Le président Biden vend des armes à la majorité des autocraties du monde (Traduction)

Le président Biden vend des armes à la majorité des autocraties du monde

Par Stephen Semler, The Intercept, 11 mai 2023

Texte original en anglais – [Traduction et révision : Échec à la guerre]

En 2022, malgré le discours de la Maison Blanche sur le soutien à la démocratie mondiale, les États-Unis ont vendu des armes à 57 % des régimes autoritaires de la planète.

Depuis son entrée en fonction en 2021, le président Joe Biden a décrit une « bataille entre les démocraties et les autocraties » dans laquelle les États-Unis et les autres démocraties s’efforcent de créer un monde pacifique. Cependant, en réalité, l’administration Biden a contribué à renforcer la puissance militaire d’un grand nombre de pays autoritaires. D’après un examen, réalisé par The Intercept, de données gouvernementales récemment publiées, les États-Unis ont vendu des armes à au moins 57 % des pays autocratiques du monde en 2022.

Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis sont le plus grand vendeur d’armes au monde, représentant environ 40 % de toutes les exportations d’armes au cours d’une année donnée. En général, ces exportations sont financées par des subventions ou des ventes. Il existe deux voies pour cette dernière catégorie : les ventes militaires étrangères (VME) et les ventes commerciales directes (VCD).

Le gouvernement des États-Unis agit en tant qu’intermédiaire pour les acquisitions VME : Il achète d’abord le matériel à une entreprise, puis le livre au destinataire étranger. Les acquisitions de VCD sont plus simples : elles résultent d’un accord entre une entreprise étasunienne et un gouvernement étranger. Les deux catégories de ventes nécessitent l’approbation du gouvernement.

Les données par pays pour les autorisations VCD de l’année dernière ont été publiées à la fin du mois d’avril par la Direction des contrôles commerciaux de la défense du Département d’État. Les chiffres des transactions VME pour l’année fiscale 2022 ont été publiés au début de l’année par l’Agence de coopération pour la sécurité de la défense du Pentagone. Selon ces données, 142 pays et territoires ont acheté des armes aux États-Unis en 2022, pour un total de 85 milliards de dollars de ventes bilatérales.

Combien de ces pays étaient des démocraties et combien étaient des autocraties ? On peut répondre à cette question en comparant les nouvelles données sur les ventes d’armes des États-Unis aux données sur les régimes politiques du projet Varieties of Democracy de l’université de Göteborg, en Suède, qui utilise un système de classification appelé Regimes of the World.

Le système classe les régimes en quatre catégories : autocratie fermée, autocratie électorale, démocratie électorale et démocratie libérale. Pour qu’un pays soit classé comme démocratie, il doit avoir des élections multipartites et des libertés politiques qui rendent ces élections significatives. Selon cette méthodologie, la ligne de démarcation entre les démocraties et les autocraties est de savoir si les dirigeants d’un pays sont responsables devant leurs citoyens dans le cadre d’élections libres et équitables.

Sur les 84 pays codifiés comme autocraties dans le cadre du système « Régimes du monde » en 2022, les États-Unis ont vendu des armes à au moins 48 d’entre eux, soit 57 %. Le qualificatif ‘au moins’ est nécessaire car plusieurs facteurs empêchent un suivi précis des ventes d’armes des États-Unis. Le rapport du département d’État sur les ventes d’armes commerciales au cours de l’année fiscale fait un usage prodigieux du mot « divers » dans la catégorie des destinataires ; en conséquence, les destinataires spécifiques de près de 11 milliards de dollars de ventes d’armes ne sont pas divulgués.

Le système « Régimes du monde » n’est qu’un des nombreux indices qui mesurent la démocratie dans le monde, mais la même analyse avec d’autres indices populaires donne des résultats similaires. Par exemple, Freedom House a répertorié 195 pays et a indiqué pour chacun d’eux s’il s’agissait d’une démocratie électorale dans son rapport annuel Freedom in the World. Sur les 85 pays que Freedom House n’a pas désignés comme des démocraties électorales, les États-Unis ont vendu des armes à 49 d’entre eux, soit 58 %, au cours de l’exercice fiscal 2022.

Ces résultats contredisent la représentation de la politique internationale privilégiée par M. Biden, à savoir qu’il s’agit fondamentalement d’une lutte dans laquelle les démocraties du monde, menées par les États-Unis, sont « du côté de la paix et de la sécurité », comme il l’a dit dans son discours sur l’état de l’Union de l’année dernière. Face aux États-Unis et à leurs alliés démocratiques se trouvent les autocraties qui s’entendent pour saper le système international, a déclaré M. Biden. Dans un discours prononcé à Varsovie l’an dernier, il a déclaré que la bataille entre la démocratie et l’autocratie était une bataille « entre la liberté et la répression » et « entre un ordre international fondé sur des règles et un autre régi par la force brute ». La stratégie de sécurité nationale 2022 de la Maison Blanche ajoute que « le défi stratégique le plus pressant auquel notre vision est confrontée provient de puissances qui associent une gouvernance autoritaire à une politique étrangère révisionniste ».

L’examen des nouvelles données contredit ce discours, suggérant plutôt que l’approche concernant les ventes d’armes n’a pas changé. L’ancien président Donald Trump fondait sa politique de vente d’armes principalement sur des considérations économiques : les intérêts des entreprises avant tout. Lors de son premier voyage à l’étranger en tant que président, il s’est rendu en Arabie saoudite et a annoncé un important contrat d’armement avec le royaume répressif. L’approche de Trump, basée d’abord sur les affaires, a entraîné une hausse spectaculaire des ventes d’armes au cours de son mandat.

Au cours de la première année fiscale complète du président Biden, les ventes d’armes des États-Unis à d’autres pays ont atteint 206 milliards de dollars, selon le décompte annuel du Département d’État, qui utilise une comptabilité opaque mais apparemment plus large des chiffres annuels du VME et du VCD ; le total de la première année de Joe Biden dépasse le sommet de l’ère Trump, qui était de 192 milliards de dollars. L’effort de plusieurs milliards de dollars pour former et équiper l’Ukraine n’explique pas entièrement l’augmentation spectaculaire du total des ventes d’armes l’année dernière, encore moins à des autocraties. L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a eu lieu que cinq mois après le début de l’exercice fiscal 2022, et une grande partie de l’aide des États-Unis à l’Ukraine a pris la forme de subventions (et non de ventes) et de transferts de matériel provenant des stocks du Pentagone dans le cadre de l’autorité présidentielle de prélèvement sur ces stocks.

Les nouveaux chiffres révèlent plutôt la continuité entre les administrations républicaines et démocrates. Alors que Joe Biden avait indiqué très tôt que sa politique en matière de ventes d’armes serait principalement basée sur des considérations stratégiques et de droits de la personne, et pas seulement sur des intérêts économiques, il a rompu avec cette politique peu de temps après son entrée en fonction en approuvant des ventes d’armes à l’Égypte, à l’Arabie saoudite et à d’autres régimes autoritaires.

Stephen Semler est cofondateur du Security Policy Reform Institute et auteur de l’infolettre Speaking Security.