Préparatifs de guerre contre la Chine : les États-Unis et le nouvel arc de militarisation dans le nord de l’Australie (traduction)

Préparatifs de guerre contre la Chine : les États-Unis et le nouvel arc de militarisation dans le nord de l’Australie

par Richard Tanter, The Asia-Pacific Journal | Japan Focus, 15 novembre 2022

Texte original en anglais – [Traduction et révision : Échec à la guerre]

Résumé : Ces dernières années, les gouvernements australiens successifs, en coordination avec les États-Unis, ont répondu à la montée spectaculaire de la Chine par des politiques militaires et économiques qui remettent directement en cause la possibilité d’un compromis avec la Chine.

Dans un arc de militarisation à travers le nord de l’Australie, les gouvernements australiens successifs, en étroite collaboration avec les États-Unis, ont répondu à la montée en puissance d’une Chine nouvellement affirmée en des termes qui constituent une opposition presque historiquement irrévocable à tout compromis avec la Chine en tant que grande puissance régionale.

Quand on considère les bases de haute technologie regroupées le long du cap Nord-Ouest en Australie-Occidentale (y compris le nouveau radar de surveillance spatiale et le télescope de surveillance spatiale fournissant des données sur la position, le comportement et le caractère des satellites des pays adverses); le port, la caserne et la base aérienne de Darwin; la nouvelle base conjointe de la RAAF [NDT : Force aérienne royale australienne] et de l’armée de l’air étasunienne de Tindal près de Katherine; l’engagement croissant des installations en pleine expansion, à Pine Gap près d’Alice Springs, dans les opérations militaires mondiales des États-Unis, conventionnelles et nucléaires, une réalité s’impose : l’Australie rejoint les États-Unis dans la préparation d’une guerre contre la Chine, et plus particulièrement une guerre à propos de Taïwan.

En partie, ce n’est pas nouveau. L’Australie d’après 1945, comme certaines autres démocraties libérales alliées aux États-Unis, est un cas de militarisation libérale dépendante et de haute technologie. Curieusement, ce modèle est difficile à reconnaître pour les Australien.ne.s – comme toujours pour les États qui valorisent leurs vertus libérales, et particulièrement pour ceux qui, comme l’Australie, sont fondés sur la violence de masse non transcendée, et encore moins pleinement reconnue, de la conquête coloniale de peuplement qui est toujours en cours.

De plus, comme l’illustre cette nouvelle phase de militarisation de l’Australie, elle reflète le caractère de l’empire étasunien, dont une partie essentielle est le réseau mondial de bases militaires étasuniennes et alliées et le personnel militaire déployé, et surtout les éléments distribués dans le monde entier des systèmes de capteurs de surveillance spatiale et terrestre, des systèmes de communication et des systèmes informatiques – contrôlés par les États-Unis mais accessibles à la coalition – tous liés aux opérations militaires des États-Unis et de la coalition.

La forme matérielle de la militarisation australienne de haute technologie, dépendante de son alliance avec les États-Unis, se manifeste loin des centres de population, hors de vue socialement et culturellement, même lorsqu’elle est proche, comme dans la petite ville d’Alice Springs, voisine de Pine Gap [NDT : le lien permet de voir une image des installations de surveillance qu’on y trouve]

Mais le rythme de la militarisation et la perte de liberté d’action qui en découle pour tout gouvernement australien indépendant, s’accélèrent avec les préparatifs ciblant la Chine.

Au milieu de cette précipitation à joindre les forces, il y a à Canberra une absence profonde d’évaluation compétente – au sein du gouvernement et de la communauté plus large de la politique de sécurité dominée par l’alliance – pour savoir si oui ou non les intérêts stratégiques de l’Australie et ceux des États-Unis sont réellement alignés sur la question de Taïwan.

Pour l’Australie, une économie fortement dépendante des exportations de matières premières vers la Chine, les bouleversements structurels et contingents de l’économie mondiale de ces dernières années sont amplifiés par les implications du découplage économique et technologique de la Chine, pour répondre aux impératifs sécuritaires des États-Unis, le tout dans un contexte de « peur de la Chine » historiquement constitutive et à connotation raciale.

Les structures d’alliance des États-Unis sont clairement en train de changer de forme. Comme on l’a souvent noté cette année, l’invasion russe de l’Ukraine a ravivé la domination étasunienne sur l’OTAN. Ainsi, après deux décennies de participation intensive des forces de défense australiennes aux opérations de coalitions sous l’égide de l’OTAN en Afghanistan, en Irak et dans l’océan Indien, l’armée australienne s’est habituée à un nouveau rôle d’alliance en tant que partenaire stratégique renforcé de l’OTAN.

Mises à part les sombres folies de l’accord AUKUS visant à construire des sous-marins australiens à propulsion nucléaire, l’objectif ultime de Washington en construisant une « alliance de démocraties » de portée mondiale est assez clair.

Dans la région ‘indopacifique’, les structures d’alliance en étoile centrées sur les États-Unis, qui ont duré un demi-siècle, commencent visiblement à être remodelées, toujours sous la direction des États-Unis, par le biais des structures suivantes :

  • le Quad, une structure de sécurité souple réunissant le Japon, l’Australie, l’Inde et les États-Unis;
  • des connexions bilatérales entre les alliés des États-Unis de second niveau, sous la forme d’accords de sécurité, de logistique et d’accès aux bases, comme celui conclu entre l’Australie et le Japon;
  • et, malgré l’affaire diplomatiquement malheureuse de l’annulation d’un énorme contrat de sous-marins français, une coopération bilatérale et une expansion des accords de base et de logistique existants entre l’Australie et la France, cette dernière étant intéressée à projeter sa puissance dans l’océan Indien et le Pacifique, en raison de ses territoires coloniaux dans les deux régions.

Aujourd’hui, Canberra semble aussi de plus en plus entraînée dans le sentiment – de plus en plus répandu parmi les autres alliés des États-Unis – que la guerre à propos de Taïwan, un jour ou l’autre, est « nécessaire » et inévitable. Plusieurs facteurs – la peur australienne de la Chine, l’affirmation des dirigeants chinois actuels et la construction idéologique, manifestement réussie par les États-Unis, des identifications binaires ‘Russie = Chine, Poutine = Xi Jinping et Ukraine = Taïwan’ – se conjuguent avec l’intégration des installations militaires du nord de l’Australie dans la structure des forces militaires étasuniennes et viennent réduire considérablement la liberté d’action d’un gouvernement australien indépendant qui se concentrerait sur la défense effective de l’Australie.

Pine Gap – Essentiel pour le combat, en expansion, et toujours une cible nucléaire prioritaire

Bien qu’il s’agisse en principe d’une affaire commune à l’Australie et aux États-Unis, l’installation de défense commune de Pine Gap, près d’Alice Springs, est la plus grande installation de renseignement étasunienne en dehors des États-Unis. Elle est équipée de quelque 45 antennes, pour la plupart dans des radomes [NDT : contraction de radar et dôme, il s’agit d’un abri protégeant des intempéries et des regards, tout en étant transparent aux ondes]. C’est l’expression visible du rôle de surveillance de la base en tant que station terrestre pour les satellites géants de renseignement électromagnétique et les satellites infrarouges d’alerte précoce des États-Unis. Le site héberge aussi des antennes qui collectent les signaux transmis par les satellites de communication étrangers à une échelle industrielle.

Pine Gap, qui était déjà vaste et qui croît maintenant plus rapidement que jamais, jouera un rôle irremplaçable dans les opérations militaires étasuniennes, de l’Afrique au Pacifique et tout ce qui se trouve entre les deux, qu’elles soient conventionnelles ou nucléaires. Ses trois systèmes de surveillance jouent ­­­tous un rôle essentiel dans la planification étasunienne d’une guerre avec la Chine au sujet de Taïwan.

Bien qu’ils l’aient rarement laissé entendre publiquement, les gouvernements australiens savent depuis longtemps, depuis un demi-siècle, en fait, que Pine Gap a été – et demeure – une cible nucléaire soviétique/russe hautement prioritaire en cas de conflit majeur avec les États-Unis. C’est aussi le cas aujourd’hui pour la Chine, qui possède à peu près le même nombre de cibles prioritaires que la Russie, mais moins d’un dixième du nombre de missiles nucléaires à longue portée qui seraient à la hauteur de la tâche.

Les B-52 viennent à la base Tindal de la RAAF pour y rester

Depuis 2013, les B-52 atterrissent régulièrement à la base de la RAAF à Darwin, suite à l’accord de stationnement militaire Gillard-Obama. Mais l’expansion de Tindal pour répondre aux exigences de l’USAF [United States Air Force] en matière de déploiement de B-52 rendrait possible une présence permanente.

En outre, l’engagement de 1,1 milliard de dollars pris par le gouvernement Morrison en 2020 pour les Éléments du projet de travaux d’aérodrome des Initiatives de posture des forces des États-Unis à la base Tindal de la RAAF devra être recadré pendant que Canberra s’adapte aux plus récents plans du Pentagone pour une force opérationnelle de bombardiers B-52 en rotation permanente depuis leur base d’origine Barksdale AFB en Louisiane.

Selon les documents d’appel d’offres du Pentagone publiés par l’émission Four Corners de l’Australian Broadcasting Company, les États-Unis prévoient encore d’autres aménagements à Tindal – au-delà de ceux reconnus par le gouvernement australien – pour une force opérationnelle de bombardiers B-52 de l’USAF en rotation permanente, y compris une « aire de stationnement d’avions pouvant accueillir six B-52 », une « installation d’opérations d’escadron » de l’USAF, ainsi qu’un centre d’entretien, une décharge de carburant et un dépôt de munitions de l’USAF. L’un des principaux documents d’appel d’offres pour le déploiement de B-52 du Pentagone à Tindal est très récent, étant daté du 22 septembre 2022.

Tindal comme solution de rechange pour un Guam vulnérable

Pour le Pentagone, le déploiement de B-52 à Tindal constitue une solution de rechange pour la base aérienne d’Andersen, de plus en plus vulnérable, située sur la petite île fortement militarisée de Guam.

Comme l’a dit l’ancien secrétaire adjoint à la Défense Paul Dibb à l’émission Four Corners :

L’Amérique doit souscrire une police d’assurance parce qu’un grand nombre de ses bases militaires avancées dans des endroits comme l’île de Guam, près du Japon, et ailleurs dans la région, sont de plus en plus à la portée des capacités de frappe militaire chinoises.

Mais au-delà du facteur de repli de Tindal, l’USAF compte sur la RAAF pour fournir des ressources essentielles aux activités, en direction de la Chine, de la force opérationnelle de bombardement basée à Tindal, sous la forme d’avions d’alerte précoce et de contrôle E-7A Wedgetail de la RAAF, ainsi que de la capacité de ravitaillement à long rayon d’action de la RAAF et de chasseurs multirôles F-35.

Bien qu’apparemment incontestée à Canberra, cette intégration technique, doctrinale et organisationnelle incontestée des installations militaires du nord de l’Australie dans la planification et la préparation des États-Unis à un conflit de plus en plus probable avec la Chine a de graves implications pour la sécurité australienne.

Les B-52, les armes nucléaires et une zone exempte d’armes nucléaires dans le Pacifique Sud

Une autre tâche urgente concerne la planification en vue du stationnement de six bombardiers B-52 en rotation permanente à Tindal. Les bombardiers B-52-H, bien qu’approchant de leurs 70 ans, ont été modernisés cette année encore et demeurent une plateforme d’armes nucléaires stratégiques de première ligne pour les États-Unis. Selon l’étude de la Fédération des scientifiques américains, United States nuclear weapons 2021, qui fait autorité en la matière, , 46 des 87 bombardiers B-52 actuellement déployés par l’USAF sont dotés d’une capacité nucléaire, chacun pouvant transporter jusqu’à 20 missiles de croisière à lanceur aérien dotés d’armes nucléaires.

Actuellement, le langage du déploiement rotatif permanent des B-52 est en termes de formation, comme l’était l’accord du gouvernement Fraser en 1981 pour autoriser les B-52 à effectuer des exercices de formation à la navigation à Darwin.

L’accord de Fraser exigeait l’approbation préalable explicite du gouvernement australien pour l’utilisation de cet accès à toute autre fin. Nous ne savons rien des accords d’application autorisant le déploiement de Tindal sous les gouvernements Morrison et Albanese.

La question des contraintes imposées au déploiement dans le cadre d’un accord d’application revêtira une importance cruciale si les États-Unis décident, en cas de crise, d’engager les B-52 dans la guerre.

La doctrine légendaire du gouvernement australien contrôlant les utilisations des installations communes est formulée dans les accords juridiques comme notre « pleine connaissance et notre accord » avec les utilisations opérationnelles par les États-Unis de Pine Gap, de tout le groupe de bases du North West Cape, et maintenant de la base RAAF Tindal et plus encore.

Et pourtant, les bombardiers B52 à capacité nucléaire de Tindal soulèvent une question fondamentale pour l’Australie qui nécessite une clarification urgente de la part du gouvernement Albanese : l’interdiction prévue par le traité de Rarotonga établissant la zone exempte d’armes nucléaires du Pacifique Sud, dont l’article 5 est sans ambiguïté :

  1. « Chaque partie s’engage à empêcher le stationnement de tout dispositif explosif nucléaire sur son territoire. »

Toutefois, au cours des négociations de ce traité, l’Australie a soutenu la position des États-Unis selon laquelle toute zone exempte d’armes nucléaires dans le Pacifique devait autoriser le transit d’armes nucléaires à bord des navires et des avions en visite, ce qui a donné lieu à l’ajout d’une deuxième clause à l’article 5 :

  1. « Chaque partie demeure libre, dans l’exercice de ses droits souverains, de décider par elle-même si elle doit autoriser ou non des escales de navires et d’aéronefs étrangers dans ses ports maritimes et ses aérodromes, le passage en transit d’aéronefs étrangers dans son espace aérien et la navigation de navires étrangers dans sa mer territoriale ou ses eaux archipélagiques, effectués dans des conditions ne relevant pas des droits de passage inoffensifs, de passage dans les voies de circulation archipélagique ou de passage en transit par les détroits. »

L’intention des États-Unis – et de l’Australie – était « Plus de Nouvelle-Zélande », suite à l’interdiction par le gouvernement travailliste Langer des navires de guerre à armement ou à puissance nucléaires en 1984.

Alors qu’une interprétation normale de la signification des termes « escales » et « transit » n’inclurait pas quelque chose comme des déploiements permanents à rotation étendue, cette deuxième clause est aujourd’hui plus problématique que jamais.

Le gouvernement Albanese doit déclarer d’urgence qu’il accepte que, dans le cadre de la zone exempte d’armes nucléaires du Pacifique Sud, tout déploiement d’armes nucléaires en Australie, sous quelque forme ou prétexte que ce soit, sera interdit.

Le gouvernement doit exiger des États-Unis qu’ils répondent aux questions clés relatives au déploiement des B-52 :

  • Des armes nucléaires stratégiques des États-Unis seront-elles amenées en Australie sous quelque forme que ce soit, pour quelque durée que ce soit et dans quelque circonstance que ce soit ?
  • Chaque fois qu’un bombardier étasunien à capacité nucléaire est déployé en Australie, transporte-t-il des armes nucléaires ?

L’acceptation par le gouvernement australien de déclarations selon lesquelles les États-Unis « ne confirmeront ni ne nieront » la présence d’armes nucléaires sous quelque forme que ce soit en Australie constituerait un abandon de souveraineté.

Richard Tanter est associé de recherche principal à l’Institut Nautilus pour la sécurité et le développement durable, directeur de l’Institut Nautilus à l’Institut royal de technologie de Melbourne et éditeur collaborateur du Asia-Pacific Journal.

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