Les crimes de guerre n’ont jamais arrêté les États-Unis par le passé
Par Jonah Valdez, The Intercept, 21 novembre 2024
Texte original en anglais – [Traduction : Dominique Peschard ; révision : Martine Eloy]
Les É-U ont une longue tradition de protéger Israël (et eux-mêmes) des allégations de crimes de guerre – et de menacer La Haye.

En 2002, le président George W. Bush a signé la loi qui accordait au président des É-U le pouvoir d’envahir les Pays Bas – et n’importe quel autre endroit sur la Terre – afin de libérer un citoyen des É-U, ou d’un allié des É-U, détenu pour crime de guerre par la Cour pénale internationale basée à La Haye aux Pays Bas.
Bien qu’aucun président n’ait encore mis à exécution cette menace militaire, elle est un condensé du rapport des É-U avec l’institution internationale de justice. (Le président Biden, à l’époque où il était sénateur, s’était opposé à l’amendement autorisant l’invasion de La Haye mais avait en bout de ligne voté en faveur de l’adoption du projet de loi.)
La loi visait à écarter le spectre que des soldats étatsuniens puissent être jugés pour des atrocités commises dans le cadre de la naissante « guerre au terrorisme ». Mais l’horreur des États-Unis envers La Haye tire son origine dans leur politique de longue date de soutien inconditionnel à Israël.
Cette même année, Bush et son vis-à-vis Israélien, Ariel Sharon, ont retiré les signatures des É-U et d’Israël du Statut de Rome, le traité qui avait créé le CPI. L’opposition conjointe des É-U et d’Israël à toute tentative de la Cour de tenir Israël imputable de possible violation du droit international a depuis été sans faille.
Le jeudi 21 novembre 2024, la CPI a émis des mandats d’arrêt pour le premier ministre israélien Beyjamin Nétanyahou et l’ex-ministre de la défense, Yoav Gallant, alléguant que ces dirigeants ont intentionnellement bloqué l’entrée d’aide humanitaire à Gaza, ciblant des civils palestiniens, et qu’ils avaient ciblé des civils dans des frappes militaires à Gaza. La CPI a aussi émis un mandat pour le dirigeant du Hamas, Muhammad Deif, et révoqué ceux de deux dirigeants du Hamas tués par Israël, Ismail Haniyeh et Yahya Sinwar. Israël a aussi revendiqué avoir tué Deif.
Les mandats émis par un panel de trois juges obligent les 124 nations membres du Statut de Rome d’arrêter Nétanyahou et Gallant dès qu’ils mettent le pied sur leur territoire et de les remettre aux responsables à La Haye afin qu’ils soient jugés. Les nations membres comptent dans leurs rangs de nombreux alliés des États-Unis tels que la France, l’Allemagne, le Royaume Uni et le Canada ainsi que la plupart des autres nations du monde.
L’administration Biden n’a pas encore commenté les mandats d’arrêt, mais lorsque le procureur de la CPI, Karim Khan, a demandé pour la première fois en mai que des mandats soient émis, le président a qualifié l’idée « d’outrageuse ».
« Peu importe ce que ce procureur laisse entendre, il n’y aucune – vraiment aucune – équivalence entre Israël et Hamas », a répété Biden lors d’une célébration du mois de l’héritage juif à la Maison Blanche ajoutant « nous nous tiendrons toujours aux côtés d’Israël pour contrer les menaces à sa sécurité. »
Biden a tenu parole dans les mois qui ont suivi en continuant d’envoyer des armes à Israël et en votant contre toutes les mesures internationales critiquant la conduite d’Israël ou même appelant à un cessez-le-feu aux Nations Unies. En septembre, les États-Unis ont voté contre une résolution des Nations Unies demandant la fin de l’occupation israélienne des territoires occupés en Cisjordanie, Jérusalem est et Gaza alors que 124 des 181 pays de l’Assemblée Générale des Nations Unies votaient pour.
Le mercredi 20 novembre, l’administration Biden imposait son véto à une autre résolution de cessez-le-feu du Conseil de Sécurité de l’ONU – pour une quatrième fois. L’ambassadeur des États-Unis à l’ONU, Robert Woods, a prétendu que la résolution n’incluait pas un appel pour la libération immédiate des otages pris par le Hamas le 7 octobre, malgré le fait que le document demandait leur libération sans conditions. Les ÉU ont émis le seul vote dissident des 15 membres du Conseil.
« Je pense qu’on se dirige vers un affrontement significatif en matière de droit international entre les États-Unis et le reste du Monde » a dit Michael Lynk, un expert en droit international qui a agi comme rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés. « Je pense que cela va ouvrir une brèche encore plus grande en matière de droit international entre les États-Unis et la majeure partie du reste du Monde ».
Les mandats d’arrêt de CPI placent les alliés des États-Unis et d’Israël dans une position gênante : soit maintenir le partenariat avec les É-U, soit respecter leurs obligations envers La Haye et le droit international. À date, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a dit que son gouvernement « soutiendrait le droit international » et « respecterait toutes les décisions et règlements des cours internationales ». La France et le Royaume Uni ont pris une position semblable, mais l’Allemagne, qui fournit aussi de l’aide militaire à Israël, n’a pas encore émis de position officielle sur comment elle agirait1.
Le Président russe, Vladimir Poutine, qui fait également face à un mandat d’arrêt de la CPI, a dû modifier ses plans de voyage pour éviter l’arrestation. En septembre, il a cependant pu faire un aller-retour en Mongolie, signataire du Statut de Rome, sans incident.
Il n’y a pas que la question des mandats d’arrêt de la CPI. Septembre prochain marque l’échéance fixée par l’ONU pour la fin de l’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem est par Israël. De plus, le plus haut tribunal des Nations-Unies, la Cour internationale de justice (CIJ), continue de présider le procès pour génocide intenté par l’Afrique du Sud contre Israël, mais cette procédure va probablement s’étirée sur plusieurs années encore.
« Cette alliance des États-Unis avec Israël a vraiment entaché l’image des États-Unis pour le reste de la planète, » selon Lynk. Ce dernier a célébré l’annonce des mandats de la CPI et dit que la mesure est une rare forme d’imputabilité, absente dans la communauté internationale, concernant la guerre d’Israël contre Gaza et son occupation des territoires palestiniens depuis 1967.
« Il n’y a pratiquement aucune ligne rouge qu’Israël n’a pas franchie, Israël ayant compris en traversant toutes ces lignes que la communauté internationale n’a pas la volonté politique de demander des comptes et de mettre fin à l’impunité » selon Lynk.
Mais Lynk a fait remarquer que ce manque d’imputabilité de la part d’Israël ne date pas d’hier. Il dit que, parmi les raisons qu’ont les É-U de s’opposer au Statut de Rome et à la Cour pénale de La Haye, il y a la crainte que les statuts de la Cour mènent à la criminalisation des colonies israéliennes en Cisjordanie. Israël a aussi donné comme raison de s’opposer au Statut que celui-ci interdit le déplacement forcé de populations civiles par une force occupante.
Depuis, les États-Unis se sont opposés à d’autres enquêtes sur des allégations d’atrocités israéliennes ainsi qu’à des tentatives de tenir des membres des forces armées des É-U imputables face à des allégations de crimes de guerre en Afghanistan. L’administration Trump a également imposé des sanctions à des responsables de la CPI impliqués dans des enquêtes passées sur la conduite d’Israël, en gelant leurs avoirs et en leur interdisant l’entrée aux É-U. Biden a renversé ces mesures mais a continué d’affirmer son appui à Israël face à d’autres pression de la part de la CPI. En juin, les Républicains ont présenté un projet de loi, appuyé par 42 Démocrates, qui appelait une nouvelle ronde de sanctions envers la CPI.
Tout en condamnant l’application de la loi par la Cour dans le cas d’Israël, les É-U ont applaudi d’autres actions de la Cour, y inclus pour les mandats d’arrêt émis à l’encontre de responsables russes, dont le président russe Vladimir Poutine, pour des atrocités commises dans la guerre contre l’Ukraine.
Comme l’a dit Jennifer Trahan, professeure de droit international et de droits humains à l’université de New York, « Soit nous haïssons cette institution, soit nous coopérons dans les cas que nous aimons […] Biden a initialement qualifié ces mandats [NDLR : contre Israël] de « scandaleux » – mais c’est cette même institution qui a été félicitée pour avoir émis des mandats à l’encontre de ressortissants russes. Ultimement on ne veut pas impliquer la politique dans une institution judiciaire – on devrait la laisser faire son travail. »
La Professeure Trahan a aussi donné en exemple l’appui des É-U à d’autres enquêtes de la CPI, comme la poursuite en 2012 contre le leader rebelle ougandais Joseph Kony, fondateur de l’Armée de résistance du seigneur. Sous Biden, le Département d’état a offert en 2021 une récompense de 5 millions de dollars pour des renseignements pouvant mener à Kony qui demeure fugitif. L’administration Obama a également donné son appui à la poursuite de la CPI contre al-Bashir, le premier chef d’état en fonction à être poursuivi par la Cour.
« N’oubliez pas que c’est la première fois que des mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale sont émis à l’encontre d’un quelconque allié de l’Occident. Ils ont presqu’exclusivement visé des Africains », a dit Lynk.
[1]Certains groupes de défense des droits humains, tout en félicitant la Cour pour les mandats, se sont demandés si Biden lui-même serait tenu imputable de complicité dans la guerre génocidaire d’Israël à Gaza. L’administration Biden a donné plus de vingt milliards de dollars d’aide militaire à Israël, alimentant son agression militaire contre Gaza, où plus de 44 000 palestiniens ont été tués, dont plus de la moitié sont des femmes et des enfants, sans compter les plus de 3500 morts au Liban. La semaine dernière, le Département d’Étât a déclaré qu’il continuerait d’envoyer des armes à Israël, même après qu’Israël ait échoué à répondre aux demandes de l’administration de faciliter l’acheminement d’aide humanitaire à Gaza.
Il existe des précédents légaux pour des cas semblables contre des fournisseurs d’armes, comme Frans van Anraat, un homme d’affaire hollandais condamné à La Haye en 2005 de complicité dans des crimes de guerre pour avoir vendu au gouvernement de Saddam Hussein des composants utilisés pour fabriquer des armes chimiques.
Lynk a dit que la CJI et la CPI ont toutes deux l’autorité légale pour entreprendre une poursuite contre des responsables des É-U pour leur soutien aux atrocités commises par Israël, mais toutefois que dû aux ressources judiciaires limitées de telles poursuites sont peu probables.
Note de la traduction : Depuis la publication de cet article, la France a avancé un argument alambiqué, contesté par des juristes, pour soutenir qu’elle n’arrêterait pas Nétanyahou et Gallant sur son territoire.