Quel a été le résultat de vingt ans d’intervention occidentale en Afghanistan? La ruine
par Simon Jenkins, The Guardian, 16 avril 2021
Texte original en anglais – [Traduction et révision : Échec à la guerre]
La Grande-Bretagne a justifié son invasion en invoquant qu’elle lui donnerait de l’influence et dissuaderait les terroristes. Des platitudes néo-impérialistes.
La guerre la plus longue, la plus inutile et la moins fructueuse que la Grande-Bretagne ait menée au cours des 70 dernières années – son intervention en Afghanistan – doit se terminer en septembre. Je doute que quiconque s’en aperçoive. Les nations célèbrent leurs victoires, et non leurs défaites.
Il y a vingt ans, les États-Unis ont décidé de réagir à leur trauma du 11 septembre 2001, non seulement en faisant sauter la base d’Oussama ben Laden dans les montagnes afghanes, mais en renversant tout le régime afghan. Et ce, malgré que de jeunes Talibans modérés aient déclaré que Ben Laden n’était pas le bienvenu et que le régime exigeait son départ. Non seulement les États-Unis ont alors décidé de bombarder Kaboul, mais ils ont invité l’OTAN à blanchir leur action en en faisant une question de sécurité mondiale. La Grande-Bretagne n’avait aucun intérêt en jeu. Elle n’a participé à cette guerre que parce que Tony Blair aimait bien George W. Bush.
Les troupes étasuniennes et britanniques ont parcouru le pays, recrutant des chefs de guerre ou mettant en place de nouveaux gouverneurs. En visite à Kaboul à l’époque, on m’a parlé de l’ambition de l’OTAN d’éliminer le terrorisme, de construire une nouvelle démocratie, de libérer les femmes et de se faire un « ami dans la région ». Je ressentais une étrange évocation de la Grande-Bretagne en 1839 lors de la première guerre afghane.
La plupart des officiels étasuniens à l’époque voulaient se retirer de l’Afghanistan et se concentrer sur la construction de l’État en Irak. Ce sont les Britanniques qui tenaient à rester. Blair a même envoyé une ministre, Clare Short, pour éliminer la récolte de pavot. Quoi qu’elle ait fait, le nombre de provinces productrices de pavot augmenta de six à 28, et les revenus du pavot ont atteint un niveau record de 2,3 milliards de dollars, soit1,7 milliards de livres sterling.
Vers 2005, l’armée britannique était en plein mode impérial, impatiente d’avancer vers le sud avec 3 400 soldats et de conquérir la province pachtoune de Helmand. Le commandant britannique, le général David Richards, était catégorique : il ne s’agissait que de gagner les cœurs et les esprits dans quelques villes amicales. Son secrétaire à la Défense, John Reid, espérait que cet objectif serait atteint « sans tirer un seul coup ». Ils se sont amusés à donner à leurs opérations des noms tels que Achilles, Pickaxe-Handle, Sledgehammer Hit, Eagle’s Eye, Red Dagger et Blue Sword.
Tout a mal tourné dans la province de Helmand. L’expédition a dû être secourue par 10 000 Marines étasuniens. Quatre cent cinquante-quatre Britanniques sont morts.
En privé, les Russes, qui avaient été forcés de quitter l’Afghanistan une décennie auparavant, étaient étonnés de l’ineptie des opérations occidentales – et ouvertement ravis. En 2009, Gordon Brown, devenu Premier ministre, a été forcé d’expliquer de manière invraisemblable que les troupes britanniques mouraient à Helmand pour assurer la sécurité des rues britanniques.
Depuis lors, la plupart des pays de l’OTAN se sont retirés, espérant contre toute espérance que la diplomatie sauverait le gouvernement de Kaboul et l’Occident d’une humiliation abjecte. Trois présidents des États-Unis se sont engagés, chacun à leur façon, à accroitre les troupes sur le terrain puis à quitter le pays, mais n’ont pas eu le courage politique de les retirer par la suite. Même Joe Biden a prolongé l’échéance du retrait de mai jusqu’en septembre. Chacun a fait juste assez pour maintenir en place le régime fantoche de Kaboul sans revenir à une occupation à grande échelle.
Les 2 300 soldats étasuniens et leur soutien aérien vont quitter, tout comme les 750 britanniques (comme l’a déclaré une source britannique de haut niveau au Guardian: « s’ils [les États-Unis] partent, nous devrons tous partir »). Pour les États-Unis, le coût a été élevé: 2 216 morts et plus de 2 000 milliards de dollars dépensés. Des milliards en « aide » auraient quitté l’Afghanistan, en grande partie vers le marché immobilier de Dubaï. Le coût pour les civils afghans, estimé entre 50 000 et 100 000 morts au cours des deux décennies, a été épouvantable, le tout en représailles pour avoir « accueilli » les assaillants du 11 septembre. Est-ce ça que nous appelons les valeurs occidentales?
Comme l’a déclaré un haut responsable étasunien cette semaine, lorsque le président Biden a fixé sa nouvelle échéance : « La menace contre la patrie en provenance de l’Afghanistan est à un niveau auquel nous pouvons faire face. » Cela a certainement été le cas depuis des années en Grande-Bretagne comme aux États-Unis, mais nous y sommes toujours.
Les plus récents pourparlers de paix au Qatar ne mènent nulle part. La raison en est évidente : les talibans n’ont qu’à attendre septembre, lorsqu’ils pourront faire ce qu’ils veulent. Le régime actuel peut tenir Kaboul pendant un certain temps, mais s’il peut à peine gouverner avec l’aide étasunienne, il pourra difficilement le faire seul.
Si on les avait laissés tranquilles en 2001, les dirigeants talibans – avec lesquels les services de renseignement des États-Unis étaient déjà en contact – se seraient occupés de Ben Laden. Ils auraient été contenus par leurs chefs de guerre locaux et par l’armée pakistanaise. Au lieu de cela, on a laissé les Pachtounes dévaster le pays pendant deux décennies, financés par les consommateurs d’héroïne occidentaux. Le pire qu’ils aient eu à subir c’est la décimation de leurs hauts dirigeants par des drones étasuniens, ce qui a été absolument sans effet. L’Afghanistan aura besoin de ces personnes pour contenir un autre sous-produit de l’intervention de l’OTAN : le pays est désormais un des foyers d’activité de l’État islamique.
Quels sont les résultats de l’intervention américaine et britannique? Dans son livre The Utility of Force, le général Sir Rupert Smith, théoricien militaire, a souligné que les armées modernes sont presque inutiles dans les guerres de contre-insurrection. Ils ont parcouru le Moyen-Orient, de l’Afghanistan à la Libye, « en créant, l’une après l’autre, des nations en ruine ». La seule justification de la Grande-Bretagne est le cliché éculé du ministère des Affaires étrangères sur le fait d’avoir de l’influence, de dissuader le terrorisme et de se tenir debout dans le monde. Ce sont des inepties néo-impérialistes. Dans un monde d’excuses, de très grosses excuses sont attendues en septembre.
Simon Jenkins est un chroniqueur du Guardian