Le sommet trilatéral de Camp David organisé par Joe Biden est une préparation avancée à la guerre avec la Chine (Traduction)

Le sommet trilatéral de Camp David organisé par Joe Biden est une préparation avancée à la guerre avec la Chine

Par Joseph Gerson, Common Dreams, 21 août 2023

Texte original en anglais – [Traduction : Claire Lapointe; révision : Échec à la guerre]

L’engagement du sommet pour un désarmement nucléaire et la non-prolifération — qui a fait l’objet d’un grand battage médiatique — sert davantage à susciter le consentement à la préparation d’une guerre nucléaire qu’à réduire les dangers nucléaires.

Le 18 août dernier, lors d’un sommet à Camp David, le président étasunien Joe Biden, le président sud-coréen Yoon Suk Yeol et le premier ministre japonais Fumio Kishida ont posé pour des photos, confirmant ainsi une alliance trilatérale à long terme destinée à renforcer l’endiguement de la Chine, de la Russie et de la Corée du Nord.

L’architecte de la nouvelle configuration de cette alliance est le coordonnateur des Affaires indopacifiques au sein du Conseil de sécurité nationale du président Biden, Kurt Campbell. Sous la présidence de Barack Obama, il était secrétaire d’État adjoint aux affaires de l’Asie de l’Est et du Pacifique. À ce titre, il a dirigé la transition étrangère et militaire la plus importante de l’après-guerre froide pour les États-Unis : le pivot vers l’Asie et le Pacifique pour contenir et maîtriser la montée en puissance de la Chine. Sous la présidence Biden, il a cultivé la consolidation de l’alliance militaire entre les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud afin de renforcer ce virage, en complément des alliances AUKUS (Australie, Royaume-Uni et États-Unis) et QUAD (États-Unis, Japon, Australie, Inde). Ces alliances s’inscrivent dans la longue marche de Washington vers la création d’un système d’alliance indopacifique semblable à celui de l’OTAN. Selon le New York Times, cette voie à trois pactes servira de « rempart » contre la Chine et la Corée du Nord.

Avant cette rencontre, M. Campbell a annoncé que le sommet du 18 août proposerait « un ensemble très ambitieux d’initiatives visant à consolider cette relation trilatérale, aussi bien aujourd’hui que dans le futur », en traitant « de nombreux domaines comme la sécurité, la technologie et l’éducation ». À cet égard, il convient de rappeler que la stratégie de sécurité nationale de M. Biden reconnaît que les États-Unis sont incapables de maintenir unilatéralement leur domination mondiale. Ils doivent donc conclure des alliances intégrant les ressources militaires, technologiques et économiques. Bien que les partenaires de l’alliance soient loin d’être égaux, les élites japonaises et sud-coréennes jouissent d’une influence et d’un pouvoir qu’elles n’auraient pas si elles faisaient cavalier seul.

Il existe deux pactes triangulaires militaires, économiques et technologiques concurrents en Asie du Nord-Est, un fait peu connu aux États-Unis. Ces systèmes militaires concurrents, auxquels s’ajoutent les points chauds que sont Taïwan et la Corée, font de cette région, au même titre que l’Ukraine, l’élément déclencheur le plus probable d’une escalade vers une guerre régionale, voire nucléaire. Chacun de ces systèmes triangulaires de plus en plus étroitement intégrés — l’alliance États-Unis-Japon-République de Corée (ROK) et la quasi-alliance Chine-Russie-République populaire démocratique de Corée (RPDC) — présente des failles. Le Japon n’a pas encore pleinement assumé son histoire brutale de conquête et de domination coloniales en Corée (travail forcé et prostitution militaire systémique au cours de la première moitié du XXe siècle) et il ne s’en est toujours pas excusé. À cela s’ajoute le ressentiment généralisé à l’égard de l’impopulaire président de la République de Corée, M. Yoon, qui s’incline devant Tokyo et Washington, sans parler du fait que Séoul est le deuxième partenaire commercial national de Beijing. La Corée du Sud est donc le maillon faible de l’alliance dirigée par les États-Unis. Dans le cas de l’autre alliance, comme nous le constatons dans le contexte de la guerre en Ukraine, l’engagement de Beijing envers Moscou n’est pas « illimité ».

Compte tenu des systèmes militaires en place et des « exercices » militaires provocateurs quasi quotidiens de toutes les parties concernées, un accident ou une erreur de calcul dans la péninsule coréenne ou par rapport à Taïwan pourrait facilement dégénérer en une guerre régionale, voire nucléaire.

Les forces politiques mondiales et nationales ont conduit à la transformation de ce qui a longtemps été un système d’alliance en étoile – dont les États-Unis étaient le centre et les partenaires alliés les rayons – en un système devenant plus intégré. Au cœur de cette transformation figure l’affirmation de la stratégie de sécurité nationale de l’administration Biden selon laquelle « l’ère de l’après-guerre froide est définitivement terminée, et une compétition est en cours entre les grandes puissances pour façonner l’avenir ». On craint également que l’invasion de l’Ukraine par la Russie ne marque la fin de l’ordre établi après la Seconde Guerre mondiale et les Nations unies, selon lequel les frontières et la souveraineté nationales sont pour l’essentiel respectées. (Les invasions étasuniennes de l’Indochine, de l’Afghanistan, de l’Irak et du Panama sont des exceptions notables à ce que l’on appelle « l’ordre fondé sur des règles »!)

La consolidation de l’alliance intervient également au moment où le gouvernement Kishida a choisi d’ignorer totalement la constitution japonaise qui renonce à la guerre. Le fait d’être le dixième pays au monde en matière de dépenses militaires n’a pas suffi à ceux qui craignent la montée en puissance de la Chine et les missiles de la Corée du Nord, et qui souhaitent restaurer la grandeur militaire du Japon. M. Kishida s’est engagé à doubler le budget des forces d’autodéfense. En accord avec la construction de l’alliance étasunienne et pour se préparer à l’éventualité d’une réduction des engagements des États-Unis dans la région Asie-Pacifique, le Japon approfondit sa coopération en matière de « sécurité » avec l’Australie, les Philippines, l’Inde et Taïwan. Il s’engage dans des opérations militaires conjointes aussi loin que la mer de Chine méridionale. Le fait que ces engagements laissent entrevoir une possible reprise de l’histoire de Tokyo du début du XXe siècle, en tant que grande puissance militaire régionale, inquiète Beijing et certains voisins de la région Asie-Pacifique.

En Corée, l’impopulaire président Yoon gouverne à la manière de Donald Trump. Il ignore l’opinion populaire et s’appuie sur sa base de droite étroite mais loyale. Il troque ses menaces de développer des armes nucléaires et d’avaler les exactions japonaises non résolues pour renforcer les engagements de l’alliance États-Unis/Japon. Alors que la Corée du Nord renforce son arsenal nucléaire et accélère le rythme de ses essais de missiles — alors même que les Nations unies font état d’une augmentation de la famine dans ce pays — Séoul n’est pas la seule à accélérer le rythme de la militarisation de la Corée. À cela s’ajoutent les exercices navals conjoints entre la Chine et la Russie dans la mer du Japon et les rapports du quotidien japonais, Asahi Shimbun, selon lesquels Beijing resserre son encerclement militaire de Taïwan.

Parmi les accords trilatéraux qui viennent d’être conclus à Camp David figure l’« engagement de consulter les autres parties lorsqu’une menace pour l’un peut s’élargir » aux trois pays, ce qui est en deçà de l’engagement de l’article 5 de l’OTAN relatif à la défense mutuelle. Il a également été convenu d’un meilleur partage de renseignements, d’exercices militaires annuels, d’un approfondissement de la coopération et de l’interdépendance en matière de défense antimissile (pouvant assurer la défense, mais aussi servir de bouclier pour renforcer les dispositifs nucléaires de première frappe), d’une collaboration en matière de développement technologique, d’un cadre visant à intégrer davantage les pays d’Asie du Sud-Est dans la structure militaire trilatérale, d’une ligne directe et de réunions trilatérales annuelles entre les conseillers à la sécurité nationale afin « d’institutionnaliser, d’approfondir et de renforcer les habitudes de coopération » entre les alliés.

L’engagement du sommet pour un désarmement nucléaire et la non-prolifération — qui a fait l’objet d’un grand battage médiatique — sert davantage à susciter le consentement à la préparation d’une guerre nucléaire qu’à réduire les dangers nucléaires. Comme nous l’avons vu lors du récent sommet du G7, les États-Unis et le Japon restent fidèles au principe de la « dissuasion nucléaire ». En outre, l’engagement de non-prolifération pourrait plutôt viser à empêcher les militaires sud-coréens et japonais de devenir des puissances nucléaires qu’à indiquer une volonté de respecter les engagements pris dans le cadre du Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP). (L’article VI du TNP exige que les puissances nucléaires originelles engagent des négociations de bonne foi en vue de l’élimination complète de leurs arsenaux nucléaires, ce qu’elles refusent de faire depuis 50 ans. D’autre part, depuis 60 ans, l’armée japonaise affirme son droit à posséder des armes nucléaires, et les sondages sud-coréens indiquent qu’une majorité est favorable à ce que Séoul se dote d’armes nucléaires).

Il y a plusieurs décennies, nous étions nombreux à chanter « Quand apprendront-ils enfin? » [NDT : en anglais, ‘When will they ever learn’, extrait de la chanson Where Have All the Flowers Gone, de Pete Seeger] Quand, en effet! L’ancien Premier ministre australien, aujourd’hui ambassadeur aux États-Unis, Kevin Rudd, nous prévient que nous nous dirigeons vers une guerre catastrophique, pourtant évitable. Au plus fort de la dernière guerre froide, les élites étasunienne, soviétique et européenne ont opté pour le paradigme de la diplomatie de la sécurité commune pour stopper et inverser la course aux armements nucléaires qui s’intensifiait et devenait de plus en plus terrifiante. Ils ont mis fin à la guerre froide en reconnaissant que la sécurité ne peut être obtenue par des actions de plus en plus militarisées contre leurs rivaux, qu’elle ne peut être gagnée que par une diplomatie complexe qui reconnaît les craintes de chaque partie, les résout et y répond par des compromis et des accords mutuellement bénéfiques.

Plus tôt cet été, la secrétaire d’État au Trésor, Janet Yellen, a fait remarquer que le monde était assez vaste pour que les États-Unis et la Chine s’y côtoient. Tirons parti de ces idées, incitons les dirigeants étasuniens et autres à s’engager sur la voie diplomatique de la sécurité commune. Cessons de gaspiller des milliers de milliards de dollars dans la préparation d’une guerre apocalyptique et consacrons nos ressources trop limitées à la satisfaction des besoins humains, y compris à l’inversion de cette autre menace existentielle : l’urgence climatique.

Joseph Gerson est président de la Campagne pour la paix, le désarmement et la sécurité commune, cofondateur de Committee for a SANE U.S. China Policy et vice-président du Bureau international de la paix. Il a publié Empire and the Bomb et With Hiroshima Eyes.