Menace d’intervention militaire au Venezuela durant une pandémie?
par Medea Benjamin et Leonardo Flores, Common Dreams, 15 avril 2020
Texte original en anglais – [Traduction : Échec à la guerre; révision/correction : Nathalie Thériault]
Alors que les villes du Venezuela sont sous confinement et que le pays fait difficilement face à l’imminence d’une crise de santé publique et d’un autre choc économique, il apparaît que l’administration Trump y voit une nouvelle occasion d’appliquer sa politique de « pression maximum » en vue de réaliser un changement de régime.
À l’insu de la plupart des citoyen.ne.s des États-Unis (É.-U.) — et alors que nous sommes absorbés par cette terrible pandémie — l’administration Trump mène présentement la plus importante opération militaire en Amérique latine depuis 30 ans, ciblant explicitement le supposé « narco-terrorisme » du Venezuela. Il est intéressant de se rappeler que le dernier déploiement d’une telle envergure s’est déroulé en 1989, au moment de l’intervention militaire étasunienne à Panama pour y enlever le général Manuel Noriega.
Le président Trump a annoncé le déploiement militaire au début de sa conférence de presse du 1er avril sur la COVID-19. Selon le secrétaire à la défense, Mark Esper, « cet ensemble de forces inclut des destroyers et des navires de combat en zone littorale, des navires garde-côtes, des avions de patrouille et des éléments d’une brigade d’assistance aux forces de sécurité de l’armée ». Le général Mark Milley, chef d’état-major des armées des É.-U., a ajouté qu’il y avait « des milliers de marins, de garde-côtes, de soldats, d’aviateurs et de Marines impliqués dans cette opération ».
Cette annonce a été faite une semaine après le dépôt par le procureur général des É.-U., William Barr, d’une mise en accusation contre le président Nicolás Maduro et 13 autres responsables vénézuéliens, actuels ou passés. Ces responsables gouvernementaux sont accusés de « narco-terrorisme » et des récompenses de plusieurs millions de dollars ont été offertes pour des informations menant à leur capture, y compris une récompense de 15 millions pour Maduro.
Dans leurs remarques pendant la conférence de presse, les représentants de l’administration Trump ont clairement désigné comme cible principale de cette vaste mission militaire « le régime illégitime de Maduro au Venezuela », qui s’appuie « sur les profits tirés de la vente de narcotiques pour maintenir son contrôle tyrannique sur le pouvoir », selon les mots d’Esper. Le conseiller à la sécurité nationale, Robert O’Brien, a déclaré : « Nous poursuivrons l’application de notre politique de pression maximum pour contrer les activités malveillantes du régime Maduro, incluant le trafic de stupéfiants ».
Alors que les villes du Venezuela sont sous confinement et que le pays fait difficilement face à l’imminence d’une crise de santé publique et d’un autre choc économique, il apparaît que l’administration Trump y voit une nouvelle occasion d’appliquer sa politique de « pression maximum » en vue de réaliser un changement de régime. Le président Trump menace d’intervenir militairement depuis 2017 et ce déploiement naval massif près du Venezuela rapproche encore un peu plus les É.-U. d’une agression militaire. William Brownfield, ex-ambassadeur des É.-U. au Venezuela et un des architectes de la stratégie visant à miner le gouvernement vénézuélien, a désigné ce déploiement comme « l’application de l’option militaire [de Trump] ».
Selon le magazine Foreign Policy, le département de la Défense des É.-U. s’est objecté au déploiement d’autant de moyens militaires dans les Caraïbes, surtout à un moment où l’armée étasunienne doit affronter la propagation de la Covid-19 (comme en témoigne l’éclosion récente à bord du porte-avions USS Theodore Roosevelt). Selon un ancien haut fonctionnaire gouvernemental, la décision de ce déploiement par Trump, malgré les objections des commandants du département de la Défense, relève uniquement de l’opportunisme politique.
Un haut responsable du Pentagone a mentionné au magazine Newsweek que « la prémisse de l’opération est d’accroître la lutte contre le trafic des stupéfiants – mais quand avez-vous déjà entendu parler de l’utilisation de ce type de force contre les drogues? (…) L’objectif implicite est de faire pression sur le régime Maduro ». Selon un haut responsable du gouvernement Maduro, cette pression pourrait se traduire par l’arraisonnement et la saisie de pétroliers vénézuéliens par la marine des É.-U. Cette préoccupation est légitime compte tenu du fait que le Pentagone a prétendu – sans pour autant en offrir la moindre preuve – que le trafic des drogues se faisait « en utilisant des navires du Venezuela vers Cuba ». Comme le gouvernement étasunien cible et sanctionne les navires qui transportent du pétrole de Cuba vers le Venezuela, il n’est pas inconcevable que des pétroliers vénézuéliens soient arraisonnés par l’armée des É.-U.
Un rapport récent du Bureau de Washington sur l’Amérique latine révèle que, selon les propres données du gouvernement étasunien, seulement une petite partie des livraisons de cocaïne de Colombie vers les É.-U. transitent par le Venezuela. Selon ces données, en 2018, les quantités de cocaïne qui ont transité par le Guatemala ont été six fois plus importantes.
Le Venezuela combat la COVID-19 à l’intérieur de ses frontières, comme nous le faisons ici. Le pays traverse aussi une profonde crise économique et fait face à d’importantes pénuries de fournitures médicales, une situation qui a été aggravée par les sanctions économiques unilatérales des É.-U. Le président Trump n’a aucune raison valable de déployer des moyens militaires contre le Venezuela, un pays qui ne menace en rien la sécurité des États-Unis, et encore moins au moment où une pandémie fait rage à travers le monde et dans notre propre pays.