La fin du dialogue et de l’engagement dans la péninsule coréenne (Traduction)

La fin du dialogue et de l’engagement dans la péninsule coréenne

Par Jung E-gil, rédacteur principal pour les affaires internationales, HANKYOREH, 20 août 2023

Texte original en anglais – [Traduction : Claire Lapointe; révision : Échec à la guerre]

L’obséquiosité de l’administration Yoon à l’égard des États-Unis et du Japon a balayé les politiques de dialogue et d’engagement

Le discours commémoratif du président sud-coréen Yoon Suk-yeol à l’occasion de la Journée nationale de la libération de la Corée, le 15 août dernier, a sonné le glas de cinq décennies de dialogue intercoréen et de la politique d’engagement que la communauté internationale a menée dans la péninsule coréenne depuis les années 1990. Ce virage sera officialisé lors du sommet entre la Corée, les États-Unis et le Japon, qui se tiendra vendredi à Camp David, la villa présidentielle.

Après avoir affirmé, dans le communiqué conjoint Sud-Nord du 4 juillet [1972, NDT], les principes d’une unification indépendante et pacifique, et d’une grande unité nationale en tant que peuple unique, la Corée du Sud et la Corée du Nord ont résolument poursuivi le dialogue et les échanges en dépit d’épisodes répétés de conflit et de confrontation.

Au début des années 1990, après l’isolement de Pyongyang à la suite de l’effondrement du bloc communiste, la communauté internationale a adopté une politique d’engagement, cherchant des arrangements pour que la Corée du Nord établisse des relations diplomatiques avec les États-Unis et le Japon tout en bloquant son développement d’armes nucléaires. Cependant, ces politiques de dialogue et d’engagement sont complètement balayées par la politique de soumission totale de l’administration Yoon aux États-Unis et au Japon, dans un monde caractérisé par la guerre de la Russie contre l’Ukraine et par l’intensification de la rivalité entre les États-Unis et la Chine.

Le discours commémoratif de M. Yoon, prononcé lors de la Journée nationale de la libération, devrait servir d’avertissement.

Le jour célébrant la libération de la Corée de la domination coloniale japonaise, les discours prononcés par les présidents précédents faisaient le bilan des efforts du peuple coréen pour parvenir à l’indépendance et à l’autonomie, et exprimaient, dans ce contexte, leur espoir d’une réunification pacifique du peuple coréen. Pour les présidents précédents, ce discours constituait une occasion importante de dévoiler leurs projets de dialogue et d’échange avec la Corée du Nord.

Mais M. Yoon a choisi d’axer son discours commémoratif sur des attaques politiques et sur l’éloge du rôle du Japon. Lorsqu’il a déclaré que « les forces du totalitarisme communiste se sont toujours déguisées en militants de la démocratie, en défenseurs des droits de la personne ou en activistes progressistes », il s’aventurait sur un chemin jamais emprunté, y compris par les anciens dictateurs Park Chung-hee et Chun Doo-hwan.

  1. Yoon aurait pu tout aussi bien dire que tous ceux qui parlent de démocratisation, de droits de la personne et de causes progressistes sont des « forces du totalitarisme communiste ».

La déclaration de M. Yoon selon laquelle « les sept bases arrière mises à la disposition du Commandement des Nations unies (UNC) par le gouvernement japonais constituent le principal moyen de dissuasion qui empêche le Nord d’envahir le Sud » est également éloquente. Cette affirmation montre clairement qu’il considère le Japon comme un partenaire en matière de coopération militaire. Le président coréen a également déclaré que le prochain sommet avec les États-Unis et le Japon « poserait un nouveau jalon dans la coopération trilatérale ».

Sur ce point, il a raison. Le sommet trilatéral de Camp David — qui est censé devenir un événement régulier — est un élément central de la stratégie indopacifique, laquelle constitue la stratégie des États-Unis pour s’opposer à la Chine. Cette stratégie ne requiert plus la politique de rapprochement sur la péninsule coréenne.

La politique étasunienne d’engagement à l’égard de la Corée du Nord — c’est-à-dire les tentatives de dialogue et d’établissement de relations diplomatiques avec Pyongyang en dépit de leur relation conflictuelle — s’est mise en place dans le contexte de l’ordre unipolaire dirigé par les États-Unis, à la suite de l’effondrement du bloc communiste. À cette époque, la Russie ne pouvait plus rivaliser avec les États-Unis et la Chine était un élément essentiel du système économique mondial dirigé par les États-Unis.

Alors que la Corée du Nord tentait de se doter d’armes nucléaires, les États-Unis l’ont incitée à rejoindre l’ordre unipolaire qu’ils dirigeaient. Avec l’aide de la Chine et de la Russie, les États-Unis ont courtisé la Corée du Nord, tout en lui imposant des sanctions.

Or, les États-Unis sont aujourd’hui confrontés à une situation où leur système unipolaire est menacé par la montée en puissance de la Chine et l’aventurisme de la Russie. Les États-Unis ont saisi l’occasion de la guerre en Ukraine pour remettre l’OTAN en état. Ils ont élaboré la stratégie indopacifique qui vise à mettre en place, dans la région Asie-Pacifique, un réseau de défense collective comparable à l’OTAN.

Le cadre général de cette stratégie repose sur le dialogue quadrilatéral de sécurité (QUAD) entre les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde, dont les deux ailes sont le partenariat de sécurité AUKUS, formé en septembre 2021 par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, et l’accord trilatéral entre la Corée du Sud, les États-Unis et le Japon, lequel sera bientôt renforcé.

Après la Seconde Guerre mondiale, en Asie-Pacifique, les États-Unis ont mis en place un « système de réseau en étoile » qui s’articulait autour des États-Unis (le centre) et d’alliances distinctes avec divers pays de la région (les rayons). Les conflits historiques qui ont divisé ces différents pays ont empêché la mise en place d’un réseau de défense collective de type OTAN.

Depuis les années 1970, les États-Unis travaillent à la mise en place d’un système d’alliance trilatérale avec la Corée et le Japon. Sous l’administration Obama, lorsque la concurrence stratégique entre les États-Unis et la Chine s’est intensifiée, les États-Unis ont ouvertement poussé la Corée et le Japon à résoudre leurs différends historiques et à coopérer sur le plan militaire, en commençant par le partage d’informations militaires.

Les concessions généreuses de l’administration Yoon à l’égard du Japon ont remis sur les rails le système d’alliance trilatérale avec les États-Unis et le Japon.

La Corée du Nord a également perdu intérêt pour le dialogue et les relations diplomatiques avec les États-Unis et le Japon. Le programme d’armes nucléaires de Pyongyang et ses efforts désespérés pour se réconcilier avec les États-Unis et le Japon avaient tous deux été motivés par sa position isolée, privée du soutien qu’elle avait reçu autrefois de la Chine et de l’Union soviétique.

Mais aujourd’hui, la Corée du Nord a noué des relations bilatérales étroites avec la Chine et la Russie dans le contexte de leur confrontation avec les États-Unis. En pleine guerre contre l’Ukraine, le 27 juillet dernier, la Russie a dépêché le ministre de la Défense Sergei Shoigu en Corée du Nord, en qualité d’envoyé spécial. La Corée du Nord célèbre cette date comme le « jour de la victoire » de la guerre de Corée.

Le front Chine-Russie a plus que jamais besoin de la Corée du Nord. Et la Corée du Nord n’est plus seule. En effet, elle peut satisfaire ses besoins économiques et sécuritaires avec l’aide de la Chine et de la Russie qui cherchent à construire leur propre bloc en prenant certaines mesures comme l’élargissement du groupe des BRICS.

Les tentatives infructueuses de la Corée du Nord et du Japon en vue de nouer des relations diplomatiques au cours des 30 dernières années sont examinées sans passion dans un ouvrage récemment traduit de Haruki Wada, professeur émérite à l’université de Tokyo. Le livre de M. Wada explore l’échec et la dissolution de la politique d’engagement de la communauté internationale sur la péninsule coréenne au cours de cette période.

  1. Wada avoue être désespéré par l’échec des forces qui ont tenté de construire une « maison de la paix » en Asie du Nord-Est en normalisant les relations avec la Corée du Nord. Mais il rappelle que « le désespoir est aussi vain que l’espoir », citant Lu Xun [NDT : grand écrivain chinois (1881-1936)]. Il ajoute que « l’espoir peut être aperçu depuis le puits du désespoir ».

« Coopérer avec le Japon pour se confronter à vos compatriotes de la Corée du Nord est un mauvais choix pour la Corée du Sud », a déclaré M. Wada dans une entrevue accordée au journal Hankyoreh.

Le plongeon de l’administration Yoon dans un conflit entre grandes puissances, tel un papillon de nuit attiré par la flamme, constituera sans doute le puits de notre désespoir.

Hankyoreh est un média coréen, également disponible en éditions anglaise, japonaise et chinoise, qui se présente comme « le principal média progressiste de Corée »; « Ce que le New York Times et le Washington Post sont pour les États-Unis, ce que le Guardian est pour le Royaume-Uni et Le Monde pour la France, Hankyoreh l’est pour la Corée ». Son code d’éthique stipule que « Notre tâche historique est de contribuer à la démocratisation de la société coréenne, de surmonter la division de la péninsule, d’accélérer l’unification indépendante et pacifique de notre peuple et de garantir et de faire progresser le droit à la vie de notre peuple. »