadés de la nécessité de faire connaître au monde ce qui se passait à Falluja et donc ils m’aidaient dans mon travail. D’habitude le rendez-vous était chez Abu Mohammed, mais à chacune de mes arrivées les autres aussi « étaient convoqués » – à Falluja, les téléphones fonctionnaient encore. Et ainsi, tous assis par terre dans un grand salon, selon la tradition tribale, on discutait des derniers événements. Mustapha, un mécanicien, était toujours le plus informé : depuis ma première visite il m’avait raconté comment, après la bataille de l’aéroport, une des plus cruelles pour l’occupation de Bagdad, ils étaient allés chercher les corps de leurs familles et avaient trouvés des cadavres carbonisés et méconnaissables. Et tout de suite, depuis lors, s’était posé la question : quelles armes avait-ils utilisé ? Napalm ? Phosphore ?
[Face à l’évidence, l’usage du napalm, sous forme de Mk77, a été admis par le Pentagone en décembre 2004. Alors que sur l’utilisation du phosphore blanc le marine James Massey a aussi témoigné dans l’entretien publié par il manifesto le 25 septembre 2005, nda.]
Avant ceux là [ceux de la mosquée, ndr] j’ai rencontré d’autres transfuges fallujiens qui s’étaient réfugiés chez des parents et qui m’avaient déjà parlé de leurs tentatives de rentrer à Falluja. Mohammed, je l’ai rencontré à Sadr City, il n’est pas de Falluja mais il y avait déménagé à l’époque de Saddam pour travailler dans une usine appartenant au ministère de la Défense qui produisait des tanks. Avec la guerre, il a perdu à la fois son travail et sa maison, il n’y a plus droit parce qu’il n’y a plus d’usine (qui a fini, comme toutes celles du ministère de la Défense, aux mains des américains, qui l’ont fermée). Mohammed me raconte que deux de ses voisines par contre sont retournées à Falluja, mais ont été avisées par les américains que la maison devait être désinfectée et qui leur ont donné des bidons de détersif spécial pour le faire. « Elles m’ont dit qu’elles avaient trouvé leur appartement recouvert d’une fine poussière blanche et quand elles ont commencé à l’enlever, une d’elles s’est sentie mal, elle saignait de toutes parts. » […]
L’attaque de novembre contre Fallujah faisait partie de cette « offensive finale » qui devait, selon les Etats-Unis, permettre la réalisation des élections du 30 janvier (2005). Mais l’opération al Fajr (l’aube) a exclu de ces élections non seulement tous les habitants de Falluja mais tous les sunnites. Et huit mois plus tard, la ville reste blindée, n’y peuvent entrer que les résidents qui passent à travers six postes dont l’accès est super contrôlé et une identification diligente qui entraîne des heures d’attente. Seuls 80% des 256.000 habitants environ de la ville y sont retournés.
L’offensive finale américaine a été précédée d’autres attaques lourdes, surtout pendant le mois d’avril, qui avaient entraîné l’isolement de la ville. L’armée américaine voulait détruire ce qui était devenu en Irak le symbole de la résistance. Depuis avril 2003. Pendant l’avancée des troupes, après l’occupation de Bagdad, le 9 avril 2003, les chefs tribaux et religieux de Falluja, inquiets des effets que pouvait entraîner dans la ville la présence de soldats étrangers, avaient formé une délégation pour rencontrer le commandement US. A la fin, ils étaient arrivés à un accord : il n’y aurait pas d’opposition à l’occupation mais les militaires n’entreraient pas dans la zone habitée, ne troubleraient pas la vie de « la ville des moquées ». Mais l’accord n’a pas été respecté : le 23 avril, les marines avaient occupé l’école élémentaire al Qaid et le 28 avril, quand la population avait manifesté contre une décision qui empêchaient les élèves d’aller à l’école, les soldats US avaient tiré sur les manifestants, faisant 14 morts et 3 blessés graves. Deux jours après, autre manifestation et trois autres morts et 16 blessés graves. La résistance des irakiens contre l’occupation commençait.