L’Ukraine et le mythe de la guerre (traduction)

L’Ukraine et le mythe de la guerre

Par Brad Wolf, Common Dreams, 26 février 2022 (2 jours après le début de la guerre)

Texte original en anglais – [Traduction : Claire Lapointe; révision : Échec à la guerre]

Le 21 septembre 2021, dans le cadre du 40e anniversaire de la Journée internationale de la paix et alors que les forces armées des États-Unis se retiraient d’Afghanistan, notre organisation pacifiste locale nous a rappelé que nous devions continuer à nous opposer sans relâche aux appels à la guerre, que ces appels à la guerre reviendraient, et ce bientôt.

Il n’a pas fallu longtemps.

La hiérarchie militaire et la culture guerrière des États-Unis doivent constamment cibler un ennemi, une cause, une guerre. Il faut dépenser de grosses sommes d’argent, déployer rapidement l’armement, tuer des gens, raser des villes.

À l’heure actuelle, c’est l’Ukraine qui endosse le rôle du pion.

Certains haussent les épaules en arguant que la guerre est inscrite dans nos gènes. Les agressions font peut-être partie de notre ADN, mais pas le meurtre systématique d’une guerre organisée. Il s’agit d’un comportement acquis. Les gouvernements l’ont créé et l’ont perfectionné pour faire progresser leurs empires. Ils ne peuvent cependant le perpétuer sans le soutien de leurs citoyens.

Conséquemment, nous, les citoyen.ne.s, devons être bernés, menés en bateau, avec un mythe de voyous et de causes justes. Le mythe de la guerre. Nous sommes les « bons », nous ne faisons rien de mal, tuer est noble. Il faut mettre un terme au mal à tout prix. L’histoire est toujours la même. Seuls les champs de bataille et les « méchants » changent. Parfois, comme c’est le cas pour la Russie, les « méchants » sont simplement recyclés et réutilisés. Chaque jour, au cours des vingt dernières années, les États-Unis ont bombardé un pays souverain : Irak, Afghanistan, Somalie et Yémen. Et pourtant, cela ne fait jamais partie de l’histoire que nous nous racontons.

Depuis la chute de l’Union soviétique, nous nous sommes servis de l’OTAN pour encercler la Russie. Nos armées et celles de nos alliés de l’OTAN — y compris chars, missiles nucléaires et avions de chasse — se sont rapprochées de la frontière russe de façon provocante et déstabilisante. Malgré les promesses de l’OTAN de ne pas s’étendre aux pays de l’ancien bloc soviétique, c’est précisément ce que nous avons fait. Nous avons armé l’Ukraine, minimisé les solutions diplomatiques comme le protocole de Minsk, joué un rôle dans le coup d’État de 2014 qui a chassé le gouvernement de ce pays et installé un gouvernement pro-occidental.

Comment réagirions-nous si les Russes étaient massées le long de la frontière canadienne? Si les Chinois effectuaient des exercices de guerre à munitions réelles au large de la Californie? En 1962, lorsque les Soviétiques ont installé des missiles à Cuba, notre indignation a été telle que nous avons conduit le monde au bord de la guerre nucléaire.

Notre longue histoire d’assimilation d’autres territoires au nôtre, d’ingérence dans les élections étrangères, de renversement de gouvernements, d’invasion d’autres pays, de torture, nous laissent peu de légitimité pour parler lorsque d’autres violent le droit international. Mais cela ne semble pas empêcher notre gouvernement, nos médias et nous-mêmes de répéter le mythe de guerre selon lequel les États-Unis sont les gentils et tous les autres les méchants. C’est devenu notre conte pour nous endormir, un conte qui engendre un cauchemar.

Nous sommes arrivés à ce point périlleux en Europe de l’Est parce que nous avons perdu la capacité de voir le monde à travers les yeux d’autrui. Nous voyons avec des yeux de soldat, de soldat étasunien, pas de citoyen. Nous avons permis que le comportement militaire définisse notre comportement humain, ce qui nous a conduit à une attitude hostile, une pensée belligérante, une vision du monde peuplée d’ennemis. Mais dans une démocratie, ce sont les citoyen.ne.s qui doivent gouverner, pas les soldats.

Pourtant, le flux incessant de propagande, le récit pervers de notre histoire et la glorification de la guerre créent une mentalité militariste chez un trop grand nombre d’entre nous. Il devient donc impossible de comprendre le comportement des autres pays, de comprendre leurs craintes, leurs préoccupations. Nous connaissons seulement le récit que nous avons créé, notre propre mythe. Nous ne nous soucions que de nos propres préoccupations et, de ce fait, nous sommes constamment en guerre. Nous devenons des provocateurs plutôt que des artisans de la paix.

Les agressions militaires doivent cesser, le non-respect des lois internationales doit être condamné, les frontières territoriales doivent être respectées et les violations des droits de la personne doivent être sanctionnées. Pour ce faire, nous devons adopter le comportement que nous prétendons valoriser, le faire de manière à ce qu’il soit assimilé par chacun.e de nous et par le reste du monde. Ce n’est qu’alors que les transgresseurs se feront rares et qu’ils seront vraiment isolés, incapables de fonctionner sur la scène internationale, ce qui les empêchera d’atteindre leurs objectifs illégaux.

L’Ukraine ne devrait pas subir l’invasion de la Russie. Et la Russie n’aurait pas dû voir sa sécurité menacée par l’expansion et l’arsenal militaire de l’OTAN. Sommes-nous vraiment incapables de résoudre ces problèmes sans nous massacrer mutuellement? Notre intellect est-il si borné, notre patience si limitée, notre humanité si anesthésiée que nous devions sans cesse recourir aux armes? La guerre n’est pas inscrite génétiquement dans nos gènes, et ces problèmes ne relèvent pas de la volonté divine. Nous les avons créés, ainsi que les mythes qui les recouvrent; nous pouvons donc nous en débarasser. Nous devons y croire si nous voulons survivre.

Brad Wolf a été avocat, professeur et doyen d’un collège communautaire. Il est le directeur exécutif et l’un des cofondateurs de Peace Action Network of Lancaster, en Pennsylvanie.