2019-07-09: Entrevue «Ce n’est une surprise pour personne» : les sanctions et les propos belliqueux des États-Unis ont mené à la reprise de l’enrichissement de l’uranium en Iran

« Ce n’est une surprise pour personne » : les sanctions et les propos belliqueux des États-Unis ont mené à la reprise de l’enrichissement de l’uranium en Iran

Democracy Now!, 9 juillet 2019. ENTREVUE

Texte original en anglais – [Traduction : Claire Lapointe ; révision : Échec à la guerre]

INVITÉ : Trita Parsi, vice-président exécutif du Quincy Institute.

À la suite de la décision de l’administration Trump de se retirer de l’accord nucléaire iranien, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a confirmé lundi que l’Iran a commencé à enrichir de l’uranium à un niveau supérieur à celui convenu dans l’accord nucléaire de 2015. L’Iran a menacé de continuer à augmenter sa production d’uranium enrichi si les signataires européens de cet accord n’aident pas à atténuer l’impact des sanctions exercées par les États-Unis. Nous discutons avec Trita Parsi, vice-président directeur du nouveau groupe de réflexion, le Quincy Institute, et auteur de « Losing an Enemy: Obama, Iran, and the Triumph of Diplomacy » (Perdre un ennemi : Obama, l’Iran et le triomphe de la diplomatie).

 Transcription

AMY GOODMAN: Ici Amy Goodman et Juan González de Democracy Now!

JUAN GONZÁLEZ : Les retombées de la décision du président Trump de se retirer de l’accord nucléaire iranien ne cessent de croître. Lundi, l’Agence internationale de l’énergie atomique a confirmé que l’Iran avait commencé à enrichir de l’uranium au-delà du niveau convenu dans l’accord nucléaire de 2015. Cette décision de l’Iran fait suite aux sanctions étasuniennes dévastatrices qui ont été renforcées, même si l’Iran avait respecté les termes de l’accord.

AMY GOODMAN : L’Iran a menacé de continuer à augmenter sa production d’uranium enrichi si les signataires européens de l’accord nucléaire n’aident pas à atténuer l’impact des sanctions des États-Unis. Un diplomate français de haut rang se rend aujourd’hui [9 juillet 2019 – NdT) à Téhéran pour discuter de la situation, pour essayer de la désamorcer. Par ailleurs, l’Iran a reproché à la Grande-Bretagne d’avoir saisi un pétrolier iranien la semaine dernière.

Trita Parsi, vice-président directeur du nouveau groupe de réflexion, le Quincy Institute, se joint à nous. Son dernier livre s’intitule Losing an Enemy : Obama, Iran, and the Triumph of Diplomacy.

Bienvenue de nouveau à Democracy Now! Quelle importance accordez-vous à ce qui se passe à la suite du retrait du président Trump de l’accord nucléaire iranien, de ce diplomate français qui se rend en Iran, de la saisie du pétrolier iranien et de l’Iran qui continue à enrichir l’uranium?

TRITA PARSI : C’était parfaitement prévisible. Personne ne pouvait s’attendre à ce que Donald Trump se retire de cet accord, le viole, force les autres à le violer et que les Iraniens, eux, allaient s’y conformer éternellement. Ce n’est donc une surprise pour personne. Ce qui est étonnant, par ailleurs, c’est qu’il aura fallu un an aux Iraniens pour y réagir en adoptant certaines mesures.

Je tiens à préciser que ces mesures ne donneront rien de bon. En premier lieu, cette situation ne devrait même pas exister. Pour l’instant, ces mesures ne représentent pas un risque de prolifération important. Ce sont de petits pas qui sont facilement réversibles. Et ils visent manifestement à signaler aux Européens qu’ils doivent respecter l’accord plutôt que de s’en tenir à des déclarations politiques en sa faveur. Reste à voir si cela fonctionnera ou non.

C’est curieux que les Français se rendent à Téhéran. Ils devraient plutôt venir à Washington où se situe le problème, et tenter de convaincre l’administration Trump de cesser de sanctionner les pays qui respectent une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

JUAN GONZÁLEZ : Eh bien, Trita, certains spécialistes étasuniens ont estimé que le temps nécessaire à l’Iran pour accumuler suffisamment de matières fissiles pour fabriquer une bombe, ce que l’on appelle la ‘période critique’ (breakout time), serait de deux ou trois mois. Qu’en pensez-vous?

TRITA PARSI : Je n’ai pas vu d’estimation crédible qui permettrait d’en arriver à cette conclusion. En vertu de l’accord, la ‘période critique’ était strictement ramenée à un an au minimum. Rien n’a vraiment changé du côté des Iraniens. Même s’ils ont un peu plus d’uranium faiblement enrichi (LEU) que ce qui est permis par l’accord, cela ne change pas grand-chose à la situation. Je suis donc plutôt sceptique à l’égard de cette analyse qui semble s’apparenter au type d’exagération des menaces que pratique l’administration Trump, en vue d’amener ce sujet vers une confrontation.

AMY GOODMAN : Que pouvez-vous nous dire au sujet de l’importance de la prise du pétrolier par la Grande-Bretagne, apparemment à la demande des États-Unis?

TRITA PARSI : C’est un geste sans précédent. La légalité de cette pratique est tout à fait discutable. L’ancien Premier ministre suédois a tweeté à ce sujet, l’autre jour, soulignant que même s’il y avait des sanctions exercées par les Européens, l’Europe ne les impose pas d’une manière extraterritoriale. Alors que c’est ce que font les États-Unis depuis deux décennies. Les Européens n’imposent pas leurs propres lois à d’autres pays hors de leur territoire.

Aujourd’hui, nous faisons manifestement face à une escalade. Certains pétroliers britanniques ne se sentent plus en sécurité lorsqu’ils se rendent dans le golfe Persique, car certains interlocuteurs iraniens ont déclaré qu’ils se vengeraient en confisquant un pétrolier sous bannière britannique.

Tout cela ne présage assurément rien de bon, mais nous devons nous rappeler que cette situation est attribuable à Donald Trump qui a monté en épingle un problème qui n’en était pas un. Cette question était réglée. Tout allait bien. Les Iraniens respectaient l’accord. Nous vivons cette situation de crise uniquement en raison de la très mauvaise décision des États-Unis de se retirer de l’accord nucléaire.

JUAN GONZÁLEZ : Quelles sont les conséquences de ces sanctions sur l’Iran, en particulier sur le système bancaire du pays?

TRITA PARSI : Vous ne pouvez pas sanctionner le système bancaire d’un pays et vous attendre à cela n’affecte pas tout le reste. Tout passe par le système bancaire. Par conséquent, les sanctions que l’administration Trump a imposées à l’Iran, en violation d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, ont un effet dévastateur sur l’économie iranienne. Et comme d’habitude, ce sont les plus pauvres qui paient le prix fort, parce qu’ils ne peuvent se protéger de ce type de contraintes et de sanctions. L’administration Trump le reconnaît elle-même, 80 à 90 % de l’économie iranienne subit déjà d’une façon ou d’une autre les conséquences des sanctions américaines. Il s’agit donc manifestement d’un système de pénalités parmi les plus larges dans toute l’histoire des sanctions, très loin du type de sanctions ciblées dont il est souvent question. Il est clair que cette mesure, loin d’être ciblée, touche tous les Iraniens, et davantage les personnes les plus pauvres.

AMY GOODMAN : La semaine dernière, le président Trump a écrit l’histoire en entrant en Corée du Nord et en poursuivant les négociations avec son dirigeant, même si ce pays s’est permis de lancer des missiles. Beaucoup l’ont salué comme la manifestation d’une réelle diplomatie. Pensez-vous que Trump n’adopte pas la même approche à l’égard de l’Iran parce que la Corée du Nord possède des armes nucléaires? La leçon à tirer pour l’Iran ne serait-elle pas que si vous obtenez des armes nucléaires, vous serez traité avec diplomatie?

TRITA PARSI : Il est évident que si les Iraniens possédaient des armes nucléaires, Trump aurait adopté une approche très différente. C’est une attitude dangereuse. Par sa position sur cette question comme sur d’autres enjeux, l’administration Trump signale à de nombreux pays que les États-Unis sont imprévisibles, que nous sommes dangereux, que nous ne sommes pas dignes de confiance et qu’ils doivent se trouver une façon de se protéger de nous. Et malheureusement, beaucoup de pays pourraient conclure qu’ils ont besoin d’une certaine forme de dissuasion nucléaire. C’est bien la dernière chose qu’on souhaite.

AMY GOODMAN : Trita Parsi, nous devons maintenant conclure cette entrevue. Nous vous remercions infiniment. C’étaient Amy Goodman et Juan González.