L’agresseur n’est pas l’Iran, mais les États-Unis
Si une guerre éclate, ce ne sera pas parce que l’administration Trump aura fait un faux pas
par Khury Petersen-Smith, 15 juillet 2019, publié sur Foreign Policy In Focus
Texte original en anglais – [Traduction : Maya Berbery; révision : Échec à la guerre]
Il est difficile de se retrouver dans les tensions actuelles entre les États-Unis et l’Iran.
Le 10 juillet, sur Twitter, le président Trump a de nouveau accusé l’Iran d’avoir violé l’accord sur le nucléaire conclu sous l’administration Obama et a promis d’accroître « substantiellement » les sanctions étasuniennes.
Dans les médias, les manchettes — comme celle, récente, du New York Times « With a New Threat, Iran Tests the Resolve of the U.S. and Its Allies » — laissent clairement entendre que l’Iran est l’agresseur et qu’il exacerbe par ses actions les tensions au Moyen-Orient.
Cette vision des choses est alimentée par des responsables de l’administration Trump, notamment Brian Hook, représentant spécial pour l’Iran, John Bolton, conseiller à la sécurité nationale et partisan de longue date d’une invasion de l’Iran, et d’autres représentants de la droite comme Tom Cotton, sénateur de l’Arkansas. Ce dernier a déclaré dans une interview accordée à Fox News Sunday que l’Iran s’est résolument engagé dans une escalade du conflit, escalade qui justifierait selon lui des frappes aériennes des États-Unis.
En juin, des représentants de l’administration ont fait la grave allégation que l’Iran avait attaqué deux navires de marchandises dans le golfe d’Oman — pour voir ensuite ces allégations récusées par le capitaine de l’un des navires attaqués. À cela a succédé une semaine de mouvements annonciateurs d’une intervention militaire, qui s’est conclue par la démission du secrétaire intérimaire à la Défense mis à mal par des très graves allégations de violence conjugale.
L’Iran a abattu un drone américain de surveillance, affirmant qu’il se trouvait dans son espace aérien, alors que cette version était contestée par les États-Unis. Le président américain a riposté en ordonnant des frappes aériennes contre l’Iran, pour se rétracter ensuite et présumément éviter in extremis la mort de 150 Iraniens, ce qui aurait grandement intensifié le conflit.
Tout au long de cette saga, Trump, son secrétaire d’État et d’autres responsables de l’administration ont martelé cette phrase : « Nous ne voulons pas la guerre ». Si tel est bien le cas — que les États-Unis sont soucieux d’éviter un conflit armé malgré la prétendue hostilité de l’Iran et sa responsabilité unilatérale dans l’escalade des tensions — alors l’instabilité et l’incompétence de l’administration Trump peuvent faire craindre le pire. Les critiques dans les médias et au Congrès de même que les candidat-e-s démocrates à la présidence ont mis en garde contre une administration qui pourrait « trébucher » dans une guerre.
Mais quoi qu’en disent les responsables étasuniens et en dépit de la confusion qui marque la séquence des événements, une chose est claire : ce sont les États-Unis qui menacent l’Iran avec belligérance et pas l’inverse. Et si une guerre éclate, ce ne sera pas en raison d’un faux pas étasunien.
Après tout, c’est l’administration Trump qui a décidé de se retirer de l’accord sur le nucléaire — un accord que l’Iran respectait intégralement. Et ce retrait ôte toute crédibilité aux plaintes de l’administration quant aux niveaux actuels d’enrichissement de l’uranium iranien.
Ce sont les États-Unis qui ont dépêché un porte-avions, le USS Abraham Lincoln, dans le golfe d’Oman, au large des côtes iraniennes. On peut se demander comment les États-Unis réagiraient si l’Iran envoyait des navires militaires sur les côtes californiennes. Et ce sont aussi les États-Unis qui ont envoyé des bombardiers B-52 à capacité nucléaire dans la région.
En mai, Trump a annoncé le déploiement de 1 500 soldats étasuniens au Moyen-Orient — des effectifs qui s’ajoutent aux milliers de militaires déjà postés dans la région. Simultanément, les États-Unis ont retiré leur personnel diplomatique de l’Irak pour le mettre à l’abri advenant un affrontement militaire. En juin, des responsables étasuniens ont annoncé le déploiement de 1 000 autres soldats. Les mouvements de navires, de marins et de Marines des États-Unis vers l’Iran ont eu pour effet de concentrer au Moyen-Orient l’effectif naval le plus important des États-Unis, malgré les inquiétudes soulevées par la puissance grandissante de la Chine à des milliers de kilomètres de là.
Après avoir mis en place les ressources nécessaires à la conduite d’opérations militaires, Hook et Mike Pompeo, le secrétaire d’État, ont entrepris une tournée au Moyen-Orient et en Europe en vue de consolider leurs alliances et d’isoler l’Iran.
Toutes ces mesures viennent s’ajouter au régime de sanctions punitives que les États-Unis ont imposé à l’Iran, en violation des termes de l’accord sur le nucléaire. Ces sanctions, qui visent notamment les industries iraniennes du pétrole, de l’acier et du cuivre, ont coupé l’économie du pays des systèmes financiers mondiaux. Elles ont fait dégringoler le rial, ce qui a considérablement réduit l’accès des Iraniens ordinaires aux biens de consommation. Elles ont fait des couches, du lait pour bébé et des articles d’hygiène féminine des produits particulièrement difficiles à acheter en Iran, et ont ainsi frappé plus durement les femmes et les enfants — comme le font souvent les sanctions.
Les États-Unis brutalisent les Iraniens ordinaires, au moment même où leurs actions et leurs discours préparent des affrontements militaires plus graves. Malgré ces signaux clairs, les médias étasuniens tendent à confiner leurs analyses à l’ineptie de l’administration Trump. Ainsi, le mois dernier, un éditorial du New York Times déplorait que « l’absence d’une stratégie cohérente de l’administration Trump face à l’Iran avait entraîné une série de messages contradictoires, contribuant à accroître le sentiment d’appréhension et d’imprévisibilité ».
Mais il faut porter plus d’attention aux actions de l’administration qu’à ses paroles. En fait, les discours qui dénoncent la guerre — combinés à des mesures qui la préparent — semblent être l’ordre du jour de Trump et de ses représentants, ains que celui des commentateurs pressés de voir les États-Unis attaquer.
C’est peut-être Bret Stephens, chroniqueur de droite du Times, qui illustre le mieux cette approche contradictoire. Il a conclu une chronique belliciste récente en affirmant que « personne ne veut une guerre contre l’Iran », mais que les États-Unis ont déjà coulé la marine iranienne dans le passé et qu’il convient « de rappeler à Téhéran que les États-Unis sont capables et disposés à le refaire ».
Il est tout simplement faux de dire que les États-Unis — ou du moins son gouvernement intransigeant — ne veulent pas la guerre. Si les discours des politiciens et des observateurs peuvent sembler confus, il importe pour nous d’être bien clair : l’administration étasunienne travaille déjà à dévaster l’Iran à coup de sanctions et prépare le terrain pour pire encore. Nous devons tout faire pour l’en empêcher.