Matthew Behrens, Rabble.ca, 25 novembre 2015
[Traduction : Julie Lévesque.
NDLT : les liens dans cet article mènent à des documents de référence en anglais]
Comme la plupart des pays, chaque fois que le Canada entre en guerre ou s’entraîne pour la faire, il est toujours question de ces beaux idéaux de façade que sont les valeurs, la démocratie, l’honneur désintéressé, les droits des femmes, le sauvetage de jolis petits chiots et cette vieille rengaine, la tradition. Ce fut toujours le cas et ce le sera toujours, un point c’est tout. Jamais vous n’entendrez un chef de gouvernement canadien avouer franchement pourquoi nous avons une armée : pour protéger nos investissements économiques à l’étranger, distribuer du B.S. corporatif aux multinationales profiteuses de guerre et réprimer la population nationale — en particulier les peuples autochtones — au cas où l’on s’agiterait un peu trop.
Il est pratiquement hérétique d’écrire et de dire des choses pareilles au sein de toutes les allégeances politiques de ce pays qui idolâtre tant ses institutions de violence, des Forces canadiennes et de la GRC au SCRS, en passant par la police de quartier très bien payée. Par ailleurs, aucune de ces institutions ne se trouve sur les listes des emplois les plus dangereux au Canada.
De temps en temps, le mythe est toutefois légèrement écorné, et cette impertinence provoque un choc et une rivière de bile. C’est ainsi que le nouveau premier ministre du Canada devint un cas type très intéressant et insidieux du Canadien désillusionné, celui qui en sait long, mais qui joue le jeu parce que, eh bien, c’est la tradition. En effet, l’un des commentaires les plus incisifs de Justin Trudeau cette année a été d’expliquer de manière improvisée et pourtant véridique la raison pour laquelle le gouvernement Harper a bombardé l’Irak et la Syrie : « [P]our essayer de sortir nos CF-18 et montrer comment ils sont gros. »
On a accusé Justin Trudeau d’avoir insulté l’armée (un destin que n’ont pourtant pas connu les commentaires tout aussi véridiques et sans fard de l’ancien général Rick Hillier : « Nous sommes les Forces canadiennes et notre travail consiste à être capable de tuer des gens »).
La masculinité dans l’armée
Pourtant, Justin Trudeau ne faisait que refléter ce qu’ont révélé de nombreuses études assimilant le militarisme aux notions hypersexualisées de la masculinité. Ce n’est pas un secret que les forces armées elles-mêmes sont en proie à une terminologie définie par l’« orgasme de guerre » ou « wargasm » (pénétration profonde, érection de missiles, grâce à notre mission nous nous « tenons droits », etc.). La sexualité confuse et imprégnée de violence qui sous-tend la culture masculiniste de l’armée et d’autres institutions de violence se révèle également dans l’épidémie de violence contre les femmes au sein de ces organisations. Au moment où les cadets du Collège militaire royal (CMR) se réunissaient à Ottawa cette année pour le jour du Souvenir, on ne pouvait faire autrement que de se rappeler qu’il y a un an seulement, bon nombre d’entre eux ont chahuté, hué et menacé d’agression sexuelle l’éducatrice Julie Lalonde lorsqu’elle a passé la journée avec eux pour tenter d’expliquer pourquoi le viol est inacceptable.
Alors que l’on répétait la rhétorique éculée aux cérémonies du jour du Souvenir le mois dernier, aucun éloge ne s’est fait entendre pour les femmes héroïques des forces armées et de la GRC ayant montré en quoi consiste véritablement le courage. Il s’agit de celles qui ont dénoncé ce qui rend leur travail si dangereux : ce ne sont pas les ennemis étrangers ou les « radicaux » en sol canadien, mais plutôt leurs collègues masculins, officiers et soldats. Oui, les mêmes institutions qui ont carte blanche et jouissent d’une appréciation aveugle dans la mythologie nationale du Canada figurent parmi les lieux de travail les plus toxiques et les plus dangereux au pays pour les femmes. Deux exemples récents illustrent l’épidémie de violence que subissent les femmes dans la GRC et l’armée : le recours collectif de quelque 400 anciennes et actuelles agentes de la GRC, de retour dans une salle d’audience de Vancouver ce mois-ci, ainsi que le rapport sur la violence contre les femmes dans l’armée rédigé par l’ex-juge de la Cour suprême Marie Deschamps. La réponse de l’armée au rapport Deschamps, Opération Honneur (Op Honneur dans le jargon guerrier), est déjà devenu un objet de dérision pour des soldats du CMR, du QG du département de la Guerre et d’autres bases militaires, l’ayant rebaptisé « Hop on Her[i] ». Cela n’est peut-être pas surprenant, étant donné que l’ancien chef de la meute au département de la Guerre, le général Tom Lawson, a déclaré à Radio-Canada plus tôt cette année que l’agression sexuelle existe parce que les hommes sont « programmés biologiquement d’une certaine manière ».
Les bombardements canadiens créent des réfugiés
Aussi difficile que cette discussion puisse être pour de nombreux Canadiens ayant grandi avec cette fausse croyance selon laquelle le Canada est un pays voué au maintien de la paix et un négociateur honnête sur la scène internationale (malgré les preuves du contraire), il s’agit d’une discussion importante à avoir au moment où l’armée est sur le point de connaître une gloire éclatante en aidant à accueillir 25 000 réfugiés syriens. Il ne s’agit pas de minimiser le fait que beaucoup de gens se joignent à l’armée (et à la GRC) mus par un désir de faire le bien et de contribuer à l’amélioration de la sécurité de leurs concitoyens. Il ne fait par ailleurs aucun doute que de nombreux soldats seront gentils et attentionnés lorsqu’ils accueilleront les réfugiés. Au bout du compte cependant, le fait d’accueillir des réfugiés, tout comme le véritable travail humanitaire et de maintien de la paix que constituent les secours en cas d’inondations ou de tempête de verglas, n’est pas un travail nécessitant une arme à feu et une tenue de camouflage.
Un simple fait incontestable se perd déjà au milieu des félicitations qui commenceront bientôt à pleuvoir sur une Armée canadienne voulant à tout prix éviter une potentielle enquête publique sur son rôle dans la torture des prisonniers afghans. Cette même armée canadienne contribue actuellement à la crise des réfugiés en sortant quotidiennement ses CF-18 en Irak et en Syrie (malgré la promesse de Justin Trudeau de mettre fin aux bombardements). En effet, l’opération IMPACT de la campagne de bombardement vante la hausse constante de son pointage (en date du 18 novembre, « les chasseurs CF-188 Hornet ont mené 1 127 sorties; le ravitailleur aérien CC-150T Polaris a effectué 305 sorties, acheminant quelque 18 024 000 livres de carburant à l’avion de la coalition »). On dirait que chaque fois que Justin Trudeau affirme que la mission de bombardement se terminera, le site de l’opération IMPACT est mis à jour, annonçant un nouveau raid de bombardement. Et les reportages de la CBC indiquent que le carnage se poursuit et les cadavres s’empilent : au moins 10 civils irakiens ont été tués dans un bombardement canadien sur Mossoul le 19 novembre.
Inutile de rappeler que sur le terrain le coût en vies humaines augmente sans que le QG du département de la Guerre se préoccupe réellement des victimes civiles. Les pertes sont documentées par des sites comme Airwars. La CBC a rapporté pour sa part qu’un document interne du Pentagone révèle qu’une frappe canadienne près de Mossoul en janvier dernier a tué jusqu’à 27 civils. Et tandis que beaucoup trop de Canadiens mal informés se plaignent en long et en large sur Facebook du coût de la réinstallation de 25 000 réfugiés syriens, cet investissement constitue une somme dérisoire par rapport aux sommes que le Canada a dépensées dans la perpétuation de la crise des réfugiés avec sa campagne de bombardement. L’estimation particulièrement modeste des conservateurs datant du 1er avril était « d’au moins 528 millions de dollars », donc le coût des bombardements et la création d’encore plus de réfugiés doit dépasser à ce jour 1 milliard de dollars. (En outre, la Marine canadienne a dépensé plus de 1 milliard de dollars dans l’application des sanctions génocidaires contre le peuple irakien dans les années 1990).
Alors que certains Canadiens se réchaufferont le cœur sachant que leur armée accueille des réfugiés (ce qu’elle devrait faire, bien entendu), une question n’est pas abordée : tout au long de la crise des réfugiés, où était l’Armée canadienne, celle qui projette les « valeurs » canadiennes et existe pour créer un monde meilleur? Alors que les eaux de la Méditerranée s’agitaient davantage ce mois-ci avec l’arrivée de l’hiver, et que des dizaines de réfugiés périssaient dans les eaux tourbillonnantes près de la Grèce, les priorités militaires canadiennes étaient très claires. Au lieu de sauver ces réfugiés, six navires de guerre canadiens participaient à des jeux de guerre de l’OTAN en Méditerranée et jouaient au plus fort afin de montrer au président russe Vladimir Poutine quel joueur se tenait le plus droit. (Autre exemple d’étalage de machisme : ces jeux de guerre ont non seulement été abondamment célébrés par les médias des pays participants, mais la Russie a également été invitée à y assister en tant qu’observateur dans le but de voir à quel point nos bombardiers sont gros. Autre signe de la confusion géopolitique inspirée par la guerre brutale menée par le régime d’Assad contre le peuple syrien : Justin Trudeau a gardé le silence sur l’ingérence de Vladimir Poutine en Syrie tout en l’accusant d’être un tyran pour avoir faire la même chose en Ukraine.)
Les navires de guerre canadiens pourraient secourir les réfugiés
Plus tôt ce mois-ci, l’OTAN a entrepris l’opération TRIDENT JUNCTURE, le plus grand exercice de guerre de l’OTAN depuis plus d’une décennie. Pour s’entraîner à faire la guerre, plus de 1 200 soldats canadiens, des pilotes et des marins se joignaient à 35 000 troupes de l’OTAN, 200 avions, 50 navires de guerre et, quelle honte, la Croix-Rouge. Les profiteurs de guerre étaient également présents, comme l’admettait l’OTAN publiquement dans un communiqué de presse d’avant-match : « Les industries militaires de 15 pays participeront également, afin d’évaluer les futurs besoins de l’OTAN en matière d’armement et de technologie. »
« Le thème de l’opération TRIDENT JUNCTURE est la vitesse, la rapidité avec laquelle les forces de l’OTAN peuvent réagir à une crise », a proclamé l’OTAN. « Le général allemand Hans-Lothar Domrose qui [a mené] l’exercice a déclaré que « la vitesse compte, vous le verrez dans les airs, en mer et sur terre. » Ceux qui auraient le plus bénéficié de cette réaction rapide sont les réfugiés au cœur de la plus grande crise humanitaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils étaient à quelques centaines de kilomètres de là et on les a laissés se noyer.
Employant un langage à peine codé faisant référence à la Russie en Ukraine, le commodore canadien Chris Baines a déclaré à Postmedia que le but des jeux de guerre était simple : « Un pays cherche à imposer sa présence dans un autre pays et nous tentons de faire en sorte que cela ne se produise pas ». Ceux qui croient que l’ironie est morte pourraient s’amuser amplement avec ce commentaire, puisque, exactement au même moment, les frères d’armes otaniens du commodore occupaient toujours des parties de l’Irak, de l’Afghanistan et une foule de pays africains, occupations toutes vouées, dit-on, à mettre un terme à de telles interférences dans les affaires des autres pays.
Pendant ce temps, au lieu d’aider à escorter les réfugiés à travers la dangereuse Méditerranée, trois autres navires de guerre canadiens participaient à une autre série de jeux de guerre au large de la côte sud de la Californie « afin de continuer à développer nos compétences en tant qu’alliés. »
Au moment où ces jeux de guerre prenaient fin, le représentant de Justin Trudeau à l’Organisation des Nations Unies votait contre la résolution condamnant la glorification du nazisme. M. Harper avait opposé son veto à cette même résolution l’an dernier.
Les bombardements canadiens continuent
De retour au pays, le 22 octobre, alors que les couleurs éclatantes de l’automne se prêtaient parfaitement à l’investiture du nouveau gouvernement libéral, M. Trudeau a rencontré la presse. Il a annoncé aux Canadiens qu’il avait fait son premier appel officiel et informé le président Obama qu’afin de tenir une promesse électorale, il mettrait fin à la campagne de bombardement du Canada en Syrie et en Irak. Si la déclaration de M. Trudeau a reçu de nombreux applaudissements, peu de gens suivaient le décompte quotidien des raids de bombardements recensés sur la page du département de la Guerre, lequel, à ce jour, continue de croître et non pas de diminuer.
Justin Trudeau aurait pu clouer les CF-18 au sol le jour même où il a prêté serment. Même s’il faudra du temps pour quitter la base du Koweït à partir de laquelle le Canada mène ses opérations, le fait d’empêcher les CF-18 de voler n’aurait pas fait de mal. Ce n’est pas comme si l’armée ignorait que cela allait se produire. Elle s’est cependant comportée comme un ivrogne en pleine débauche espérant boire le plus possible avant de devenir sobre. Comme le rapportait l’Ottawa Citizen le 29 octobre, « [c]ertaines agences ou organismes fédéraux ont commencé à apporter des changements dans les domaines où les politiques libérales sont connues du public », comme le formulaire long du recensement et les boîtes aux lettres communautaires de Postes Canada. Justin Trudeau n’a pas caché son désir de mettre fin aux bombardements, mais aucun plan apparent pour se conformer à cette politique et cesser immédiatement les bombardements ne semble avoir émané du département de la Guerre.
Cependant, la recommandation de M. Trudeau, soit de remplacer les bombardements par un plus grand nombre de formateurs militaires, ne vaut pas mieux. Elle reflète le manque total d’imagination qui sous-tend la pensée guerrière, voulant que la seule façon de résoudre une crise soit d’imposer une puissance de feu supérieure et de réduire l’adversaire en poussière. Un pays déchiré par la guerre, qui n’a rien connu d’autre que 30 ans d’invasion, de guerre et d’occupation, de privation et de répression (souvent aux mains des forces armées canadiennes, américaines et britanniques), a-t-il vraiment besoin de s’entraîner à tuer des gens?
Au lieu d’enseigner aux Irakiens à mieux tuer, pourquoi ne pas investir massivement dans un programme visant à acquérir des compétences dans le domaine de la société civile, lequel drainerait l’EI de soldats potentiels (une foule d’entre eux sont disponibles parce qu’ils ne peuvent pas nourrir leurs familles dans un pays totalement dévasté par des décennies de bombardements américains, canadiens et britanniques)? Pourquoi ne pas financer des groupes qui cherchent des solutions non violentes au conflit? Il existe de nombreux mouvements de résistance non violente à l’EI (en grande partie dirigés par des femmes). Comme n’importe quel pouvoir, l’EI ne peut pas gouverner sans un certain degré de consentement. Pourquoi ne pas envoyer des formateurs en ingénierie pour réparer les systèmes d’alimentation en eau et les réseaux électriques, toujours instables et peu fiables, délibérément ciblés par les bombardiers canadiens et alliés en 1991 (un crime de guerre)? Pourquoi ne pas financer les refuges pour femmes irakiennes qui débordent en raison du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) profondément enraciné dont souffre la population? Pourquoi ne pas envoyer des spécialistes dans la résolution de conflits pour aider à réunir les parties en Irak?
Ceux qui s’opposent à ces solutions affirment que nous devons former des gens pour tuer les terroristes qui nous menacent, mais encore une fois, revenons à une déclaration improvisée de Justin Trudeau. Dans l’un des plus beaux moments de sa campagne, il a attaqué l’alarmisme de Stephen Harper en prétendant que l’ancien premier ministre voulait que tout le monde pense que « qu’un terroriste se cache derrière chaque feuille et chaque pierre autour de nous. ». Même le nouveau ministre de la Guerre Harjit Sajjan a déclaré que les Canadiens ne doivent pas craindre l’EI. Vinrent les attentats de Paris, un cadeau pour les plus grands fabricants d’armes du monde, dont les actions ont bondi de manière spectaculaire. Tout comme les militaires gagnent du prestige en bombardant les gens, ces industries verraient leurs fortunes s’effondrer si l’on faisait soudainement la paix. L’EI joue donc un rôle très précieux, servant à justifier des niveaux élevés de dépenses de guerre, ainsi que des législations répressives telles que C-51.
L’économie de guerre de Justin Trudeau
Avant d’être assassiné, Martin Luther King Jr. a proclamé qu’un pays qui dépense sans cesse de plus en plus de fonds pour la guerre que pour des programmes sociaux se rapproche de la mort spirituelle. Pour les personnes préoccupées par les montants bruts d’argent gaspillé sur la guerre par les gouvernements canadiens successifs, l’élection fédérale de 2015 était problématique puisque tous les grands partis ont appuyé la mort spirituelle. En effet, ni les libéraux ni le NPD n’ont promis de réduire les dépenses militaires de Stephen Harper, mais seulement de les déplacer vers différentes « priorités ». Personne n’a été assez audacieux pour suggérer que l’on devait annuler le contrat de 15 milliards de dollars pour fournir des armes au régime décapiteur de l’Arabie saoudite (Justin Trudeau a seulement affirmé qu’il rendrait le contrat plus transparent). Personne n’est allé plus loin que l’annulation d’un contrat d’achat d’avion de combat F-35 et suggéré que nous n’avons pas besoin de nouveaux avions de combat (et M. Trudeau s’est engagé à verser des milliards dans « des avions de combat de nouvelle génération » au lieu de mettre ces fonds dans les dépenses sociales, où les besoins sont criants).
Alors que chaque parti fédéral se vantait de sa responsabilité financière lors des élections, ils ont tous appuyé le maintien et l’augmentation des niveaux historiquement élevés de dépenses de guerre du Canada, bien que le département de la Guerre soit le plus grand bénéficiaire des dépenses discrétionnaires fédérales. Ce que le Canada dépense pour la guerre en une journée pourrait fournir : quatre années d’études postsecondaires gratuites à 3 000 étudiants; 1 100 unités de logements abordables; et 4 466 places gratuites en garderies subventionnées pendant un an. Un gouvernement véritablement préoccupé par le gaspillage chercherait les 3,1 milliards de dollars disparus dans ce que l’on appelle le financement « antiterrorisme » (y compris au département de la Guerre). Il prendrait également en considération les conclusions du Bureau de l’Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, qui, plus tôt cette année, a « constaté qu’un système inadéquat de contrôles financiers internes et le contournement, par des membres de la direction, de contrôles en place […] avaient entraîné le non-respect de certaines règles » : « À plusieurs reprises entre 2009 et 2013, [le département] ne s’est pas conformé aux règles sur l’approbation et la divulgation des frais de déplacement et d’hébergement et sur la gestion des contrats.»
Seulement, puisque l’armée est un important bénéficiaire d’allocations gouvernementales n’ayant pas de comptes à rendre et se cachant derrière sa barrière protectrice mythique, elle n’est pas condamnée pour une si mauvaise gestion comme l’est une personne qui, en essayant de joindre les deux bouts avec 600 dollars d’aide sociale, gagne un petit revenu supplémentaire non déclaré afin de garder un toit au-dessus de sa tête.
De toute évidence, les dirigeants politiques ne peuvent pas remettre en question ces contradictions sans dégonfler les mythes et mettre en doute le besoin ultime de posséder une armée : tout ce que de nombreux Canadiens disent apparemment vouloir de leur armée − des opérations de recherche et sauvetage aux secours aux sinistrés en passant par les missions de maintien de la paix − ne requière pas de fusils. Alors, pourquoi ne pas désarmer nos troupes et les transférer vers des opérations civiles tout aussi bien financées?
Le suicide chez les militaires
Les Forces canadiennes sont également ébranlées par les reportages voulant que 60 anciens combattants de la mission afghane se soient suicidés (soit plus d’un tiers du nombre de soldats tués en Afghanistan). Ce nombre augmentera au fur et à mesure qu’une génération de soldats gorgés de SSPT tente toujours de faire face à ce qu’elle a vu et vécu à l’étranger (sans compter les civils de l’Afghanistan, une population entière qui, comme celles d’Irak, souffre collectivement du SSPT, mais n’a pas de financement pour des services de soutien). Même les rapports militaires internes commencent à conclure que l’exposition au combat pourrait augmenter le risque de suicide, ce qui compromet essentiellement l’ensemble du raisonnement macho de la culture guerrière : tuer des gens et s’entraîner à le faire va à l’encontre de la nature humaine, et pour que cette institution demeure valide et bien financée elle doit nous convaincre du contraire.
Alors que le gouvernement Trudeau (avec l’appui des conservateurs, des verts et du NPD) promet de continuer à financer une entreprise aussi misanthrope et illogique, les coûts sociaux de ces investissements massifs dans la guerre continuent de se révéler dans les niveaux élevés de pauvreté et d’inégalités au pays, dans les listes d’attente interminables pour les services de santé mentale et dans une vaste gamme d’autres besoins sociaux qui ne sont tout simplement pas satisfaits en raison de ces priorités de financement asymétriques. Il semble qu’un véritable changement modifierait le paradigme construit autour de la violence comme solution et cesserait de former des générations successives pour un emploi exigeant principalement de tuer ou d’être tué.
Les quatre prochaines années sous Justin Trudeau, avec deux tiers des parlementaires nouvellement à l’emploi et moins susceptibles d’être complètement cyniques et endurcis, représentent peut-être une occasion de reprendre la discussion sur une culture de paix et de justice, et de mettre en place un ministère de la Paix qui ne se trouve pas à côté d’un ministère de la Guerre, mais le remplace complètement.
Matthew Behrens est un auteur indépendant et défenseur de la justice sociale, coordonnateur du réseau d’action directe non violente Homes not Bombs. Il a travaillé de nombreuses années en étroite collaboration avec les personnes ciblées par le profilage du Canada et des États-Unis au nom de la « sécurité nationale ».
[i] Jeu de mot intraduisible signifiant « Saute sur elle »