Une présentation du texte de Christopher Mott, Camouflage de l’impérialisme occidental : les Noces de la guerre et de la vertu
Dans un univers devenu, dit-on, multipolaire, les États-Unis redoublent l’effort pour haler leur camp derrière eux. Et pour cause. Ils se rendent effectivement compte qu’ils n’arrivent plus d’emblée à convaincre que, seuls vertueux, ils sont toujours au contrôle d’un univers qu’on s’est employé à réduire, à toutes fins pratiques, à une… économie-monde. Jusque récemment, on n’avait pas trop de mal, en Occident (puis dans le ‘Nord global’) à pointer, en mode manichéen du dénigrement, vers la persistance d’un espace alternatif, appréhendé seul concurrent. C’était le bloc communiste où, bien sûr, également entravé par d’autres types de maladresses, on n’en continuait pas moins de souhaiter habiter autrement le monde, selon des visées dont le cerveau-Occident ne retenait presque rien de valable, n’est-ce-pas ? Aujourd’hui cependant, les façons plurielles d’habiter le monde, de vivre et d’agir, à la grandeur du globe, redeviennent plus couramment visibles à nos regards immédiats. Ce genre de nouvelle donne déstabilise grandement les élites étasuniennes (i.e. la majeure partie du monde de la recherche, les sous-traitants de l’armée, les agences gouvernementales…, et même de grandes ONG). Ce qui force, dans l’urgence, à re-bricoler la force d’influence. L’entreprise, obligatoirement, en demeure toujours toutefois une de disqualification systématique des Autres, dans l’empressement. Disqualification, cette fois, on l’entend bien, dirigée contre la Chine, et la Russie, en priorité. Ainsi nonobstant le fait qu’il soit sensément indéfendable de soutenir que les projets sui generis de ces deux puissances (comme ceux de tout autre peuple de la terre, d’ailleurs) ne comporteraient que des propositions intégralement et régulièrement malsaines, la direction étasunienne ne veut braquer le projecteur que vers son monopole prétendument non questionnable sur la vertu. Emportée, et traversée de nervosité exacerbée, la puissance inquiétée s’en remettra ainsi, tant par habitus que par défaut, et de plus en plus, à la seule force (esthétisée) du militaire.
Ici se présentent les observations et la description de Christopher Mott (Camouflage de l’ijmpérialisme occidental. Les noces de la guerre et de la vertu, Le Monde diplomatique, janvier 2023, pages 1, 22-23). Ce texte majeur est une version abrégée d’un article beaucoup plus élaboré paru en juin 2022 sous le titre « Woke Imperium : The coming confluence between social justice and neoconsevatism ». L’auteur, avant de joindre l’Institute for Peace & Diplomacy, a fréquenté le Département d’État, en tant que chercheur et fonctionnaire. L’article que nous vous proposons de parcourir bénéficie donc d’une connaissance fine des mouvements internes aux cercles dominants. Mott soumet que ces décideurs combinent résolument leurs forces d’imagination dans l’unique but de justifier leurs interventions prochaines à la largeur du globe. C’est ainsi que « la définition d’une idéologie adéquate pour justifier l’expansion impérialiste se retrouve au cœur de la compétition interne aux classes intellectuelles [… Car] l’enjeu pour elles est de concilier leurs intérêts hégémoniques avec leur sentiment de supériorité morale – c’est-à-dire d’étaler leur vertu et leur conscience des épreuves endurées par les populations marginalisées des États secourus, tout en huilant les rouages de la machine de guerre. » À la longue liste des enjeux déjà instrumentalisés au cours des décennies, Mott ajoute aujourd’hui la justice sociale ! Il faut toujours réussir le « recycla[ge] des combats sociétaux en vogue en Occident pour légitimer [l]es interventions » C’est, dit-il, l’enjeu du « cultural framing », le « façonnage culturel »). Le cas afghan, tout près de nous, illustre pourtant bien le fait que, « [f]inalement, la R2P (responsibility to protect) a eu pour effet de perpétuer et d’exacerber les problèmes qu’elle était censée résoudre, alimentant en retour une violence systémique. [Car s]urtout en précipitant la faillite des États, elle a elle-même créé et aggravé les conditions qui rendent nécessaires de nouvelles interventions humanitaires. Celles-ci deviennent alors une sorte de casus belli perpétuel, enclenchant un cercle vicieux de crises. » Le « recour[s] au registre de la morale [sert à] masquer le[s] visées impérialistes, poursuit Christopher Mott. Et [c’est bien la raison pour laquelle] cette confluence, sur la scène diplomatique, entre justice sociale et néoconservatisme, entre défenseurs des droits humains et partisans de l’interventionnisme militaire de l’OTAN, est apparue. »
Le Canada, dans ce contexte ? Il suffira ici d’évoquer M-62 Ouïghours et autres musulmans turciques, (cf. https://www.noscommunes.ca/Members/fr/54157/motions/11892002#mip-motion-text-collapsible-text ), cette motion tactiquement votée, unanimement, à la Chambre des Communes, le 1er février. À l’initiative de Samir Zuberi, député de Pierrefonds-Dollard, la commode motion exprime le souhait que soit mis en place un programme d’accueil de réfugié.e.s ouïghours. Nonobstant toute l’importance, par ailleurs, du combat de la population ouïghoure, la mise en scène étudiée dont la Chambre a servi de théâtre, ne sert-elle pas à son tour, en premier, l’OTAN ? Il s’agit bien là d’un exemple ‘local’ où, selon les mots de Mott, on s’agite fort à « recour[ir..] au lexique de la justice sociale pour pourfendre des nations présentées comme rivales et consolider l’hostilité du public à leur endroit. »
Dû au fait que l’article de Christopher Mott n’apparaît pas en libre accès sur le Web, il ne nous est malheureusement pas possible d’inclure un lien vers le texte complet avec cette infolettre. Nous vous encourageons plutôt à aller à la bibliothèque, ou encore chez un.e ami.e abonné.e au Monde diplomatique. La version originale, en anglais, demeure, quant à elle, facilement accessible en cliquant sur le lien ci-haut mentionné. Bonne lecture ! Et que cet élément de réflexion remarquable contribue à accompagner l’action commune, et nos recherches futures ! Car des processus analogues se déploient dans tous les types d’appareil d’État en quête de quelque position dominante.