Dépêche no 2 de la délégation Moussalaha en Syrie

par Paul Larudee, 10 mai 2013, pour l’équipe du Free Palestine Movement.

(Traduction de l’anglais : Raymond Lamborelle)

Au moment où j’écris ces lignes, j’entends ce qui ressemble à des tirs d’artillerie et de roquettes au loin, et aussi des bruits d’armes légères et d’explosions. La plupart de leurs cibles doivent être assez éloignées parce que je ne perçois pas les impacts. Les explosions pourraient également avoir d’autres causes.

Après deux ans de combats, je suppose qu’il n’est pas surprenant que les Syriens s’y habituent et la vie est étonnamment normale, sinon pénible, pour un peu plus de la moitié des Syriens qui n’ont pas été tués ou déplacés. C’est une statistique terrible qui concerne près de 10 millions de personnes sur une population totale de 23 millions.

Le travail de la délégation a été interrompu à plusieurs reprises par des changements de plan. Nos visas ont été retardés et nous avons dû rester plus longtemps au Liban et moins longtemps en Syrie. Finalement, des jours supplémentaires ont été ajoutés à la fin de notre séjour. Ensuite, lors de notre premier jour en Syrie, notre rendez-vous avec le Dr Shammat Kinda, ministre des Affaires sociales, a été annulé à la suite d’une réunion du cabinet, convoquée par le président Assad. Nous n’avons pu faire qu’une sortie improvisée dans un quartier touché, visite que j’ai manquée en raison d’un téléphone défectueux dans ma chambre d’hôtel.

Ce soir-là s’est tenue une grande réunion des membres de Moussalaha, venus de toute la Syrie. Ils ont fait part de leurs expériences de la guerre et de l’intervention de Moussalaha qui vise à transformer une tragédie en réconciliation. Il a notamment été question de ce garçon chrétien âgé de neuf ans, Sari Saoud, tué par les rebelles à Homs. Son corps a été emporté par les rebelles, mais sa mère Georgina al-Jammal les a rattrapés, et elle a serré contre elle, dans une dernière étreinte, son fils mort. La scène a été filmée par les rebelles qui l’ont ensuite falsifiée pour faire croire que le garçon avait été tué par les forces gouvernementales.

J’ai parlé avec Georgina qui soutient le gouvernement mais lui reproche d’avoir laissé la zone sans protection. Elle m’a dit avoir reconnu certains des rebelles du quartier, mais qu’il y avait aussi des étrangers. Une partie de l’histoire peut être trouvée ici , filmée par la télévision arabe syrienne. Elle contient une forte dose de propagande, mais les principaux éléments sont réels et sincères. Une autre version est disponible ici . Elle est plus grossière et plus ‘amateure’, et une partie seulement est sous-titrée, mais elle contient certaines des images tournées par les rebelles ainsi que leur tentative maladroite pour camoufler le meurtre. Très explicite, elle saisit le moment terrible où Georgina tente de ramener à la vie son fils mort.

J’ai également rencontré une femme du nom de Cheikha Asya al-Mashi qui fait partie d’une famille musulmane de premier plan à Raqqa. On a offert à son beau-frère une énorme somme d’argent pour qu’il s’en aille et remette ses propriétés aux rebelles. Quand il a refusé, il a été tué devant son domicile où sa famille l’a entendu agoniser. Je lui ai proposé de supprimer son nom et la photo, mais avec un air de défi, elle a insisté pour que je les publie.

Je ne veux pas m’attarder sur ces histoires mais plusieurs choses m’ont impressionné à leur sujet et lors de la rencontre avec Moussalaha:

    1. Les témoins et les participants représentaient un large éventail de communautés, à la fois sur le plan géographique et en termes de confession. Moussalaha est une organisation diversifiée et accessible qui rejoint de nombreux Syriens.
    1. Il existe divers degrés de soutien au régime lui-même, mais il est clair que de nombreux Syriens soutiennent la tentative du régime pour rétablir l’ordre.
    1. Une partie du programme de la soirée comprenait des questions à micro ouvert où tous ceux qui le désiraient pouvaient raconter leur histoire et demander l’intervention de Moussalaha dans leurs communautés.
  1. Une bonne partie des interventions de la soirée a échappé aux délégués parce que tout était en arabe et que l’interprétation était incohérente et difficile à entendre. Mon arabe m’a un peu aidé, mais j’ai manqué beaucoup.
  2. Nous n’avons pas entendu l’autre version.

Quelques précisions sur le point numéro 5. Il y a les alliés libanais de l’opposition armée et des combattants de l’opposition au Liban. Je ne pense pas qu’il soit impossible de les rencontrer, mais je ne suis pas sûr que Moussalaha puisse faire de tels arrangements. Moussalaha a des contacts avec les parties aux fins d’échange de prisonniers et en vue de la réconciliation. Cependant, si cet organisme nous donnait la chance de nous entretenir avec ces parties, cela pourrait les mettre en danger vis-à-vis du régime. Moussalaha essaie de gagner la confiance de tout le monde, mais je soupçonne qu’il existe une ligne qu’ils n’osent pas franchir par peur de perdre leur mandat.

Cela dit, mon expérience avec l’opposition non-violente m’apprend que, ses partisans aussi sont intolérants en vers les Syriens qui soutiennent inconditionnellement le régime. Ils ne veulent pas que ce segment plutôt large de la société syrienne puisse se prononcer sur l’avenir de la Syrie, parce que cette voix est inévitablement celle du régime. Tant que certains Syriens refusent de respecter les opinions des autres Syriens, je crains pour l’avenir de la Syrie.

Tôt le lendemain matin, j’ai commencé à ressentir dans l’estomac les effets d’un empoisonnement. J’ai donc passé la journée au lit jusqu’à ce que nous ayons une brève rencontre à titre de délégation. Nous avons ensuite reçu la visite de M. Jihad Lahham, président du Parlement. Il a tenu à préciser qu’il fait partie de l’opposition, mais l’opposition « loyale », en disant qu’il aimerait beaucoup qu’Assad se retrouve quelques années dans l’opposition. Je suis parti tard dans la soirée, l’estomac toujours vide.

En général, nous avons eu trop de réunions avec trop de dignitaires qui avaient tous essentiellement le même message. Après l’entrevue accordée à l’arrivée, j’ai arrêté d’en donner de peur de passer pour un instrument de la propagande. Mairead et la plupart des autres ont pris soin de parler de notre solidarité avec le peuple syrien, et non pas avec le régime ou tout autre parti, mais les média syriens ont continué à nous filmer en compagnie des dignitaires.

Peut-être était-ce trop espérer que de s’attendre à quelque chose de différent. Pour des raisons de sécurité, nous étions logés à l’Hôtel Dama Rose, l’hôtel le plus sécurisé à Damas, car il ne fait aucun doute que nous étions une cible potentielle pour les rebelles et une occasion d’embarrasser le gouvernement. Cependant, la raison pour laquelle cet hôtel est le plus sûr, c’est qu’il est également le plus luxueux et le plus cher, et c’est donc le lieu de rencontre de toutes sortes de personnalités liées au gouvernement. Même hébergés par Moussalaha qui a bâti sa confiance sur un large éventail d’éléments en Syrie, nous avons eu toutes les peines du monde à obtenir un portrait aussi complet que nous l’aurions voulu – et que nous aurions dû obtenir.

Néanmoins, nous avons beaucoup appris et j’ai dû quitter avant la fin de la visite parce que les activités se poursuivaient au-delà de la date prévue de mon départ que je ne pouvais pas changer en raison d’obligations personnelles. Je suis impatient de savoir ce qui s’est passé après mon départ et d’avoir peut-être des nouvelles plus optimistes dans un rapport ultérieur. J’ai aussi contribué à la rédaction de deux déclarations de la délégation que je souhaite partager avec vous, mais seulement une fois qu’elles auront été approuvées par le groupe, avec des modifications. Il se peut aussi que j’aie d’autres nouvelles des initiatives qui ont été élaborées à la suite de la visite.

Merci de continuer à soutenir la paix.
Paul Larudee pour l’équipe FPM