« Le parfait exemple d’un génocide » : Raz Segal, spécialiste israélien de l’Holocauste, dénonce l’assaut d’Israël sur Gaza » (traduction)

« Le parfait exemple d’un génocide » : Raz Segal, spécialiste israélien de l’Holocauste, dénonce l’assaut d’Israël sur Gaza

Entrevue d’Amy Goodman avec Raz Segal, historien israélien, Democracy Now!, 16 octobre 2023

Texte original en anglais – [Traduction : Claude Beaudet; révision : Nathalie Thériault]

AMY GOODMAN : Au nom de Democracy Now! (democracynow.org), The War and Peace Report. Je suis Amy Goodman.

« Le parfait exemple d’un génocide » : Raz Segal, spécialiste israélien de l’Holocauste, dénonce l’assaut d’Israël sur Gaza » (traduction). Democracy Now, 16-10-2023

« Le parfait exemple d’un génocide : Israël a été explicite quant à ce qui se déroule dans Gaza. Pourquoi le monde n’entend-il pas? » Voici le titre d’un nouveau papier paru dans le Jewish Currents, et écrit par notre invité, Raz Segal.

Il est un historien israélien, professeur agrégé d’études sur l’Holocauste et les génocides de l’Université Stockton, où il est aussi professeur titulaire en étude contemporaine sur les génocides. Raz Segal a été rejoint à Philadelphie.

Professeur Segal, bienvenue à Democracy Now! Exposons votre cas.

RAZ SEGAL : Merci de me recevoir.

Je crois assurément que ce à quoi nous assistons à Gaza, c’est un cas de génocide. Nous devons comprendre que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations Unies (1948) exige qu’il y ait une intention spéciale pour qu’il y ait génocide. Et, citant la convention, une intention d’éradiquer un groupe comme tel, défini par sa race, son appartenance ethnique, sa religion ou sa nationalité, c’est-à-dire une communauté et non seulement des individus. Cette intention, comme nous venons de l’entendre, est affichée partout par les autorités politiques et militaires israéliennes. Nous avons entendu le président israélien. Il est bien connu que le 9 octobre, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré le siège total de Gaza, ce qui signifie l’arrêt d’approvisionnement en eau, en nourriture et en essence, ajoutant : « Nous luttons contre des animaux » et nous agirons « en conséquence ». Il a aussi dit : « Tout sera détruit ». Nous savons que le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, par exemple, a reconnu qu’il s’agissait d’une destruction massive, et qu’il a affirmé explicitement : « L’accent est mis sur les dégâts et non sur la précision ». Donc, l’intention spéciale est très manifeste. Franchement, s’il ne s’agit pas ici de l’intention spéciale de commettre un génocide, je ne sais pas ce que c’est.

Alors, quand on regarde les actions commises – les milliers de bombes larguées en deux jours, incluant des bombes au phosphore, comme on l’a appris, sur l’une des zones les plus densément peuplées du monde – en même temps que les professions d’intention, cela constitue bien le meurtre génocidaire, qui est le premier acte de génocide identifié par la Convention. Et je dois dire qu’Israël commet aussi le deuxième et le troisième actes de génocide [indiqués dans la Convention], en portant des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale du groupe et en créant intentionnellement des conditions visant la destruction du groupe en le privant d’eau, de nourriture et de ravitaillement en carburant, en pilonnant les hôpitaux et en ordonnant leur évacuation rapide, ce qui constitue, de l’avis de l’Organisation Mondiale de la Santé, et je cite : une « sentence de mort ».  Donc, il s’agit d’une somme de gestes à dessein génocidaire. À l’évidence, voici un cas typique de génocide.

AMY GOODMAN : Pouvez-vous nous parler du déplacement de la population? Israël indiquait que toute la population située dans le nord de Gaza devait se déplacer vers le sud. À ce jour, des centaines de milliers d’habitants ont obtempéré. La partie nord de Gaza est la plus peuplée, Gaza City s’y trouvant.

RAZ SEGAL :  Oui, certainement. Il est bien connu qu’il s’agit là d’un ordre impossible à exécuter. Il est impossible pour certains groupes spécifiques – les patient.e.s dans les hôpitaux, les personnes handicapées, les personnes âgées – et, de plus, plusieurs Palestinien.ne.s refusent de quitter leur domicile, en raison de leur histoire et de leurs souvenirs de la Nakba. Il s’agit là d’un ordre inconcevable. Voilà une autre indication de l’intention de détruire et de commettre un génocide.

Il convient ici de souligner que le ministre de la défense, Yoav Gallant, a introduit le terme de « siège total ». Il semble qu’il ait usé d’un terme qui, au fond, décrit un fait existant depuis 17 ans à Gaza, le plus long dans l’histoire contemporaine, et qui est clairement en violation du droit humanitaire  international – un siège qui est aujourd’hui total, signifiant ainsi que nous assistons bien à une destruction génocidaire, y compris avec cet ordre d’éviction.

Il convient aussi de tenter d’expliquer, je pense, pourquoi Israël est si explicite dans ses déclarations. Nous avons entendu le président israélien parlé « du mal ». Nous avons aussi entendu le président Biden référant « au mal ». Les dirigeants de l’UE ont décrit l’attaque du Hamas comme « le mal ».  Soyons clairs, l’attaque du Hamas était un crime de guerre, le meurtre de masse de 1 000 civil.e.s israéliens s’est révélé un crime de guerre horrible et a choqué plusieurs Israéliens et un grand nombre de personnes autour du monde, et ce, à juste titre. Mais « le mal » n’est pas un terme pour décrire cela. « Le mal » est un terme qui décontextualise. « Le mal » diabolise et sert réellement à renforcer le fantasme répandu chez les Israéliens aujourd’hui, à savoir qu’ils luttent contre des nazis. En fait, le premier ministre Naftali Bennett disait hier lors d’une entrevue : « Nous nous battons contre des Nazis ». Nous pouvons voir plusieurs autres indications de cela dans la société et la vie politique israéliennes aujourd’hui. Si on dit « lutter contre les Nazis », tout est alors permis.

AMY GOODMAN :    J’aimerais maintenant que l’on passe à l’ancien premier ministre Naftali Bennett, qui est actuellement dans l’armée israélienne. C’était il y a quelques jours, quand il est sorti de ses gonds lors d’une interview jeudi avec le présentateur de nouvelles Kamali Melbourne de Sky News, alors que Melbourne le pressait de questions en lien avec les attaques d’Israël sur les civils palestiniens.

Voici un extrait de ce qu’il a dit.

KAMALI MELBOURNE : Que dire des Palestiniens hospitalisés branchés sur un respirateur artificiel, et les bébés placés en incubateurs, dont les respirateurs et les incubateurs s’arrêteraient à cause de pannes causées par les Israéliens dans Gaza?

NAFTALI BENNETT : Vraiment, vous insistez pour m’interroger sur les civils palestiniens? Quoi! – qu’est-ce qui ne va pas chez vous? N’avez-vous pas vu ce qui s’est passé? Nous faisons la guerre à des Nazis. Nous ne les ciblons pas. Ceci étant dit, le monde peut leur procurer ce qu’ils veulent, si vous le désirez, même de l’électricité. Je ne vais pas fournir de l’électricité ou de l’eau à mes ennemis. Si d’autres le veulent, ça me va. Nous ne  sommes pas responsables d’eux.

[NDT : par la suite, Naftali Bennett s’emporte constamment contre le présentateur auquel il ne permet même pas de poser sa question]

KAMALI MELBOURNE : Mais là, est la question.

NAFTALI BENNETT : Mais vous continuez.

KAMALI MELBOURNE : Là, est la question.

NAFTALI BENNETT : Vous – je veux vous dire.

KAMALI MELBOURNE : Non, non M. Bennett, c’est précisément le sujet.

NAFTALI BENNETT : Non, non, écoutez.

KAMALI MELBOURNE : Écoutez.

NAFTALI BENNETT : Écoutez-moi, immédiatement.

KAMALI MELBOURNE : Non, vous haussez le ton. Et nous tentons.

NAFTALI BENNETT : Je vous ai assez entendu.

KAMALI MELBOURNE : Non, non, je comprends. Nous tentons d’avoir une conversation ici.

NAFTALI BENNETT : Je vous ai beaucoup entendu.

KAMALI MELBOURNE : Écoutez, c’est mon émission.

NAFTALI BENNETT : Non, vous n’avez pas un…

KAMALI MELBOURNE : C’est mon émission

NAFTALI BENNETT : Et c’est précisément

KAMALI MELBOURNE : Je pose les questions. Vous haussez le ton.

NAFTALI BENNETT : Mais c’est mon pays.

KAMALI MELBOURNE : Et je vous ai demandé. Nous avons déjà.

NAFTALI BENNETT : Et quand les gens – quand les gens.

KAMALI MELBOURNE : Nous avons déjà – cessez s’il vous plait.

NAFTALI BENNETT : Quand les gens.

KAMALI MELBOURNE : Laissez-moi terminer. Nous avons fait la distinction.

NAFTALI BENNETT : Honte à vous, Monsieur.

KAMALI MELBOURNE : Entre le Hamas.

NAFTALI BENNETT : Je veux vous dire, vous – honte à vous.

KAMALI MELBOURNE : Vous parlez par-dessus moi.

NAFTALI BENNETT : Parce que nous ne sommes pas.

KAMALI MELBOURNE : Non, non.

NAFTALI BENNETT : Honte à vous.

KAMALI MELBOURNE : La honte n’est pas le sujet.

NAFTALI BENNETT : Je suis le – j’étais le premier ministre.

KAMALI MELBOURNE : Nous tentons d’avoir un dialogue.

NAFTALI BENNETT : C’est absolument honteux.

KAMALI MELBOURNE : à propos d’une situation très grave ici.

NAFTALI BENNETT : Parce que quand vous ne faites que sauter

KAMALI MELBOURNE : Vous refusez de répondre.

AMY GOODMAN : Donc, voilà que l’ancien premier ministre israélien, Naftali Bennett, s’est emporté contre le présentateur Kamali Melbourne, de Sky News. Professeur Segal, vous qui êtes un historien israélien, c’est justement ce que vous dites, quand il utilise l’analogie nazie  en déclarant : « Me parlez-vous sérieusement des civils palestiniens? »  Quelle est votre réponse face à cela?

RAZ SEGAL : C’est exactement ce que c’était –  c’est important de comprendre le contexte, l’idée de lutte aux Nazis, l’idée d’utiliser le souvenir de l’Holocauste de cette façon. Il y a un contexte plus large, une histoire, bien sûr, de cet usage honteux du souvenir de l’Holocauste, auquel ont eu recours les dirigeants israéliens pour se justifier, rationnaliser, faire du déni, déformer, désavouer les violences de masse qu’ils infligent aux Palestinien.ne.s. Un usage qui a permis que se développe un exceptionnalisme israélien, lui accordant l’impunité. La vérité, toutefois, c’est que tous les responsables de génocide voient leurs victimes comme des êtres dangereux, vicieux et inhumains, n’est-ce pas? C’est ainsi que les Nazis voyait les Juifs. C’est ainsi aujourd’hui que les Israéliens voient les Palestiniens.

Les leçons de l’Holocauste, justement, n’ont jamais eu pour but de couvrir et de rationaliser la violence étatique et le génocide, mais plutôt de protéger les groupes des États violents, en particulier les apatrides et les populations vulnérables, celles qui sont occupées militairement et assiégées. Il est de la plus grande urgence de rappeler ces leçons et de les mettre en œuvre. Nous devons nous centrer sur les  voix de ceux et celles qui font face à la violence d’État et au génocide, et nous devons prévenir ces situations aussi promptement que possible. Pour ce faire, nous devons reconnaitre ce qui se passe autour de nous, ce qui se déploie sous nos yeux, ce qui est assurément un parfait exemple d’un génocide, avec toute la rhétorique, les actions, et tout ce que cela implique.

AMY GOODMAN : Raz Segal est professeur agrégé d’études sur l’Holocauste et les génocides.