Par Patrick Cockburn, London Review of Books, Vol. 37, No 21
[Traduction : Gilles Rivet; Révision : Denise Babin]
L’équilibre des forces militaires en Syrie et en Iraq est en train de changer. Les frappes aériennes que la Russie effectue depuis la fin de septembre rehaussent et renforcent le moral de l’armée syrienne, qui semblait vaincue plus tôt cette année et qui se retirait. Avec l’appui de l’aviation russe, elle prend maintenant l’offensive à Alep, la deuxième ville du pays, et alentours, et tente de reprendre le terrain perdu dans la province d’Idlib. On dit que, sur le terrain, les commandants syriens relaient chaque jour à la force aérienne russe les coordonnées de 400 à 800 cibles; seule une mince proportion, toutefois, sont attaquées immédiatement. Si les chances que tombe le gouvernement de Bachar al-Assad diminuaient de plus en plus – même si beaucoup disaient le contraire –, aujourd’hui elles ont disparu. Ce qui ne veut pas dire qu’il va gagner.
En plus de déclencher une vague de rhétorique typique de la guerre froide de la part des dirigeants et des médias occidentaux, le coup de théâtre de l’intervention militaire russe a détourné l’attention d’un autre développement tout aussi important dans la guerre en Syrie et en Iraq, soit l’incapacité de la campagne aérienne des États-Unis – lancée en Iraq en août 2014 puis étendue à la Syrie – à affaiblir l’État islamique (EI) et les autres groupes de type Al-Qaïda au cours de la dernière année. Avant octobre, les É.-U. avaient mené 3 231 frappes en Iraq et 2 487 en Syrie, soit la plupart des 7 323 frappes effectuées en tout par la coalition qu’ils dirigent. L’échec est lamentable, l’intervention n’ayant pas réussi à contenir l’EI qui, en mai, s’est emparé de Ramadi en Iraq, et de Palmyre en Syrie. La coalition a lancé beaucoup moins d’attaques contre Jabhat al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaïda) et le groupe islamiste extrême Ahrar al-Sham, les deux groupes qui dominent l’insurrection dans le nord de la Syrie. L’échec est politique autant que militaire : les É.-U. ont besoin de partenaires au sol qui se battent contre l’EI, mais leur choix est limité parce que ceux qui combattent en ce moment les djihadistes sunnites sont principalement des chiites – l’Iran, l’armée syrienne, le Hezbollah, les milices chiites en Iraq – auxquels les É.-U. ne peuvent offrir une coopération pleine et entière, car cela leur aliénerait les États sunnites qui forment l’assise rocheuse de leur puissance dans la région. L’aviation américaine ne peut donc appuyer que les Kurdes.
Les É.-U. sont confrontés au même dilemme qu’après le 11 septembre, lorsque George Bush a déclaré la guerre au terrorisme. On avait alors appris que 15 des 19 pirates de l’air étaient Saoudiens, qu’Oussama ben Laden était Saoudien et que l’attentat avait été financé par des Saoudiens. Or, pour les É.-U., pas question de poursuivre Al-Qaïda aux dépens de leurs relations avec les États sunnites. Ils ont donc atténué leur critique de l’Arabie saoudite et envahi l’Iraq; de la même façon, ils n’ont jamais confronté le Pakistan, qui appuyait pourtant les talibans, de sorte que ce mouvement a été en mesure de se regrouper après avoir perdu le pouvoir en 2001.
Par souci de minimiser l’échec de son intervention aérienne, appelée officiellement Opération Inherent Resolve, Washington a exagéré les succès prétendument remportés. L’administration a présenté aux médias des cartes montrant que l’EI avait perdu de son emprise sur 25 à 30 pour cent de son territoire, omettant par contre de montrer les régions de la Syrie où l’EI avançait. Elle a tellement supprimé ou manipulé de renseignements qu’en juillet dernier les analystes travaillant pour le US Central Command ont dénoncé par lettre la distorsion des événements sur le champ de bataille. Aujourd’hui, la Russie profite du fait que les États-Unis n’ont pas réussi à supprimer les djihadistes.
Or la rivalité entre grandes puissances ne constitue qu’une des confrontations en cours en Syrie. La fixation sur l’intervention russe passe sous silence d’autres développements importants. Si la lutte régionale entre chiites et sunnites a peu retenu l’attention à l’extérieur, elle ne s’en est pas moins intensifiée au cours des dernières semaines. Les États chiites du Moyen-Orient, notamment l’Iran, l’Iraq et le Liban, n’ont jamais douté que leur lutte vise à en finir avec les États sunnites dirigés par l’Arabie saoudite et ses alliés en Syrie et en Iraq. Les chiites rejettent l’idée – par ailleurs privilégiée à Washington – voulant qu’il existe une opposition sunnite appréciable, non sectaire et disposée à partager le pouvoir à Damas et à Bagdad. À leurs yeux, ce n’est là que pure propagande des médias soutenus par les Saoudiens et les Qataris. Quand il s’agit de maintenir Assad au pouvoir à Damas, l’engagement accru des puissances chiites a autant d’importance que l’engagement des avions russes. Pour la première fois, la Garde révolutionnaire iranienne a déployé des unités en Syrie, surtout autour d’Alep. De plus, selon divers rapports, quelque mille combattants d’Iran et du Hezbollah attendent l’ordre d’attaquer par le nord. Quelques hauts gradés militaires iraniens seraient morts récemment au combat. La mobilisation de l’axe chiite est significative parce que, même si le monde musulman compte globalement plus de sunnites que de chiites, les quatre pays les plus engagés dans le conflit régional – Iran, Iraq, Syrie et Liban – ne comptent que 30 millions de sunnites, dont la majorité sont en Syrie, comparés à plus de 100 millions de chiites qui croient que la chute d’Assad mettrait en péril leur existence même.
S’ajoutant à la rivalité russo-américaine et à la lutte entre chiites et sunnites, un troisième facteur contribue de plus en plus à façonner la guerre. C’est la lutte que mènent 2,2 millions de Kurdes (10 pour cent de la population syrienne) pour créer, dans le nord-est de la Syrie, un micro-État kurde que les Kurdes appellent Rojava. Depuis que l’armée syrienne s’est retirée des trois enclaves kurdes, à l’été 2012, les Kurdes ont eu des succès militaires retentissants. La zone qu’ils contrôlent maintenant s’étend sur 400 km entre le Tigre et l’Euphrate, le long de la frontière sud de la Turquie. Le dirigeant kurde syrien Salih Muslim m’a dit en septembre que les forces kurdes avaient l’intention d’avancer à l’ouest de l’Euphrate, de s’emparer du dernier poste frontalier avec la Turquie, contrôlé par l’EI à Jarabulus, et de faire le lien avec l’enclave kurde de Syrie à Afrin. Pour la Turquie, une telle perspective serait l’horreur, car elle se trouverait tout à coup coincée par des forces kurdes appuyées par l’aviation américaine le long d’une grande partie de sa frontière sud.
Les Kurdes de Syrie disent que leurs Unités de protection populaires (UPP) comptent cinquante mille hommes et femmes en armes (bien qu’au Moyen-Orient il convienne de diviser par deux les forces militaires annoncées). Les UPP sont les seules à avoir vaincu l’EI à répétition, y compris durant la longue bataille pour la prise de Kobané, qui a pris fin en janvier. Bien qu’elles soient légèrement armées, les UPP sont d’une grande efficacité lorsqu’elles coordonnent leurs attaques avec celles de l’aviation américaine. Les Kurdes exagèrent peut-être la force de leur position. À l’exception de la côte de la Méditerranée, Rojava est la région la plus sûre de la Syrie; cela donne la mesure de l’insécurité chronique qui règne dans le reste du pays; même au centre de Damas, qui est sous contrôle gouvernemental, des obus de mortier lancés depuis les enclaves de l’opposition explosent quotidiennement. La première ligne est très longue et très poreuse, l’EI peut aisément s’infiltrer et lancer des attaques-surprises. En septembre, alors que je roulais de Kobané vers Qamishli, une autre grande ville kurde, sur une route censée être sûre, on m’a arrêté dans un village arabe; les soldats des UPP disaient être à la recherche de cinq ou six combattants de l’EI aperçus dans la zone. Quelques kilomètres plus loin, dans la ville de Tal Abyad, que les UPP avaient reprise à l’EI en juin, une femme sortie de chez elle en courant a attiré l’attention de l’auto-patrouille qui me précédait. Elle disait avoir tout juste vu un combattant de l’EI vêtu de noir, barbu, traverser sa cour. D’après la police, l’EI avait encore des hommes dans la ville, cachés dans les maisons arabes abandonnées. Trente minutes plus tard, nous traversions Ras al-Ayn, sous contrôle kurde depuis deux ans, lorsqu’ont retenti devant nous ce qui m’a semblé des tirs. Mais c’était un kamikaze. Il s’était fait exploser dans son auto au poste de contrôle suivant, tuant cinq personnes. Au même moment, au poste de contrôle que nous venions de franchir, un motard déclenchait sa bombe. Mais il fut la seule victime. L’EI a peut-être été évincé de ces zones, par les UPP, mais il n’est pas loin.
Ces quatre dernières années, on a annoncé d’innombrables victoires et défaites sur le champ de bataille d’Iraq et de Syrie. Mais peu ont été décisives. Entre 2011 et 2013, en Occident et dans une grande partie du Moyen-Orient, il semblait acquis et fondé qu’Assad allait être renversé, comme Kadhafi l’avait été. À la fin de 2013 et durant toute l’année 2014, il était clair qu’Assad contrôlait encore la plupart des zones peuplées. Mais depuis les avancées djihadistes de mai dernier, dans le nord et l’est de la Syrie, l’effritement du régime est à nouveau évoqué. Or, en réalité, ni le gouvernement ni ses opposants ne risquent de s’effondrer. Chacune des parties a de nombreux supporters prêts à mourir au combat. C’est une véritable guerre civile. Il y a quelques années, à Bagdad, un politicien iraquien m’a dit que « le problème en Iraq est que les parties sont à la fois trop fortes et trop faibles. Trop fortes pour être vaincues, mais trop faibles pour gagner ». Sa formule s’applique aujourd’hui en Syrie. S’il survient une défaite temporaire, les supporters étrangers accourent à la rescousse : comme l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie venus en 2014 secourir la portion non-EI de l’opposition syrienne qui déclinait; et comme la Russie, l’Iran et le Hezbollah sont venus au secours d’Assad, cette année. Des deux côtés, il y a trop à perdre. Après être restée 20 ans en retrait, la Russie est en quête de succès en Syrie, tandis que les chiites n’oseront jamais permettre un triomphe sunnite.
On ne sortira pas aisément de l’impasse militaire. Les lignes de front allant de la Méditerranée à l’Iran délimitent un immense terrain de bataille. Un nouvel équilibre des pouvoirs dans la région résultera-t-il de l’entrée en scène des avions russes ? La Russie sera-t-elle plus efficace que les É.-U. et leurs alliés ? Pour qu’une force aérienne soit efficace, même si elle est munie d’armes de précision, il lui faut un partenaire militaire bien organisé sur le terrain pour identifier les cibles et lui en relayer les coordonnées. C’est de cette façon que les É.-U. ont appuyé l’Alliance du Nord contre les talibans en Afghanistan in 2001, et les Peshmerga iraquiens contre l’armée de Saddam dans le nord de l’Iraq en 2003. En coopérant avec l’armée syrienne, la Russie espère maintenant connaître le même succès; certains signes pointent dans cette direction. Le 18 octobre dernier, des observateurs indépendants auraient vu des avions, apparemment russes, détruire un convoi de 16 véhicules de l’EI et abattre 40 combattants près de Raqqa, la capitale syrienne de l’État islamique.
Mais, pour vaincre, l’appui des avions russes ne suffira pas. Car l’EI et les autres groupes de type Al-Qaïda, qui affrontent les armées américaine, iraquienne et syrienne depuis des années, en ont tiré une formidable expertise militaire. Entre autres tactiques, leurs bombes humaines lancent des attaques à coordination multiple, parfois au volant de camions blindés chargés de tonnes d’explosifs, et ils utilisent massivement les pièges et les engins explosifs improvisés (EEI). L’EI insiste à la fois sur l’entraînement prolongé et l’enseignement religieux; ses tireurs d’élite savent rester immobiles pendant des heures lorsqu’ils cherchent une cible. Comme une guérilla, l’EI mise sur l’attaque-surprise et la diversion pour forcer ses ennemis à demeurer sur le qui-vive.
*
Ces trois dernières années, j’ai compris que, pour apprendre ce qui se passe réellement dans cette guerre, le mieux est de visiter les hôpitaux militaires. La plupart des soldats blessés, témoins des combats, en ont ras-le-bol d’être convalescents, ils ne demandent pas mieux que de parler de leur expérience. En juillet, j’étais à Karbala, la ville sainte chiite. Là, l’hôpital universitaire Hussein a réservé une aile aux blessés de la milice chiite des Hashid Shaabi. Beaucoup parmi eux avaient répondu à l’appel aux armes que le Grand Ayatollah Ali Sistani avait lancé l’an dernier après que l’EI eut capturé Mossoul. Le colonel Salah Rajab, le commandant adjoint du bataillon Habib de la brigade Ali Akbar, venait d’être amputé sous le genou droit. Après 16 jours de combat à Baiji, une ville sur le Tigre située à proximité de la principale raffinerie iraquienne de pétrole, un obus de mortier était tombé près de lui, faisant deux victimes et quatre blessés parmi ses hommes. Je lui ai demandé quelles étaient les faiblesses des Hashid. Ils sont enthousiastes, a-t-il répondu, mais mal entraînés. Il parlait avec autorité, à juste titre. Soldat de carrière de l’armée iraquienne, il a démissionné en 1999. Ses hommes ne reçoivent que trois mois d’entraînement, se plaignait-il, alors qu’il en faudrait le double; entre autres erreurs coûteuses, ils sont trop bavards dans leurs cellulaires et postes radio de campagne. L’EI capte ces communications, et l’information ainsi interceptée lui permet d’infliger de lourdes pertes. D’après le colonel Rajab, le principal handicap de la milice Hashid, qui compte probablement cinquante mille hommes, est qu’elle manque de commandants d’expérience capables d’organiser une attaque et de réduire les pertes au minimum.
Dans un autre lit de la même salle reposait Omar Abdullah, un milicien volontaire de 18 ans. Il était parti combattre à Baiji après seulement 25 jours d’entraînement. L’explosion d’une bombe lui avait brisé un bras et une jambe. Son récit confirmait les dires du colonel Rajab. Enthousiastes, mais inexpérimentés, les miliciens tombent dans les pièges tendus par l’EI et ils subissent de lourdes pertes. À son arrivée à Baiji, a raconté Abdullah, « les tireurs d’élite nous tiraient dessus, nous avons cherché refuge dans une maison. Nous étions treize; aucun de nous n’a réalisé que la maison était bourrée d’explosifs. » Un combattant de l’EI surveillait la maison et l’a fait exploser, tuant neuf miliciens et blessant les quatre autres. Des soldats d’expérience aussi sont victimes de ce type de piège. Toujours dans la même salle, un spécialiste de la neutralisation d’engins explosifs m’a raconté qu’un pont en bois surplombant un canal lui avait semblé suspect. Il était en train de l’examiner lorsqu’un de ses hommes, mettant le pied sur le pont, avait déclenché une bombe qui avait fait quatre victimes et trois blessés au sein de l’équipe de neutralisation.
Les types de blessures reflètent les genres de combats. La plupart se déroulent dans les villes ou les zones habitées, maison après maison, et causent des pertes énormes. Des soldats syriens, kurdes et iraquiens ont expliqué avoir été atteints par un tireur d’élite alors qu’ils œuvraient dans un poste de contrôle, ou avoir été blessés par une mine ou un piège. En mai dernier, à l’hôpital Shahid Khavat de Qamishli, une grande ville du nord-est de la Syrie, un jeune combattant kurde des UPP, âgé de 18 ans, m’a raconté avoir été atteint à l’épine dorsale alors que son escadron chassait les combattants de l’EI d’un village chrétien, près de Hasaka. « Répartis en trois groupes nous tentions d’attaquer le village quand une fusillade intense venue de derrière et des arbres de chaque côté nous a atteints. » Ce jeune était encore traumatisé ayant appris que le bas de son corps allait demeurer paralysé.
Il n’y a pas que les blessures qui mettent en péril la vie des soldats. En 2012, à l’hôpital militaire Mezze, à Damas, j’ai rencontré Mohammed Diab, un soldat de l’armée syrienne âgé de 21 ans. L’année précédente, à Alep, une balle lui avait démoli le bas de la jambe gauche. Après avoir récupéré, il était retourné à Rahiya, son village, dans la province d’Idlib. C’était imprudent; son village était passé aux mains de l’opposition. Apprenant qu’il y avait dans le village un soldat blessé de l’armée gouvernementale, les occupants ont pris Mohammed en otage et l’ont détenu pendant cinq mois. Ils ont même vendu son attelle métallique et l’ont remplacée par un morceau de bois qu’il devait sangler sur sa jambe. Finalement, sa famille a versé une rançon d’une valeur de 1 000 $, mais sa jambe s’était infectée et il a dû retourner à l’hôpital.
Dans un sens, j’ai parlé aux plus chanceux; au moins ces soldats et combattants avaient-ils un hôpital où aller. À Kobané, les sept cents frappes aériennes américaines, qui ont détruit 70 pour cent des bâtiments, ont dû faire des milliers de blessés dans les rangs de l’EI. À Damas, les barils d’explosifs et l’artillerie gouvernementale ont retourné à l’état de gravats des quartiers entiers sous contrôle de l’opposition. Depuis mars 2011, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, 250 124 Syriens ont été tués, et le nombre de blessés est estimé à deux millions, pour une population de 22 millions d’habitants. Le pays est saturé de violence. En septembre, je suis allé à Tal Tamir, à l’extérieur de la ville de Hasaka, près de l’endroit où Javad Judy a été abattu. L’État islamique s’était retiré, mais les gens étaient encore trop terrifiés pour rentrer chez eux – quand leur maison était encore debout. Un représentant local a dit tenter de persuader les réfugiés de rentrer, mais leur réticence n’avait rien d’étonnant : la semaine précédente une femme arabe, apparemment enceinte, avait été arrêtée dans le marché de Tal Tamir. C’était en fait une kamikaze qui n’avait pas réussi à déclencher les explosifs sanglés sur son ventre, sous ses robes noires.
En Iraq et en Syrie, le statu quo demeure. Par contre, l’intervention russe, la montée des Kurdes syriens et l’engagement accru de l’Iran et des puissances chiites pourraient le modifier. Avec la présence russe, il est moins probable que la Turquie intervienne militairement contre les Kurdes et le gouvernement de Damas. Toutefois, si les Russes, l’armée syrienne et leurs alliés veulent changer le cours de la guerre civile, il leur faut une importante victoire – par exemple, la capture de la moitié d’Alep encore aux mains des rebelles. D’une part, Assad ne voudra jamais que ses unités de combat expérimentées se retrouvent coincées dans le genre de combats, rue par rue, que les soldats blessés des hôpitaux ont décrits. D’autre part, l’intervention aérienne russe a un avantage sur l’intervention aérienne américaine : elle vient appuyer une armée régulière efficace. Les É.-U. n’ont jamais osé attaquer l’EI lorsque celui-ci combattait l’armée syrienne, Washington ne voulant pas être accusé de maintenir Assad au pouvoir. Cette approche a laissé les É.-U. sans alliés réels sur le terrain, à part les Kurdes qui ont une efficacité limitée en dehors des zones à majorité kurde. La faiblesse paralysante de la stratégie É.-U. en Iraq comme en Syrie a été de prétendre à l’existence, ou la possibilité, d’une « opposition sunnite modérée ». Les Américains ont beau dénoncer vertement l’intervention russe, certains à Washington savent discerner un avantage : la Russie fait ce que les É.-U. ne peuvent pas faire eux-mêmes. Entre-temps, la Grande-Bretagne se débat avec la perspective de se joindre à l’intervention aérienne dirigée par les É.-U., sans tenir compte du fait que leur principal objectif est déjà un échec.
Le 23 octobre 2015