Pourquoi le mur de silence sur le génocide à Gaza commence enfin à se fissurer (traduction)

Pourquoi le mur de silence sur le génocide à Gaza commence enfin à se fissurer

Par Jonathan Cook, Middle East Eye, 16 mai 2025
Texte original en anglais [Traduction : Claire Lapointe et Jacques Grenier; révision : Claire Lalande]

Alors qu’Israël dévoile son offensive génocidaire finale et que les événements de mort massive dus à la famine se profilent à Gaza, les politicien·ne·s et les médias occidentaux se mettent timidement à élever la voix.

« Pourquoi le mur de silence sur le génocide à Gaza commence enfin à se fissurer », Middle East Eye, 16 mai 2025
« Pourquoi le mur de silence sur le génocide à Gaza commence enfin à se fissurer », Middle East Eye, 16 mai 2025

Qui aurait pu imaginer, il y a 19 mois, qu’il faudrait plus d’un an et demi de massacres et de réduction à la famine des enfants de Gaza par Israël pour que les premières fissures apparaissent dans ce qui était jusqu’ici un mur de soutien inébranlable à Israël par les pouvoirs en place en Occident?

Enfin, cette unanimité semble sur le point de céder.

Le quotidien de la finance de la caste dirigeante, le Financial Times, a été le premier à rompre les rangs, la semaine dernière, pour condamner « le silence honteux de l’Occident » face à l’assaut meurtrier d’Israël contre la minuscule enclave.

Dans un éditorial – donc la voix du journal –, le Financial Times accusait les États-Unis et l’Europe d’être de plus en plus « complices » alors qu’Israël rendait Gaza « inhabitable » – une allusion au génocide – et constatait que l’objectif est de « chasser les Palestiniens de leurs terres » – allusion claire au nettoyage ethnique.

Non seulement ces crimes graves commis par Israël se trouvent l’un et l’autre avérés de manière évidente depuis la violente sortie effectuée par le Hamas à partir du territoire de Gaza le 7 octobre 2023, mais ils le sont aussi depuis des décennies.

Même si la qualité du compte-rendu médiatique occidental est très faible, et même si ce constat vient d’un média tout aussi complice que les gouvernements qu’il critique, on se doit d’accueillir le moindre signe d’un progrès.

The Economist a emboîté le pas à la suite du Financial Times, affirmant que le premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahou et ses ministres étaient animés par le « rêve de vider Gaza et d’y reconstruire des colonies juives ».

À son tour, la de semaine dernière, [le 10 mai], The Independent décidait que le « silence assourdissant à propos de Gaza » devait cesser. Selon lui, il était « temps pour le monde de prendre conscience de ce qui s’y passe et d’exiger la fin des souffrances des Palestinien·ne·s piégé·e·s dans l’enclave ».

En réalité, une grande partie du monde s’est réveillée il y a de cela plusieurs mois. Ce sont les politicien·ne·s et la presse occidentales qui dormaient profondément pendant ces 19 mois de génocide.

Puis lundi dernier, [le 12 mai], le soi-disant libéral The Guardian exprimait dans son éditorial sa crainte qu’Israël ne soit présentement en train de commettre un « génocide » bien qu’il n’ait formulé cette accusation qu’en mode interrogatif.

Il écrivait à propos d’Israël : « Il envisage maintenant une Gaza sans population palestinienne. Qu’est-ce donc sinon un génocide? Quand les États-Unis et leurs alliés agiront-ils pour mettre fin à cette horreur si ce n’est pas maintenant? »

Il aurait été plus adéquat que le journal pose la question suivante : Pourquoi les alliés occidentaux d’Israël – ainsi que des médias comme The Guardian et Financial Times – ont-ils attendu 19 mois avant de dénoncer cette horreur?

Et comme on pouvait s’y attendre, c’est la BBC qui a fermé la marche. Mercredi après-midi, [le 14 mai], elle a choisi de mettre en haut d’affiche le témoignage de Tom Fletcher, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d’urgence des Nations Unies, s’exprimant devant le Conseil de sécurité. Le présentateur Evan Davis a déclaré que la BBC avait décidé de « faire quelque chose d’un peu inhabituel ».

Inhabituel en effet. La BBC a diffusé l’intégralité des douze minutes et demi du discours de Fletcher, incluant ce commentaire : « Pour ceux et celles qui ont été tués et dont les voix sont réduites au silence, de quelles preuves supplémentaires avez-vous besoin maintenant? Allez-vous agir, avec détermination, pour prévenir le génocide et garantir le respect du droit humanitaire international? ».

En moins d’une semaine, nous étions donc passés d’une situation où, concernant Gaza, le mot « génocide » était tabou à une situation où le mot était presque devenu d’usage courant.

Fissures grandissantes

Des fissures sont également visibles au sein du Parlement britannique. Mark Pritchard, député conservateur, depuis toujours fervent défenseur d’Israël, s’est levé depuis les banquettes arrière pour admettre qu’il s’était trompé sur Israël et l’a condamné « pour ce qu’il fait subir au peuple palestinien ».

Il faisait partie de plus d’une douzaine de député·e·s et de membres de la Chambre des Lords d’allégeance conservatrice, toutes et tous d’anciens fervents défenseurs d’Israël, qui ont exhorté le premier ministre britannique Keir Starmer à reconnaître immédiatement un État palestinien.

Leur décision faisait suite à une lettre ouverte publiée par 36 membres du Conseil des député·e·s – un regroupement de 300 membres disant représenter les Juifs et Juives britanniques –, s’écartant d’une position de soutien au massacre. La lettre alertait la population : « L’âme d’Israël est en train d’être arrachée ».

Pritchard a dit à ses collègues député·e·s qu’il était temps de « défendre l’humanité, de nous placer du bon côté de l’histoire, d’avoir le courage moral d’ouvrir la voie ».

Malheureusement, il n’y a encore aucun signe que cela se réalise. Une étude basée sur des données de l’administration fiscale israélienne, publiée la semaine dernière, montre que le gouvernement Starmer a menti même au sujet des restrictions très limitées sur les ventes d’armes à Israël qu’il a prétendu avoir imposées l’an dernier.

Malgré une interdiction officielle des livraisons d’armes susceptibles d’être utilisées à Gaza, la Grande-Bretagne a secrètement procédé à plus de 8 500 envois distincts de munitions vers Israël depuis cette interdiction.

Des détails supplémentaires ont été révélés cette semaine. Selon les chiffres publiés par The National, le présent gouvernement a exporté davantage d’armes vers Israël au cours des trois mois suivant l’entrée en vigueur de l’interdiction que le précédent gouvernement conservateur l’avait fait sur l’ensemble de la période qui s’étend de 2020 à 2023.

Alors que la Cour internationale de justice – Cour universelle – décrit ce qui est en train de se passer comme un « plausible génocide », le soutien du Royaume-Uni à Israël est si scandaleux que le gouvernement Starmer éprouve le besoin de faire semblant d’agir, même s’il continue en fait à renforcer ce génocide.

La semaine dernière, [le 7 mai], plus de 40 député·e·s ont écrit au secrétaire d’État aux Affaires étrangères, David Lammy, lui demandant de répondre aux allégations selon lesquelles il aurait induit en erreur l’opinion publique et le Parlement. « La population doit connaître l’ampleur de la complicité du Royaume-Uni dans des crimes contre l’humanité », écrivaient-ils.

La colère augmente aussi dans d’autres pays. Cette semaine, le président français Emmanuel Macron a qualifié le blocus total de l’aide humanitaire à Gaza par Israël de « honteux et inacceptable ». Il a ajouté : « Mon rôle est de tout faire pour y mettre fin ». Cependant, « tout » semble se résumer à débattre d’éventuelles sanctions économiques. Néanmoins, le changement de discours était frappant.

La première ministre d’Italie, Giorgia Meloni, a également dénoncé le blocus, le qualifiant d’ « injustifiable ». Elle a ajouté : « J’ai toujours rappelé l’urgence de trouver un moyen de mettre fin aux hostilités et de respecter le droit international et le droit international humanitaire ».

« Le droit international »? Où s’est-il caché depuis 19 mois?

Un changement similaire s’est produit outre-Atlantique. Le sénateur démocrate Chris von Hollen, par exemple, a récemment osé nommer les agissements d’Israël à Gaza un « nettoyage ethnique ».

Christiane Amanpour, de CNN, figure emblématique du consensus de Washington, a interrogé Sharren Haskel, vice-ministre israélienne des Affaires étrangères, de manière inhabituellement musclée. Amanpour l’a presque accusée d’avoir menti sur les enfants affamés par Israël.

De son côté, la semaine dernière toujours, Josep Borrell, récemment démissionnaire de sa fonction de chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE), brisait un autre tabou en accusant directement Israël de préparer un génocide à Gaza. « J’ai rarement entendu le dirigeant d’un État exposer aussi clairement un plan correspondant à la définition juridique du génocide », a-t-il affirmé, ajoutant : « Nous sommes confrontés à la plus grande opération de nettoyage ethnique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ».

Borrell, bien sûr, n’exerce plus aucune influence sur la politique de l’UE.

Un camp de la mort

Tout cela représente un progrès d’une douloureuse lenteur, mais ces avancées suggèrent pourtant qu’un point de bascule pourrait se rapprocher.

Il y a pour cela plusieurs raisons. L’une d’entre elles – la plus évidente actuellement – est le président des États-Unis, Donald Trump.

Il était en effet plus facile pour The Guardian, le Financial Times et les député·e·s conservateurs et conservatrices de la vieille école d’observer en silence l’extermination des Palestinien·ne·s de Gaza lorsque c’était le gentil Oncle Joe Biden et le complexe militaro-industriel étatsunien qui la soutenaient.

Contrairement à son prédécesseur, Trump oublie trop souvent de dissimuler les crimes israéliens ou d’en distancier les États-Unis, même quand Washington expédie les armes nécessaires à leur perpétration.

Mais de nombreux indices montrent également que Trump, constamment avide d’être perçu comme chef de file, est de plus en plus agacé d’être publiquement déjoué par Netanyahou.

Cette semaine, [le 12 mai,] alors que Trump se déplaçait vers le Moyen-Orient, son administration a obtenu la libération du soldat israélien Edan Alexander, le dernier citoyen étasunien retenu captif à Gaza encore en vie, et ce, en contournant Israël et en négociant directement avec le Hamas.

Dans ses commentaires sur la libération, Trump a insisté sur le fait qu’il était temps de « mettre fin à cette guerre très brutale » – une remarque qu’il n’avait manifestement pas convenue avec Netanyahou.

Visiblement, Israël ne figure pas au calendrier de Trump.

Le moment semble relativement propice pour adopter une position plus critique à son égard, comme l’évaluent probablement le Financial Times et The Guardian.

Il y a aussi le fait que le génocide réalisé par Israël touche à sa fin. Aucune nourriture, ni eau, ni aucun médicament n’est entré à Gaza depuis plus de deux mois. Tout le monde souffre de malnutrition. Compte tenu de la destruction du système de santé de Gaza par Israël, on ignore combien de personnes sont déjà mortes de faim.

Mais les images venant de Gaza et montrant des enfants n’ayant plus que la peau et les os rappellent douloureusement celles, vieilles de 80 ans, des enfants juifs, squelettiques, emprisonnés dans les camps nazis.

C’est un rappel que Gaza – soumise à un blocus strict par Israël pendant 16 ans avant le raid du Hamas, le 7 octobre 2023 – a été transformée au long des 19 derniers mois de camp de concentration à camp de la mort.

Une partie des médias et de la classe politique sait que les morts survenant en masse à Gaza ne peuvent plus être occultées encore longtemps, même si Israël a interdit l’accès de l’enclave aux journalistes étrangers et étrangères et a assassiné la plupart des journalistes palestinien·ne·s qui tentaient de documenter le génocide.

Des acteurs politiques et médiatiques cyniques tentent de présenter leurs excuses avant qu’il ne soit trop tard pour exprimer des remords.

Le mythe de la « guerre de Gaza »

Et enfin, il y a le fait qu’Israël s’est déclaré prêt à assumer la responsabilité de l’extermination à Gaza, selon ses propres mots, en « capturant » le minuscule territoire.

Le « jour d’après » tant attendu semble ainsi sur le point d’arriver.

Pendant 20 ans, Israël et les capitales occidentales ont élaboré et propagé le mensonge selon lequel l’occupation de Gaza aurait pris fin en 2005, lorsque le premier ministre israélien de l’époque, Ariel Sharon, a retiré quelques milliers de colons juifs et cantonné les soldats israéliens dans un périmètre hautement fortifié entourant l’enclave.

Dans une décision rendue l’année dernière, [en 2024,] la Cour internationale n’a pas tenu compte de cette affirmation, soulignant que Gaza et les territoires palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est n’avaient jamais cessé d’être sous occupation israélienne et que cette occupation devait cesser immédiatement.

La vérité est que même avant les attaques du Hamas en 2023, Israël assiégeait Gaza par voie terrestre, maritime et aérienne depuis de très nombreuses années. Rien, ni personnes ni produits, n’entrait ou ne sortait sans l’assentiment de l’armée israélienne.

Les responsables israéliens ont institué une politique secrète consistant à soumettre la population à un « régime » strict; soit un crime de guerre à l’époque comme aujourd’hui. Il en a résulté que la plupart des enfants de Gaza ont progressivement souffert de malnutrition.

Les drones vrombissaient constamment au-dessus de leur tête, comme ils le font aujourd’hui, observant la population 24 heures sur 24 et faisant parfois pleuvoir la mort. Des pêcheuses et pêcheurs ont été abattus et leurs bateaux coulés pour avoir osé pêcher dans leurs propres eaux. Les cultures des agricultrices et agriculteurs ont été détruites à l’aide d’herbicides pulvérisés par des avions israéliens.

Et quand l’envie lui en prenait, Israël dépêchait des avions de chasse pour bombarder l’enclave ou envoyait des soldats dans le cadre d’opérations militaires, tuant des centaines de civil·e·s à la fois.

Lorsque les Palestinien·ne·s de Gaza sont sorti·e·s semaine après semaine [, de mars 2018 à décembre 2019], pour manifester pacifiquement près de la clôture de leur camp de concentration, des tireurs d’élite israéliens leur ont tiré dessus, tuant quelque 200 personnes et blessant plusieurs milliers d’autres.

Et pourtant, malgré tout cela, Israël et les capitales occidentales ne cessaient de marteler l’histoire selon laquelle le Hamas « gouvernait » Gaza et qu’il était seul responsable de ce qui s’y passait.

Cette fiction a joué un rôle déterminant. Elle a permis à Israël d’échapper à la responsabilité des crimes contre l’humanité commis à Gaza au cours des deux dernières décennies. Elle a aussi permis à l’Occident d’éviter les accusations de complicité pour avoir armé des criminels.

La classe politique et médiatique a perpétué le mythe selon lequel Israël était engagé dans un « conflit » avec le Hamas – ainsi que dans des « guerres » intermittentes à Gaza – alors même que l’armée israélienne qualifiait ses opérations visant à détruire des quartiers entiers et à tuer leurs habitant·e·s de « tonte de pelouse » (mowing the lawn).

Israël, bien sûr, considérait Gaza comme sa pelouse à tondre, et ce, précisément parce qu’il n’a jamais cessé d’occuper l’enclave.

Encore aujourd’hui, les médias occidentaux alimentent cette fiction selon laquelle Gaza n’est plus sous le joug de l’occupation israélienne en qualifiant de « guerre » les massacres qui y sont perpétrés et la famine qui frappe la population.

La perte de la fiction servant de couverture

Mais le « jour d’après », avec la promesse de la « capture » et de la « réoccupation » de Gaza par Israël, pose un problème autant à Israël qu’à ses commanditaires occidentaux.

Jusqu’à présent, toutes les atrocités commises par Israël ont été justifiées par l’échappée violente du Hamas, le 7 octobre 2023.

Israël et ses partisans insistent sur le fait que le Hamas doit libérer les otages israéliens avant qu’il puisse y avoir une « paix » toujours non définie. Du même souffle, Israël soutient que Gaza doit être détruite à tout prix pour éradiquer complètement le Hamas.

Il n’y a aucune cohérence entre ces deux objectifs, car plus Israël tue des civil·e·s palestinien·ne·s pour « éradiquer » le Hamas, plus le Hamas recrute de jeunes hommes en quête de vengeance.

Le flot continu du discours génocidaire des dirigeants israéliens vise à faire croire qu’il n’y a pas de civil·e·s à Gaza – il n’y aurait aucun·e Gazaoui·e « non impliqué·e ». Conséquemment, l’enclave doit être rasée et la population traitée comme des « animaux humains », punie en la « privant de nourriture, d’eau et de carburant ».

Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a réitéré cette approche la semaine dernière, [le 6 mai,] promettant que « Gaza sera entièrement détruite » et que son peuple fera l’objet d’un nettoyage ethnique ou, comme il l’a dit, forcé de « partir en grand nombre vers des pays tiers ».

Les responsables israéliens lui ont fait écho, menaçant de « raser » Gaza si les otages ne sont pas libérés cette semaine. Mais en vérité, les captives et captifs détenus par le Hamas ne sont qu’un prétexte commode.

Smotrich a été plus honnête en soulignant que la libération des otages n’était « pas la chose la plus importante ». Son point de vue est apparemment partagé par l’armée israélienne qui aurait placé cet objectif au dernier rang d’une liste de six objectifs de « guerre ». En effet, l’armée priorise le « contrôle opérationnel » de Gaza, la « démilitarisation du territoire » et « la concentration et le mouvement de la population ».

Alors qu’Israël est sur le point de reprendre indiscutablement et visiblement le contrôle direct de la bande de Gaza – sans la couverture de la « guerre », de la nécessité d’éliminer le Hamas, des victimes civiles comme « dommages collatéraux » –, la responsabilité d’Israël dans le génocide sera elle aussi incontestable, de même que la collusion active de l’Occident.

C’est pourquoi plus de 250 anciens responsables (dont trois anciens dirigeants) de l’agence d’espionnage israélienne, le Mossad, ont signé une lettre le 14 avril dernier. Ils y dénonçaient la rupture du cessez-le-feu par Israël au début du mois de mars et le retour à la « guerre ».

La lettre qualifiait les objectifs officiels d’Israël d’« inatteignables ».

De même, les médias israéliens rapportent qu’un grand nombre de réservistes militaires israéliens ne se présentent plus lorsqu’ils sont appelés à retourner servir à Gaza.

Une purification ethnique

Les protecteurs occidentaux d’Israël doivent maintenant se débattre avec le « plan » israélien concernant le territoire en ruine. Ces derniers jours, ses contours se précisent de plus en plus.

En janvier 2025, Israël a interdit formellement la présence de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), l’agence qui nourrit et prend soin de la plus grande partie de la population palestinienne chassée de ses terres au cours des premières phases de la colonisation de la Palestine historique par Israël.

Gaza regorge de tel·le·s réfugié·e·s; soit le résultat du plus grand programme de nettoyage ethnique d’Israël en 1948, lors de sa création en tant qu’« État juif ».

La suppression de l’UNRWA est une aspiration israélienne de longue date, une mesure conçue pour se débarrasser du joug des agences d’aide qui s’occupent des Palestinien·ne·s, les aidant par le fait même à résister aux tentatives d’Israël de procéder au nettoyage ethnique et contrôlant l’adhésion, ou plutôt l’absence d’adhésion d’Israël au droit international.

Pour que les programmes de nettoyage ethnique et de génocide à Gaza soient menés à terme, Israël doit absolument mettre sur pied un système alternatif à celui de l’UNRWA.

La semaine dernière, [semaine du 5 mai,] l’État israélien a approuvé un programme qui lui permet d’utiliser des entrepreneurs privés, et non l’ONU, pour livrer de petites quantités de nourriture et d’eau aux Palestinien·ne·s. Israël n’autorisera l’entrée que de 60 camions par jour, à peine un dixième du minimum absolu requis selon l’ONU.

Ce programme recèle plusieurs pièges. Pour avoir une chance de bénéficier de cette aide très limitée, les Palestinien·ne·s devront se présenter aux points de distribution militaires situés dans une petite zone à l’extrémité sud de la bande de Gaza.

En d’autres termes, quelque deux millions de Palestinien·ne·s devront s’entasser dans un endroit qui n’a aucune chance de les accueillir toutes et tous et qui ne dispose que du dixième de l’aide qui leur est nécessaire.

Ils et elles devront également se déplacer sans aucune garantie qu’Israël cessera de bombarder les « zones humanitaires » dans lesquelles on les aura nouvellement entassé·e·s.

Ces zones de distribution militaire se trouvent à proximité de la seule et courte frontière de Gaza avec l’Égypte, exactement là où Israël a tenté de chasser les Palestinien·ne·s au cours des 19 derniers mois dans l’espoir de forcer l’Égypte à ouvrir sa frontière, de sorte que la population de Gaza puisse faire l’objet d’un nettoyage ethnique dans le Sinaï.

Dans le cadre du programme israélien, dans ces centres militaires, les Palestinien·ne·s seront contrôlés à l’aide de données biométriques avant même d’avoir le moindre espoir de recevoir des aliments à teneur minimale en calories.

Une fois à l’intérieur des centres, ils et elles pourront être arrêté·e·s et envoyé·e·s dans l’un des camps de torture en Israël.

On se rappellera que le 3 septembre 2024, le journal israélien Haaretz publiait le témoignage d’un soldat israélien devenu lanceur d’alerte qui confirmait les témoignages de médecins et d’autres gardiens de prison selon lesquels la torture et les abus sont monnaie courante à l’encontre des Palestinien·ne·s (y compris des civil·e·s) à Sde Teiman, le plus tristement célèbre de ces camps.

La guerre contre l’aide

Vendredi dernier, [le 9 mai], peu après l’annonce de son plan d’« aide », Israël a tiré un missile sur un centre de l’UNRWA dans le camp de Jabaliya, détruisant son centre de distribution de nourriture et son entrepôt.

Puis le lendemain, Israël a bombardé des tentes utilisées pour préparer la nourriture à Khan Younis et dans la ville de Gaza. Il a ciblé et fermé les cuisines et les boulangeries caritatives dans le prolongement de sa campagne de destruction des hôpitaux et du système de santé de Gaza.

Ces derniers jours, un tiers des cuisines communautaires soutenues par l’ONU, dernière bouée de sauvetage de la population, ont dû fermer en raison de l’épuisement de leurs réserves de nourriture et de carburant.

Selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), ce nombre augmente « de jour en jour », entraînant une famine « généralisée ».

Cette semaine, l’ONU a rapporté que près d’un demi-million de personnes à Gaza – un cinquième de la population – étaient confrontées à une « famine catastrophique ».

Comme on pouvait s’y attendre, Israël et ses apologistes macabres prennent à la légère cet océan de souffrances. Jonathan Turner, directeur général de UK Lawyers for Israel, a fait valoir que les critiques condamnaient injustement Israël d’affamer la population de Gaza et faisaient abstraction des avantages sanitaires de la réduction de l’« obésité » chez les Palestinien·ne·s!

La semaine dernière, [le 9 mai,] dans une déclaration conjointe, 15 agences de l’ONU et plus de 200 organisations caritatives et groupes humanitaires ont dénoncé le plan d’« aide » israélien. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) a déclaré qu’Israël forçait les Palestinien·ne·s à choisir entre « le déplacement et la mort ».

Pire encore, Israël s’apprête une fois de plus à travestir la réalité.

Les Palestinien·ne·s qui refuseront d’adhérer à son plan d’« aide » seront blâmé·e·s pour leur propre famine. Les agences internationales qui dénonceront la criminalité israélienne seront à la fois considérées « antisémites » et responsables du bilan croissant des victimes de la famine infligée à la population de Gaza.

Il existe un moyen d’empêcher ces crimes de dégénérer davantage. Mais il faudra que les politicien·ne·s et les journalistes occidentaux et occidentales fassent preuve de plus de courage qu’ils et elles ne l’ont fait jusqu’à présent. Il faudra plus que des fioritures rhétoriques. Il faudra plus qu’une simple déclaration publique.

Or, ces personnes sont-elles capables de plus? Ne nous faisons pas trop d’illusions.