Sans un accord sur le nucléaire iranien, on risque la guerre (traduction)

Sans un accord sur le nucléaire iranien, on risque la guerre

Les responsables étatsuniens et iraniens semblent obsédés par les coûts du rétablissement de l’accord sur le nucléaire iranien (le Plan d’action global commun ou PAGC), et pourtant les coûts de l’échec d’une entente seraient bien plus élevés.

par Trita Parsi, Responsible Statecraft, 31 mars 2022

Without the Iran nuclear deal, war is on the horizon. 31 mars 2022. Responsible Statecraft

Texte original en anglais [Traduction : Maya Berbery ; révision : Échec à la guerre]

Bien que toutes les parties affirment que les négociations sont « très près » d’aboutir, les pourparlers apparemment interminables avec l’Iran butent sur un nouvel obstacle.

Le principal point de discorde tient à la demande de l’Iran que le corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) soit retiré de la liste étatsunienne des organisations terroristes étrangères (OTE). Une telle radiation aurait peu de conséquences pratiques, mais elle a mis en évidence le principal défi que pose au président Biden un nouvel accord sur le nucléaire : le coût politique de la conclusion de l’accord est-il supérieur au coût de son échec ?

De fait, le retrait de la liste est surtout symbolique pour les deux parties. Comme le souligne Esfandyar Batmanghelidj, la désignation d’OTE n’est qu’une des nombreuses façons de sanctionner le CGRI et de le classer comme organisation terroriste. Même si Biden le retire de la liste des OTE, le CGRI continuera de figurer parmi les organisations considérées comme terroristes par le département du Trésor des États-Unis, une décision prise pour la première fois par Washington en 2007. Les entreprises étrangères hésiteront à faire affaire avec des sociétés associées au CGRI. Les Iraniens ne tireront aucun avantage matériel du retrait de la liste, et les États-Unis ne subiront aucune perte tangible.

Sur le plan politique, toutefois, Téhéran et Washington se sont inutilement engagés dans une impasse. Lors du Forum de Doha, au Qatar, tenu à la fin mars, Kamal Kharazi, l’ancien ministre iranien des Affaires étrangères et actuel conseiller de l’ayatollah Ali Khamenei, le Guide suprême iranien, a déclaré que le CGRI « doit certainement être retiré» de la liste des OTE pour que les négociations sur le nucléaire aboutissent. Revenir sur des déclarations aussi catégoriques serait coûteux.

Parallèlement, ce point litigieux a donné des munitions à ceux qui s’opposent au PAGC au Sénat des États-Unis, où il faut le soutien d’au moins 41 sénateurs pour faire échouer une résolution de désapprobation de l’accord. (Il semble de toute façon très probable que le Congrès étudiera la nouvelle entente en vertu de la loi de 2015 sur l’examen de l’accord sur le nucléaire iranien.)

Mais alors que l’opposition à la radiation de la liste s’accroît malgré l’absence de conséquences pratiques, les partisans de l’accord au Congrès craignent que l’administration Biden, en s’attachant trop aux coûts politiques d’une telle mesure, sous-estime le coût de laisser mourir le PAGC pour des considérations essentiellement symboliques.

Les administrations Raisi et Biden semblent toutes deux commettre cette même erreur. Les conversations récentes que j’ai eues avec des acteurs de la région et des États-Unis m’ont fait réaliser que le risque d’escalade vers une confrontation militaire est plus élevé que ce que beaucoup à Washington ont supposé — moi y compris.

Rares sont ceux qui pensent que Téhéran s’abstiendra d’étendre son programme nucléaire si les pourparlers échouent. L’administration Biden a déjà clairement indiqué que, dans un tel scénario, elle n’aurait d’autre choix que d’augmenter la pression sur l’Iran. Une possibilité serait de condamner l’Iran au Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et de porter l’affaire devant le Conseil de sécurité de l’ONU. À ce moment-là, me disent des sources iraniennes, Téhéran expulserait tous les inspecteurs de l’AIEA et leur refuserait l’accès aux sites nucléaires iraniens.

Au Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie exercerait probablement son véto sur toute nouvelle résolution contre l’Iran. Les membres de l’Union européenne, cependant, pourraient alors déclencher le rétablissement des sanctions comme le prévoit la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU, la résolution qui a entériné et rendu contraignant le PAGC en 2015. Ni la Russie ni la Chine ne peuvent exercer leur véto sur cette résolution, ce qui soumettrait une fois de plus Téhéran à des sanctions en vertu du chapitre 7 du Conseil de sécurité de l’ONU.

Selon Nasser Hadian, un éminent universitaire iranien très proche des responsables de la sécurité nationale iranienne, Téhéran a déjà prévu ce scénario et réagirait en notifiant son intention de se retirer du Traité sur la non-prolifération d’armes nucléaires (TNP). Après la période de préavis obligatoire de trois mois, l’Iran ne serait plus lié par aucune des restrictions que le traité lui impose, notamment l’engagement de ne pas fabriquer d’armes nucléaires. À ce moment-là, selon M. Hadian, l’Iran pourrait adopter une politique d’« ambiguïté créative », un jeu de mots qui reprend la formule israélienne d’« ambiguïté stratégique » sur le nucléaire. Sans accès direct au programme nucléaire iranien, le monde devra se demander si l’Iran est en train de fabriquer une bombe. Et, quelques mois plus tard, le monde se demandera si l’Iran en a déjà construit une.

Il va sans dire que Washington percevrait une telle mesure de la part de l’Iran comme une provocation et une escalade majeures, peut-être sans précédent. Les États-Unis répondraient probablement à la notification de l’Iran de se retirer du TNP par un scénario militaire crédible, qui comprendrait vraisemblablement le déplacement de forces opérationnelles de porte-avions dans le golfe Persique. Les tensions monteraient en flèche. Une seule étincelle ou une simple erreur de calcul pourrait alors suffire à déclencher une guerre.

Et contrairement aux attentes antérieures de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, l’Iran a déjà déclaré son intention de lancer des missiles balistiques contre ces pays dans les 48 heures suivant les premières frappes militaires entre les États-Unis et l’Iran, selon M. Hadian. Cette décision a également été communiquée à Riyad et à Abu Dhabi, affirme-t-il.

Même si les États-Unis évitent la voie des Nations unies, les autres moyens pour faire pression sur l’Iran comportent également des risques d’escalade importants. Une option à la disposition de Biden consisterait à recourir à des navires de guerre étatsuniens pour intercepter et saisir des pétroliers iraniens en haute mer, puis à vendre leur cargaison afin d’étouffer les revenus d’exportation de l’Iran sans restreindre l’approvisionnement mondial en pétrole. Bien qu’il serait difficile d’y voir autre que de la piraterie, une telle opération est loin d’être inconcevable : l’administration Biden a déjà saisi un pétrolier, vendu le pétrole et empoché les recettes.

Dans la mesure où les possibilités qu’a Biden d’imposer de nouvelles sanctions sont limitées, il s’agirait là d’un moyen patent d’accroître la pression. Téhéran dispose actuellement de 25 millions de barils de pétrole stockés dans des réservoirs loués. Le cours du pétrole variant de 90 à 110 dollars le baril, cette réserve représente de 2,3 à 2,7 milliards de dollars, soit l’équivalent de la moitié des fonds iraniens actuellement gelés dans des banques étrangères. Une opération de cette nature provoquerait très probablement une riposte iranienne. Les représailles pourraient inclure des attaques contre les troupes étatsuniennes en Irak, que l’administration Biden traiterait vraisemblablement comme une déclaration de guerre, même si elles étaient menées par des milices irakiennes alignées sur l’Iran et non directement par l’Iran.

Il se peut très bien que ce soit là un bluff de l’Iran. Il se peut que ces décisions n’aient pas été prises. Et même si elles l’étaient, elles peuvent toujours être modifiées. On ne peut affirmer que ces scénarios sont inévitables. Une chose est claire en revanche : ni l’Iran ni les États-Unis ne peuvent accroître les pressions exercées l’un sur l’autre advenant un échec des pourparlers sur le PAGC sans risquer une escalade dangereuse, et même un conflit armé. La principale raison de l’absence d’une telle escalade à l’heure actuelle est précisément l’espoir que le PAGC puisse encore être relancé.

Par conséquent, l’échec de l’accord sur le nucléaire conduirait très probablement à une escalade imprévisible et peut-être incontrôlable, et presque certainement à une flambée des prix du pétrole et du gaz, quelques mois seulement avant les élections de mi-mandat de novembre. Les coûts politiques pour les administrations Biden et Raisi seraient colossaux. Les coûts politiques, tant pour les États-Unis que pour l’Iran, de la radiation du CGRI ou de l’abandon de la demande de radiation, respectivement, sont bien peu de chose en comparaison.

Trita Parsi est spécialiste des relations entre les États-Unis et l’Iran, de la politique étrangère iranienne et de la géopolitique du Moyen-Orient. Il est vice-président exécutif du Quincy Institute for Responsible Statecraft. Il est cofondateur et ancien président du National Iranian American Council.