21 septembre 2022: Sus à la logique de guerre – version complète du texte publié dans le Devoir

Sus à la logique de guerre

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Une version écourtée de ce texte a été publiée sur Le Devoir, le 21 septembre 2022 ainsi que sur l’Aut’Journal, le 23 septembre

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Urgence mondiale : désescalade!

À l’occasion du 21 septembre, Journée internationale de la paix, force est de constater que la situation internationale évolue présentement dans une direction extrêmement dangereuse. De toute urgence, le monde a besoin de désarmement et d’une désescalade de la rhétorique de l’affrontement.

Une évolution dangereuse

Depuis sept mois, la guerre de la Russie en Ukraine fait rage, mettant le pays à feu et à sang. La Russie y affronte aussi indirectement l’OTAN, déterminée à armer l’Ukraine jusqu’à la victoire… Le tout sur fonds de catastrophe radioactive potentielle à la centrale de Zaporijia, la plus grande d’Europe.

En avril, on a annoncé que la nouvelle alliance militaire AUKUS – regroupant depuis un an l’Australie, le Royaume-Uni et les É.-U. en vue notamment d’équiper l’Australie en sous-marins nucléaires – allait aussi développer des armes hypersoniques, qui seront vraisemblablement pointées vers la Chine.

En juin, le sommet de l’OTAN à Madrid a adopté un nouveau Concept stratégique stigmatisant la Russie comme « la menace la plus importante (…) à la zone euro-atlantique » et la Chine pour ses « politiques coercitives qui sont contraires à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs ». On a annoncé que les effectifs de la Force de réaction rapide de l’OTAN passeraient de 40 000 à 300 000 et que les États-Unis accroîtraient leur présence militaire sur tout le continent européen.

En août, la Chine a riposté à la visite provocatrice de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants des É.-U., à Taiwan, par de vastes exercices à munitions réelles dans les parages de Taiwan.

En août également, après quatre semaines, la Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP) s’est terminée sur un échec lamentable, n’ayant pas réussi à faire consensus sur un texte qui, de toute façon, n’aurait en rien contraint les pays dotés d’armes nucléaires à un processus concret de désarmement qu’ils se sont pourtant engagés à poursuivre « de bonne foi » il y a 52 ans!

Quand le discours occidental masque la réalité

Selon nos dirigeants, les tensions croissantes dans le monde sont uniquement à mettre sur le compte de la Russie et de la Chine. Ce discours est non seulement simpliste mais hypocrite. Car s’ils se font défenseurs du droit international dans le cas de l’Ukraine, les pays occidentaux ont eux-mêmes agressé la Serbie, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie, et ils ont soutenu la guerre de l’Arabie saoudite contre le Yémen. S’ils exigent que les responsables russes de crimes de guerre soient traduits en justice, ils font croupir en prison ceux qui ont dénoncé leurs propres crimes (Julian Assange, Chelsea Manning, Daniel Hale). S’ils se font défenseurs du droit à l’autodétermination de Taiwan, ils n’y sont pas du tout favorables pour la Palestine, le Donbass, le Sahara occidental, la Catalogne, etc. Et ils sont prêts à défendre la démocratie et les droits de la personne… sauf dans les nombreux pays autoritaires qui sont leurs alliés.

Leurs grands principes ne sont que des leviers de leur politique étrangère, à actionner quand cela sert leurs intérêts. Et l’information instantanée dans laquelle nous baignons – qui ne fournit ni contexte historique ni mise à l’épreuve des faits – fait simplement écho aux dénonciations indignées de nos dirigeants et conforte ainsi l’opinion publique dans une posture de supériorité morale de l’Occident.

L’enjeu réel : préserver l’hégémonie mondiale des États-Unis face à la Chine

Mais à quoi sert alors tout ce théâtre et que reproche-t-on exactement à la Chine, puisque c’est surtout elle qui est dans le collimateur des États-Unis ? Dans le nouveau Concept stratégique adopté par tous les pays de l’OTAN, on peut notamment lire que la Chine « recourt à une large panoplie d’outils politiques, économiques et militaires pour renforcer sa présence dans le monde et projeter sa puissance (…) Elle cherche à exercer une mainmise sur des secteurs technologiques et industriels clés (…) Elle utilise le levier économique pour créer des dépendances stratégiques et accroître son influence ». Bref, devenue grande puissance économique à son tour, la Chine adopte plusieurs des agissements qui n’étaient auparavant l’apanage que des États-Unis. Au fond, la menace que représente la Chine c’est que les États-Unis ne soient plus seuls à diriger le monde, une prérogative dont ils entendent conserver l’exclusivité à tout prix… même au prix de mettre l’humanité en danger.

Le péril nucléaire de plus en plus imminent

Dès 1946, appréhendant justement la prolifération des armes nucléaires au lendemain des bombardements contre Hiroshima et Nagasaki, Albert Einstein affirmait : « La puissance déchaînée de l’atome a tout changé, sauf nos modes de penser, et nous glissons ainsi vers une catastrophe sans précédent. »

Nos dirigeants, eux, manifestent une inconscience totale en nous poussant de plus en plus dans une logique d’affrontement avec la Chine et la Russie, alors qu’une guerre entre puissances nucléaires devrait être absolument impensable.

Mais non seulement ils y pensent, ils en parlent ouvertement. « Pour nous, ce n’est qu’une question de temps » a récemment affirmé le directeur du renseignement du Commandement étasunien de l’Indopacifique. Le 23 mai, et à nouveau dimanche dernier, le président Biden a déclaré que les États-Unis auraient recours à la force pour défendre Taiwan en cas d’une attaque par la Chine.

Et non seulement ils en parlent ouvertement, mais ils croient pouvoir gagner une telle guerre! Ainsi, une des quatre grandes priorités de la Stratégie de défense des É.-U. (2022) se lit ainsi : « Dissuader l’agression, tout en étant prêt à l’emporter dans les conflits si nécessaire [notre emphase], en donnant la priorité au défi de la République populaire de Chine dans l’Indopacifique, puis au défi de la Russie en Europe ». Tout cela est vraiment aux antipodes de ce qu’ils devraient dire et faire s’ils prenaient la pleine mesure des risques que comporte une guerre nucléaire.

Dans le cas de la guerre en Ukraine, il aurait d’abord fallu chercher à la prévenir, alors que les États-Unis et leurs proches alliés, dont le Canada, ont fait tout le contraire. Ces jours-ci, à la faveur des avancées de l’armée ukrainienne dans le nord-est du pays, ils réitèrent vouloir l’armer jusqu’à la victoire, qui inclurait la reprise de la Crimée et des républiques sécessionnistes du Donbass. Comment peut-on aussi légèrement évoquer un tel scénario, alors qu’on sait qu’il est absolument inacceptable pour la Russie, un pays qui détient près de la moitié des armes nucléaires du monde? Qui peut garantir qu’elle n’en utiliserait aucune? Et qu’arriverait-t-il ensuite?

Dans le cas d’une possible intervention militaire étasunienne pour défendre Taiwan contre la Chine, il faut savoir que plusieurs des simulations réalisées pour tenter de cerner l’issue d’une telle guerre (conventionnelle) ne se soldent pas par une victoire des États-Unis. Alors, de leur côté aussi, la tentation de recourir à des armes nucléaires serait grande. Dans les années 1950, les États-Unis ont d’ailleurs déjà déployé des armes nucléaires à Taiwan lorsqu’ils redoutaient une invasion de la République populaire de Chine…

Une escalade guerrière aux multiples répercussions

La guerre en Ukraine a créé des millions de nouveaux réfugié.e.s et déplacé.e.s internes. Ailleurs dans le monde, elle a contribué à une hausse importante du taux d’inflation, qui frappe particulièrement les populations les plus vulnérables, et risque d’entraîner une crise alimentaire. Pratiquement tous les pays occidentaux, dont le Canada, ont annoncé une augmentation de leurs dépenses militaires, déjà énormes. Autant de ressources, détournées vers la guerre et les préparatifs de guerre, qui n’iront pas à la satisfaction des besoins fondamentaux des populations ni à la lutte pour la réduction des GES et pour la justice climatique.

À ce chapitre d’ailleurs, la guerre en Ukraine et la menace de guerre à Taiwan entraînent des reculs significatifs : d’une part, un retour au charbon en Allemagne et des projets d’exploitation accrue d’hydrocarbures notamment au Canada et aux États-Unis, pour pallier la diminution des livraisons de gaz russe; et, d’autre part, la suspension des négociations sur le changement climatique entre la Chine et les États-Unis, les deux plus grands émetteurs de GES au monde…

La survie de l’humanité en jeu

Il y a non seulement urgence de décarboniser l’activité humaine sur la planète, mais aussi d’en finir avec la logique de guerre, la rhétorique belliqueuse sous prétextes humanitaires ainsi que les dépenses militaires astronomiques qui les accompagnent.

Un des slogans du mouvement pour la justice climatique est « Changeons le système, pas le climat ». Rejetons aussi la logique de guerre inhérente à ce système. C’est une question de survie pour l’humanité.

François Avard, auteur et scénariste

Ariane Émond, journaliste indépendante, animatrice et auteure

Martin Forgues, ex-militaire, journaliste indépendant et auteur

Jacques Goldstyn (alias Boris), auteur, illustrateur et caricaturiste

Christian Vanasse, auteur et humoriste

Parrains et marraine de la campagne 2022 du coquelicot blanc.