Un nazi sur la Colline du Parlement comme antidote à l’autocomplaisance (traduction)

Un nazi sur la Colline du Parlement comme antidote à l’autocomplaisance

Par Yakov Rabkin, Pressenza, 27 septembre 2023

Texte original en anglais – [Traduction : Dominique Lemoine; révision : Nathalie Thériault]

La visite triomphale du président Zelensky à Ottawa à la fin du mois de septembre a été entachée par un épisode au Parlement du Canada. Anthony Rota, président de la Chambre des communes, a invité une personne âgée d’origine ukrainienne de sa circonscription, Yaroslav Hunka, à assister au discours de Zelensky.

Hunka a été acclamé durant une séance du Parlement du Canada au cours de laquelle Zelensky s’est adressé aux législateurs pour les remercier de leur soutien, déclarant que le Canada a toujours été du « bon côté de l’histoire ».

Un nazi sur la Colline du Parlement comme antidote à l’autocomplaisance (traduction). Pressenza, 27-09-2023

Les députés, dont le premier ministre Justin Trudeau, l’ont acclamé debout comme convenu. Il a ensuite été révélé que toute l’assemblée avait acclamé un ancien volontaire de la 14e division ukrainienne de la Waffen-SS, Halitchina. Au procès de Nuremberg, la Waffen-SS – la branche militaire de la SS –  a été déclarée organisation criminelle responsable d’atrocités de masse. En effet, Halitchina a perpétré des massacres de masse et a été félicitée pour cela, par nul autre que Heinrich Himmler, le chef de la SS, ce qui est par ailleurs bien documenté.

Deux jours plus tard, le président de la Chambre a présenté des excuses, affirmant que la décision d’honorer l’ancien nazi « était entièrement de sa faute ». Il a fini par être contraint de démissionner. La controverse est peut-être close mais elle soulève des questions qui vont bien au-delà de cet épisode particulier.

Premièrement, comment se peut-il que les antécédents de ce nazi impénitent – il a écrit en 2010 et 2011 dans des billets de blogue que ses années passées sous les couleurs de la SS étaient les meilleures de sa vie – soient devenus invisibles pour les personnes ayant organisé son invitation? Ont-elles été des victimes innocentes de médias et de politiciens qui présentent la guerre en Ukraine comme un conflit manichéen entre le Bien et le Mal? En effet, comment soupçonner le Bien d’être autre chose qu’immaculé?

Deuxièmement, à cette occasion, le Président de la Chambre a déclaré : « Nous avons ici aujourd’hui un ancien combattant ukraino-canadien de la Seconde Guerre mondiale qui s’est battu pour l’indépendance de l’Ukraine contre les Russes et qui continue à soutenir les troupes aujourd’hui, même à l’âge de 98 ans ». Est-il à ce point ignorant de l’histoire récente pour en venir à qualifier cet ancien combattant de 98 ans de « héros » pour avoir combattu la Russie? Si le polyglotte M. Rota, titulaire d’un baccalauréat en science politique, ignore que combattre les Russes pendant la Seconde Guerre mondiale signifiait se battre du côté des nazis, cela montre à quel point l’histoire récente a été politiquement déformée. Cela montre aussi de l’ignorance concernant les tendances fascistes du nationalisme ethnique en Europe, incluant en Ukraine, qui avait trouvé un allié naturel dans l’Allemagne nazie.

Troisièmement, il se peut que Rota, Trudeau et le reste de la Chambre des communes fassent preuve d’ignorance, mais à l’exception d’au moins une personne. Chrystia Freeland, vice-première ministre et ancienne ministre des Affaires étrangères, a en effet grandi au sein de la communauté ukrainienne du Canada, participé à des camps d’été nationalistes ukrainiens et elle parle couramment l’ukrainien. Elle est par ailleurs la petite-fille d’un Ukrainien qui avait fui l’avancée de l’armée soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale et qui avait dirigé un journal nationaliste ukrainien dans la ville de Cracovie, alors occupée par les nazis. On rapporte que son journal aurait soutenu la création d’une division SS ukrainienne.

Elle savait certainement qui elle applaudissait sur le plancher du Parlement. L’a-t-elle fait pour blanchir les liens nazis des nationalistes ukrainiens?

Quatrièmement, Zelensky disait-il vrai en prétendant que « le Canada a toujours été du bon côté de l’histoire »? Bien sûr, ce qui est bon est naturellement subjectif. Pour Zelensky (son origine juive et le fait que son grand-père avait combattu les nazis sont ici hors de propos), l’accueil chaleureux que le Canada a offert aux nazis ukrainiens après la Seconde Guerre mondiale doit faire partie du bilan louable du Canada. Quiconque était un ennemi de l’Union soviétique a été utilisé dans le contexte de la guerre froide, certains pour la guerre de l’information, d’autres pour des actes de violence contre des responsables soviétiques en Ukraine. Leur passé nazi n’indisposait pas les autorités à Ottawa.

À cette époque, le Canada soutenait ouvertement le racisme et l’antisémitisme. Le Canada avait interdit l’entrée aux réfugié.e.s juifs du nazisme. La phrase « aucun, c’est encore trop » est souvent attribuée soit au premier ministre William Lyon Mackenzie King, soit à Frederick Charles Blair, directeur du bureau de l’immigration sous l’administration King. Selon le livre intitulé None is Too Many, elle a été prononcée par un haut fonctionnaire anonyme, à qui l’on demandait en 1945 combien de Juifs devaient être admis au Canada. Quelle que soit la source exacte, l’attitude qu’elle représente fait partie de l’histoire du Canada.

Pour défendre le Canada, quelqu’un pourrait plaider que la plupart des démocraties occidentales ont agi de la même manière.

Le racisme et l’antisémitisme avaient été des valeurs européennes communes depuis des siècles. Les troupes qui ont attaqué l’Union soviétique en juin 1941 ne provenaient pas seulement de l’Allemagne nazie, mais incluaient aussi des soldats conscrits et des volontaires de quinze pays européens. De plus, des massacres de masse ont souvent été perpétrés par des volontaires locaux, en particulier en Pologne, en Ukraine et dans les pays baltes. Les troupes des États-Unis qui ont combattu les nazis étaient soumises à la ségrégation raciale. La Grande-Bretagne et la France ont mené des campagnes meurtrières de « pacification » en Afrique, pour conserver leurs colonies respectives, et ce, pendant des années après la défaite du nazisme allemand.

Dans les années 1930, les politiques intérieures et extérieures des nazis étaient non seulement populaires dans de nombreux pays, mais elles trouvaient des épigones parmi leurs classes dirigeantes. La Grande-Bretagne et la France, obligées par un traité, ont déclaré la guerre à l’Allemagne quand celle-ci a attaqué la Pologne en 1939. Mais leurs armées sont demeurées passives dans ce que l’on a nommé la « drôle de guerre ». Et quand la Wehrmacht a finalement avancé en mai 1940, la France s’est rendue, tandis que les troupes britanniques ont fui le continent pour retourner dans les îles britanniques. Les États-Unis se sont retrouvés en conflit avec l’Allemagne nazie seulement après que Berlin leur ait déclaré la guerre, quelques jours après Pearl Harbor. Et il a fallu des années pour que les troupes des États-Unis engagent de véritables hostilités contre la Wehrmacht. Même à ce moment-là, la plupart des divisions allemandes combattaient l’avancée soviétique à l’Est.

Cela nous rappelle que les valeurs occidentales, que l’Ukraine défend soi-disant dans sa guerre actuelle, doivent être comprises dans leur contexte historique complexe. Les vieilles valeurs pratiquées pendant des siècles ont-elles véritablement été rejetées, ou ont-elles plutôt été camouflées sous une rhétorique progressiste et autocomplaisante, en étant dirigées vers d’autres victimes? Comme l’a fait remarquer avec justesse le grand rabbin britannique, « l’autocomplaisance et la vertu s’excluent mutuellement ».

Yakov Rabkin est professeur émérite d’histoire à l’Université de Montréal. Ses publications incluent plus de 300 articles et quelques livres : Science between the Superpowers, A Threat from Within: a Century of Jewish Opposition to Zionism, What is Modern Israel?, Demodernization: A Future in the Past et Judaïsme, islam et modernité. Il a été consultant pour l’OCDE, l’OTAN, l’UNESCO et la Banque mondiale.