par Sylvie Paquerot*, lors de la conférence de presse du Collectif Échec à la guerre
le 16 mars 2006
Faut-il rappeler ici que les présomptions états-uniennes concernant les risques de prolifération nucléaire en Irak ne se sont jamais avérées? Que le motif invoqué pour provoquer une situation de guerre, loin d’être résolue d’ailleurs, était non fondé, voire faux?
Il y a lieu, aujourd’hui, d’être inquiet devant une situation qui semble vouloir se répéter, cette fois avec la complicité marquée de l’Europe… Car malheureusement il faut constater que les mêmes éléments de scénario se mettent en place à travers le débat sur la situation du nucléaire en Iran. Ici aussi, les présomptions sont pour le moins floues : en mars 2005, selon le New York Times, (09-03-05) un rapport d’une commission sur le renseignement au président Bush soulignait que les informations sur l’Iran étaient « inadéquates pour permettre un jugement définitif sur le programme d’armes nucléaires de l’Iran ». Et, malgré trois années de recherches intensives, sous l’égide du protocole additionnel du TNP, l’AIEA n’a obtenu aucune preuve de l’existence d’un tel programme… Rappelons d’ailleurs ici que l’Iran a accepté de se soumettre aux conditions d’inspection du Protocole additionnel avant même de l’avoir ratifié, donc sans y être légalement tenu ! Comme dans le cas de l’Irak, on se trouve dans une situation où le fardeau de la preuve est renversé et pratiquement impossible à rencontrer…
En fait, comme dans le cas de l’Irak, aucune infraction n’a pu être constatée, si l’on s’en tient, comme l’AIEA a le devoir de le faire, à une interprétation littérale du TNP. Ici encore un petit rappel : le traité de non-prolifération (TNP) prévoit, dans son article 4, le droit des pays à se doter d’un programme nucléaire civil, donc le droit de mettre en œuvre les techniques d’enrichissement de l’uranium.
Loin de moi l’idée de banaliser ici la menace que représente l’arme nucléaire pour l’humanité mais
… la paix par le droit exige d’abord le respect du droit… par ceux-là même qui l’invoquent
Or, les premiers à ne pas respecter la lettre du TNP sont les puissances nucléaires, avec en tête de liste, les États-Unis. Les principaux pays détenteurs de l’arme atomique n’ont pas mis en œuvre l’engagement d’aller vers leur propre désarmement nucléaire. A l’occasion de la conférence des parties, en 2000, ils s’étaient engagées à respecter un plan de désarmement en treize étapes. Or, cinq ans plus tard, aucune avancée n’a été constatée dans ce domaine, et les États concernés refusent des inspections approfondies de leurs sites. Pire encore, les USA par la Nuclear Posture Review (révision de la stratégie nucléaire) de janvier 2002, ont décidé que les armes nucléaires ne constituent plus une catégorie de l’arsenal américain, mais elles sont intégrées dans l’ensemble des armes offensives. Le président peut par conséquent les utiliser à sa guise, au même titre que n’importe quelle arme, selon la nature de la mission à accomplir.
Comme le signalait Jimmy Carter, dans le Washington Post du 28 mars 2005 (A-17) à la veille de la conférence quinquennale des États parties, « Les USA sont le principal coupable de l’érosion du TNP »
De la même manière, le 11 juin 2005, Greenpeace France affirmait, sur la base d’inspections citoyennes, rendues nécessaires par le fait que l’Agence internationale ne surveille pas véritablement les puissances nucléaires et leur respect du Traité, que « La France bafoue le TNP »
Soyons un peu sérieux : c’est bien le concept de « guerre préventive » qui menace la paix à l’heure actuelle, inventé par les états-uniens aux lendemains du 11 septembre, que semble malheureusement vouloir cautionner l’Europe puisque la stratégie européenne prévoit, sans qu’il soit question de l’aval du Conseil de sécurité, des « interventions en amont rapides et, si nécessaires, robustes », l’UE devant être capable « d’agir avant que la situation (…) ne se détériore » et « lorsque des signes de prolifération sont détectés ». Car « un engagement préventif peut permettre d’éviter des problèmes plus graves dans le futur ».[1]
Cette idée de « guerre préventive » est une menace directe au droit international lui-même et à tout l’édifice, imparfait bien sûr mais qui a le mérite d’exister, construit de peine et de misère depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle se situe elle-même en contravention des règles internationales.
Gendarmes du monde, fort bien, mais l’on sait par expérience, dans nos propres pays, que les « forces de l’ordre » pour conserver la légitimité à leur action, doivent agir selon le droit.
La principale menace à la paix : le deux poids deux mesures
Invoquer le droit, ou le non respect du droit, pour justifier le recours à la force, exigerait, au point de départ, le respect du droit par ceux qui l’invoquent, parce que le deux poids deux mesures n’a jamais apporté la paix, qui nécessite un minimum de « sentiment de justice ». Ici, la liste est trop longue de toutes les atteintes et infractions au droit international qui ne sont et ne seront jamais sanctionnées, notamment quand il s’agit des membres du Conseil de sécurité.
- Parlons du refus de laisser agir les rapporteurs spéciaux de l’ONU à Guantanamo`
- Parlons du non respect des résolutions de l’ONU par Israël
- Parlons du non respect de l’Avis de la Cour internationale de justice concernant l’édification du Mur en Palestine par l’ensemble des pays occidentaux y compris le Canada
En matière de nucléaire parlons du traitement différencié des alliés des États-Unis[2] que sont, entre autres, l’Inde, le Pakistan, Israël, l’Égypte ou la Corée du Sud… Quand on souligne que Tokyo poursuit son programme d’enrichissement de l’uranium, les commentateurs américains répliquent que « l’Iran n’est pas le Japon… Le Japon reconnaît ses voisins, l’Iran ne reconnaît pas Israël », État qui, rappelons-le, refuse de signer le TNP.[3]
Ces comportements des États occidentaux, particulièrement du Conseil de sécurité, fondés sur l’inégalité de traitement, qui alimentent un sentiment d’injustice, constituent non seulement une menace à la paix car ils alimentent les tensions, mais ils contribuent également à décrédibiliser le droit international.
Ils contribuent, de plus, à nourrir les hypothèses d’agenda caché, tel que le contrôle par les puissances occidentales de la production d’énergie nucléaire : que cette hypothèse soit vraie ou fausse n’a plus guère d’importance, du point de vue de ses conséquences sur la paix, à partir du moment où l’inégalité de traitement en nourri la perception.
Pour que le droit puisse contribuer à réduire le nombre de conflits que l’on règle par la force et les armes, au prix de la vie humaine, encore faut-il qu’il soit légitime et donc qu’il s’applique également à tous.
* Sylvie Paquerot m.a./m.ll./ph.d. sciences juridiques et politiques
Professeure associée au département des sciences juridiques – UQAM
Chercheure post-doctorale à la Chaire du Canada en citoyenneté et gouvernance et au Centre d’études et de recherches internationales (Cérium) – Université de Montréal
Chercheure associée au Centre d’études sur le droit international et la mondialisation – Cédim-UQAM, à la Chaire du Canada Mondialisation, citoyenneté et démocratie – UQAM , et à l’Observatoire de recherches internationales sur l’eau – ORIE-Laval
[1] « Une Europe sûre dans un monde meilleur », 15895/03, 8 décembre 2003.
[2] La Corée du Sud et de l’Égypte, alliées de longue date des États-Unis. Les deux pays ont été pris la main dans le sac : ils ont conduit des expérimentations nucléaires secrètes durant plusieurs années. L’AIEA s’est contentée d’une petite remontrance à leur égard (7), et l’on n’a pas spéculé sur le fait que l’un de ces pays « pourrait » un jour construire une arme nucléaire, ou qu’il dispose de facilités non déclarées, pour le priver des droits prévus par le TNP. (7) Bulletin of the Atomic Scientists, janvier-février 2005, vol. 61, no 1, Mont Morris, Illinois.
[3] George Perkovich, « For Tehran, nuclear program is a matter of national pride », YaleGlobal, 21 mars 2005